Jeanne Benameur, Ceux Qui Partent, éditions Actes Sud, roman, ISBN : 2330124333 , Paru le 21 Août 2020.

Chronique de Alain Fleitour Février 2020

Jeanne Benameur, Ceux Qui Partent, éditions Actes Sud, roman, ISBN : 2330124333 , Paru le 21 Août 2020. 

À travers le récit de « Ceux qui Partent » en abandonnant le pays de leur enfance, Jeanne Bénameur exprime toute sa tendresse pour les personnages, devenus émigrants du bout du monde. Une journée et une nuit à Ellis Island (NY), dans les premières années d’un autre siècle, pour changer de peau, une nostalgie comme passagère, un exil apaisé peut être.

Elle se rappelle, que sa famille a connu l’exil en1958, elle avait cinq ans à son arrivée en France. Son père est algérien et sa mère italienne. Son père restera très attaché à la langue française, sera même exigeant pour abandonner le parler du pays, faisant tout pour que la famille s’intègre . Leur nouvelle langue deviendra le pivot de la vie familiale.
Jeanne sait qu’il faut connaître le manque pour que le poème sonne juste.

Il y a dans cette fiction une volonté de projeter enfin, un regard apaisé sur son passé de migrant, sur les douleurs de l’exil, sur la difficulté de porter une autre culture. La maman italienne s’affranchissait des tabous de la famille, Jeanne, son frère et ses sœurs écoutaient  cette musique du passé, l’italien, la musique de leurs premiers cris.

Jeanne retrouve ses racines italiennes avec délectation, et teste de nouvelles couleurs à épingler à Emilia et Donato et à leur nouvelle vie . Emilia et Donato, n’ont jamais cesser de regarder les bateaux comme s’ils venaient tous, des bords de la Méditerranée.
Emilia, jeune institutrice espère dans ce pays qui s’ouvre à la peinture, y puiser un nouveau souffle pour son travail. Picabia un peintre d’avant garde par exemple, viendra vers 1910 à New-york. Son père, Donato Scarpa, acteur italien, l’accompagne pour la protéger dans cette quête de liberté avec sous le bras son livre fétiche, L’éneïde.

Sa lecture de l’énéïde aux heures d’angoisse fera vibrer et revivre comme un gourmet ses souvenirs d’artiste et de comédien.

Donato sait qu’une langue est plus sûre qu’une maison. Rien ne peut la détruire tant qu’un être la parle. (p. 166)

Andrew Jonsson, photographe New-yorkais de père islandais, crée des passerelles et des liens. La photographie véhicule des images et réanime les êtres. Andrew devient le révélateur, un peu comme un passeur : lui à la recherche d’islandais, parmi les premiers pionniers, auxquels sa mère reste attachée, les migrants eux à la recherche de parents, d’amis, de proches par la langue. Ils cherchent à reconquérir le plus profond d’eux-mêmes.
Chacun se blottit encore dans sa langue maternelle comme dans le premier vêtement du monde.

Migrant pour migrant, Jeanne Bénameur se sent des ailes pour embrasser toutes les minorités opprimées. le génocide arménien est là présent avec Esther, une jeune femme qui fuit les persécutions, celles qui ont enseveli toute la communauté orthodoxe, avec une ampleur que l’histoire a toujours des craintes d’explorer ou de raviver. Esther, elle, rêve simplement de liberté.

Gabor, un tzigane, son violon en bandoulière est une belle image d’une intégration qui se cherche. le violon est sa langue et son langage, il véhicule ses émotions, il fait des rencontres, il existe par sa chair et ses palpitations.
« Comme sur le bateau, il lit pour tous ceux qui ont besoin d’entendre autre chose que des ordres ou des plaintes. Il lit parce que la voix humaine apaise et qu’il le sait, souligne t-elle page 145 « .
La musique et la poésie, portent cette capacité à se trouver bien en soi, de savoir faire une pause, d’adresser un baiser.


Un livre qui respire, qui s’offre aux vents. 

© Alain Fleitour

Cali, Cavale ça veut dire s’échapper, Récit aux éditions du Cherche Midi, ISBN978-2-7491-6146-4, avril 2019.

Chronique d”Alain Fleitour


Cali, Cavale ça veut dire s’échapper, Récit  aux éditions du Cherche Midi, ISBN978-2-7491-6146-4, avril 2019.

S’identifier à un regard, que Cali scrute chaque soir, essayer d’en percevoir toute la puissance, toute la subtilité, épuiser toutes les façons de s’en faire un allié, ce regard a quelque chose de magique, de singulier, ce regard est différent de ceux de ses copains.

C’est le regard étrange et pénétrant, qui ne ressemble à aucun autre, c’est le regard de Joe Strummer son idole le chanteur des Clash. 

“Non c’est pas celui-là, écoute moi, il faut regarder beaucoup plus loin, fermer légèrement les paupières, et ne plus bouger, alors là quand il est bien en place, ce regard de Joe met en déroute une salle comble de spectateurs sous hypnose.”

Cette obsession Cali s’en pénètre sur cette affiche des Clash. Dans ce livre témoignage, « Cavale, ça veut dire s’échapper, » patiemment il construit son rêve de jeune adolescent de 15 ans, il n’y a pas de temps à perdre pour sa bande de copains, chacun a sa technique, son truc, sa mèche pour allumer le coeur des filles, les filles qui tournent, et qui tournent encore à rendre ses potes triomphants ou désespérés.

Elle s’appelle Louise ou Fabienne, le coeur s’enflamme pour un rien.

Louise a ajouté, « à ce soir ». Là, c’est moi qui marchait sur l’eau. Je suis sûr qu’elle m’a regardé m’éloigner.

Puis vient Sylvia et sans elle le récit n’aurait pas eu la même saveur. Elle n’est peut-être pas la plus belle mais elle sait bien embrasser et pour un gamin de 15 ans le nirvana n’est jamais loin des lèvres rouges des filles.

Mais s’il y a Sylvia et le coeur battant, il y aura de plus en plus le groupe des copains, leurs corps battant aux rythmes des Clash, des Bérruriers Noirs, des Rats Sulfatés, de la Souris Déglinguée. Mais la crête sur le crâne porté comme Fernand ou Alec ne suffit pas pour faire de la musique Punk.

Un groupe Punk c’est le choix d’un nom pourri, un nom aussi pourri que sa musique, un nom à faire frémir les filles, sinon c’est un désastre annoncé.

Leur nom pourri ne vivra pas longtemps, exit les Lutins Verts officiellement acté par le proviseur, le groupe P.A se dressera au lycée Charles Renouvier, défiant le protale du lycée, en une ultime provocation juste pour épater les filles, leur premier et dernier concert du groupe avant leur expulsion, vociférant j’en…le protale du lycée. 

Les émotions enserre les anecdotes lycéennes, maman affleure de page en page avec un mot, un flash, un trouble, car l’enfant y pense sans cesse, parfois c’est le père qui émerge de sa souffrance ; quand Cali page 161 écrit, « pendant quelques secondes, papa s’en était sorti, n’était plus le noyé qui descendait vertigineusement. »

Cette adolescence de Cali est un journal intime tenu au jour le jour, cadencé par l’évolution de sa relation avec Fabienne, « celle à qui Cali », a avoué un amour chaste et éternel. N’est-ce pas aussi un roman sur l’adolescence raconté de l’intérieur, extravagant et impudique, sensible et intraitable. 

Ma lecture est plus audacieuse, je le vois tel un brouillon, car sans spontanéité impossible d’exprimer Sylvia ou d’autres rencontres. Dans ce faux brouillon sans tabou le récit est construit, il va du regard de Strummer page 13 à celui de Cali page 202, son regard se porte au loin, « Là-bas, on va là-bas tout au bout, là-bas. »

Entre ces deux regards il crée un scénario en trois temps, moi, les filles, les copains, et le récit tourne pour monter de marche en marche, de moi, aux filles, puis aux copains, au sommet d’un phare pour voir au loin très loin.

« Tu sais pourquoi on est heureux ? Parce qu’on sait fabriquer des rêves.. ».p 185 

J’ai été conquis par l’humour qui se dégage de ses blagues de potache, la dérision qui l’accompagne, et que résume : « en tentant d’expliquer, c’est comme essayer d’attraper la mer avec un filet ». J’ai été bluffé par l’enthousiasme de ses potes Alec, Nico, ou Fernand, des figures, aux gueules d’atmosphère.

Ces cocasseries liées à l’émotion vivace de Cali, se fondent en des scènes poétiques, « la vie s’enfuyait entre mes doigts et je roulais à contresens » ou « j’allais seul jusqu’à la grotte des amoureux avec ma coupe de rat, au-dessus du village et je chantais comme ça en yaourt des onomatopées en franglais ».

Un fin romancier est né, il en a les mots, les rêves, la drôlerie, il faut que son regard continue de le porter loin, très loin.

©Alain Fleitour

Claudine Helft, Un ciel au bord du ravin, (ED. Obsidiane, Textes poétiques), ISBN : 2916447903,5 février 2019.

Chronique d’Alain Fleitour

Claudine Helft, Un ciel au bord du ravin,  (ED. Obsidiane, Textes poétiques), ISBN : 2916447903,5 février 2019.
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Glisser derrière un titre, un paysage enchanteur, c’est inviter à découvrir la délicatesse de l’auteur. Écrire Un ciel au bord du ravin c’est évoquer plus qu’un ciel et mieux qu’un ravinement rocheux. Claudine Helft nous retient, pour mieux nous happer. 


En montagne, lorsque l’on grimpe on ne parle pas de ciel, mais de gaz comme une juxtaposition de profondeurs, d’envols, de mystères où les couleurs sur la roche s’embaument de gris, de bleu, de blanc avec de temps en temps ces rayons qui vous éblouissent et vous transpercent l’âme. 


Un ciel au bord du ravin a toutes ces apesanteurs, toutes les apparences du ciel et de sa magie. le texte renvoie à la solitude, à l’alpha et à l’oméga, au commencement et à la fin de chaque émotion, d’où surgissent et où reviennent les ricochets de la vie. « La vie , c’était ce silence sous ta peau et cette surprise en apothéose », la vie un instant de griserie brève, une antienne aux couleurs du ciel: La vie attend derrière la nuit. 


Dans certains textes le lecteur voudrait se fondre et s’immerger dans la partition des vers où tout fut bleu. Parfois lire les textes de Claudine Helft c’est goûter à la douceur, « à la douceur lisse-amère d’un ailleurs qui se répète, et se conjugue dans la blancheur vierge d’une neige sans risque de froidure ».


Dans d’autres textes le lecteur cherche à prendre son envol, lancé en cavale de sa propre tristesse dans une chevauchée folle et le silence des premiers soleils.

« Dans le visage de l’être aimé, avoir mille bras, et ce regard qui fleurissait tes rivages ». 


De la floraison des silences en floraison de gestes artificiels, parfois la lumière des écrans  dessine des nuits arbitraires aux croisées d’ordinateurs, c’est le virtuel qui est en ligne de mire, dénoncé comme une impasse. 


Claudine Helft nous invite à l’apaisement, au recueillement, à la méditation devant la splendeur paisible de l’immensité éphémère de la vie. C’était le pardon de la terre aux hommes que ce silence ciblait, tout en haut de la démesure au pic de la création, là où se dénoue la note bleue comme « un ciel qui envoûterait les hommes. Vertige du bleu et houles des vagues à l’armure des draps ».


J’aime la poésie qui réinvente la pluie, la pluie « qui dérobe la nuit aux enfants », une « pluie rouillée », qui lave le ciel, « une pluie à grisailler les tableaux de Boudin ».


J’aime le secret du chant quand elle reprend, « l’œil se perd dans les détails », « l’œil perdu en marge des marines en fleurs », et « que son œil à aile », perçoit les rives d’une mélodie, d’où « elle délie le lien qui la retient ».

J’aime l’Amour à deux quand s’égrenait en pollen le trop de richesse, sur ses hanches nues, « dans la percée sauvage d’un éclair, nous rions de n’être que deux et l’Univers ».


J’aime ces mots qui parlent d’un frère disparu, car « laissez-moi ma peine elle n’appartient qu’à moi. Cette peine, elle est celui des rires et du tonnerre et des fins sourires, du trop plein de bonheur que je ne puis vous abandonner car elle est mon frère ».

« Ne prenez pas ma peine elle est en ce jardin ».


J’aime la façon dont Claudine Helft parle du deuil, 

« le deuil n’était pas dans la couleur 

il était la sourde douleur des arbres 

qui jaunissaient l’automne trop tard ».


J’aime sa terre, dont elle prononce sa douleur, « cette terre en détresse, cette terre lavée de miasmes, et de nos charognes et de nos crimes d’homme à homme, à rebrousse-poil des étoiles, lavée de tout serment et déboutée par eux pour t’avoir cru immortelle à l’image des cieux », « oh ma terre de détresse mal aimée ». 


Certains souvenirs, certains passants, certains paysages, « des pierres anonymes comme des liens nomment les toits rouges » et « la grande paix du vert assume la défaite tranquille du vent ».

« Des collines aux rondeurs assassines assument le pain quotidien des montagnes », là un ciel bleu perpétue le souvenir de Simone et de ces êtres si chers maintenant disparus. 


Magnifiques textes, aux multiples fulgurances, je suis resté longtemps en apesanteur, vivifié et comblé en attente d’un signe, comme pour me réveiller de mes songes. 

© Alain Fleitour   (20/05/2019)

Éric Fottorino, Dix-Sept Ans, Récit aux Éditions Gallimard, Paris le 16/08/2018, ISBN : 2070141128


Chronique d’Alain Fleitour

Éric  Fottorino, Dix-Sept Ans, Récit aux Éditions Gallimard, Paris le 16/08/2018, ISBN : 2070141128


Une quête et une randonnée vertigineuse cadencent les pas d’Éric  Fottorino pour retrouver celle qu’il appelait Lina ma toute petite, ma petite maman.


« Dix-Sept Ans”  est le portrait d’une mère, le regard d’une femme déchirée par un chagrin, étouffé depuis 1963, et le récit éperdu et glaçant d’une maman, qui n’ose pas encore regarder ses trois garçons dans les yeux, c’est aussi le long chemin d’Éric  Fottorino vers celle qui l’a un jour abandonné.

“Il était temps de rembobiner le temps, de m’enfoncer là où je n’étais jamais allé, au plus profond de l’oubli” confesse l’auteur page 41, dans son récit « Dix-Sept Ans”.
Pourquoi parler de sa maman ? Est-il si douloureux, pour son fils Éric Fottorino de parler de sa mère devenue grand-mère. Chaque souvenir ravive une blessure, chaque regard sur son passé rappelle un abandon.

L’enfant savait combien de fois, il a fuit et oublié toutes les menaces, d’où qu’elles venaient, car écrit-il, “Ce qu’elle a dit après, je l’ai oublié. Si je m’en étais souvenu, je n’aurais pas eu la force de vivre. L’oubli est une assurance-vie.”

Les trois enfants de Lina étaient au bord du gouffre au cours de ce déjeuner, c’était Waterloo. « Pour qu’elle soit si pâle son sang avait dû geler dans ses veines ». Lina avoua ce qu’elle ne leur avait jamais dit ; « Le 10 janvier 1963,  j’ai mis au monde une petite fille, je n’ai pas pu la serrer contre moi. Je ne l’ai pas vue. »

Après la révélation de la mère, des paroles fusèrent : « te pardonner, mais quoi, maman ? »

Seul Éric gambergeait. Où j’étais s’écria t-il?

Éric  Fottorino se déchaîne, maillon après maillon. Il remonte le temps, cherche la vérité, il doit enfin comprendre pourquoi il avait tant de mal à aimer maman.
Au fil des pages il parle, à Lina, à sa maman qui lui a enfin livré son lourd, son trop lourd secret. Nous sommes loin, nous lecteurs, il ne parle qu’à elle, il ne restera dans son récit que les mots écrits pour elle, 262 pages qui n’iront pas au ciel mais dans les mains de Lina, puis toucher son cœur, puis lui couvrir le visage de larmes.

De rencontres en témoignages, les données de son histoire éclairent ce que fut la famille de Lina, sa mère, une mère dépassée par les épreuves, la fuite d’un mari, le suicide d’un enfant…Une mère et Lina sa fille livrées au « gang des soutanes ».


Et quand elle supplia de poursuivre le récit de ta longue enquête, elle te dit : continue Moshé, et tu lui répondis, « je ne suis pas Moshé », elle n’entendait pas, mais laissa passer une ombre.

Elle dépliait ainsi le temps de ses « Dix Sept Ans” comme une nappe blanche toute neuve, dans les yeux de son fils.
« Comme il faudrait trouver d’autres moyens plus doux pour s’aimer ».

Dans cette mémoire retrouvée les traits de Lina s’embellissaient et le récit de son fils effaçait les rancœurs du passé.
La joie de mettre au monde Éric éclate sous le soleil de Nice.
« Il est cinq heures du soir et nous venons de naître ».

Hervé le Tellier, Toutes les Familles Heureuses, éditions J-C Lattès, roman autobiographique, ISBN: 2709660814, paru le 23 août 2017.

Chronique d’Alain Fleitour

Hervé le Tellier,  Toutes les Familles Heureuses, éditions J-C Lattès, roman autobiographique, ISBN: 2709660814, paru le 23 août 2017.

Écrire sur sa famille est périlleux. Entre un Sorj Chalandon et le portrait au vitriol de son père à l’humour et l’ironie cinglante et le panorama familial déjanté distribué par Lionel Duroy, il y aura maintenant le rire Oulipien du monstre Hervé le Tellier.


Le monde familial d’Hervé le Tellier s’égrène dans une ambiance de feu, où sa méchanceté se glisse partout, jusque dans ses phrases anodines : « même pour des actes indignes, il faut un peu de trempe. Sans doute n’aurait-il pas su refuser de monter dans un mirador, parlant de son père adoptif Guy, page 17.


Ce label de stupidité servile, l’auteur le nomme la dialectique du monstre.

« J’ai appris la mort de Serge par un après-midi ensoleillé. Serge est mon père. C’est par ces mots que ma sœur qui est ma demi-sœur, m’a appris la nouvelle ».

« Pour rassurer Jean Pierre Verheggen, un ami de la famille, j’ai dit en souriant : ce n’est rien, mon père est mort ».

« Alors j’ai su que j’étais un monstre », écrit-il page 15.

Ce père, volage de tradition coutumière et familiale, de Marceline à Marinette puis de Marinette à Svetlana, puis de Svetlana à Rosy, finira seul ; Serge apercevra la belle Svetlana embarquer pour la Corse où elle ouvrira un restaurant thaïlandais à Porto-Vecchio. L’homme démasqué découvrit ses valises, « sur le palier, devant la porte au nouveau verrou, qu’aucune de ses clés n’ouvrait » ; son propre père venait de sonner la fin du vaudeville.


L’affaire avait bien mal commencé. Ainsi, « quand mon père émergeant d’un songe », dit soudain, page 75, « j’aimerais tellement avoir un enfant. Ma mère alors lui rappela : Mais… tu as un fils, il est là, devant toi, en me désignant, bébé rose de six mois qui prend son biberon ». Quand la vie commence de travers il ne faut plus s’étonner que le jeune Hervé le Tellier, décide de partir, deux jours après ses 18 ans.


Fallait-il qu’il se révolte dans ce contexte déliquescent où chaque souvenir cachait une autre histoire et d’autres souvenirs ? Dans ce présent totalement flou, comme la chute de la maison Le Tellier (Stylos à plumes), ce présent aussi faux, que le jeune observateur de ses pairs note, fait semblant, simule, cachant ses véritables sentiments, observant avec délectation ce monde artificiel. Sa mère avait même caché au grand-père la mort de son fils, et celle du cadet, alors « elle brodait, elle brodait avec ardeur ».


La fin aurait du être ensoleillée par la beauté de la belle jeune femme, Piette, et tout était en place pour une fin heureuse jusqu’au moment où il évoque son suicide.

« Piette était enceinte de quatre mois quand elle se jeta sous un train. » Certes elle était de santé fragile et souffrait de troubles dépressifs. Elle sortait de l’hôpital, lui avait laissé un message sur le répondeur: « Viens me chercher, vite, je t’aime ». Il n’était pas allé la chercher.

Très vite il a compris, elle s’est suicidée.


Pour achever ce livre, il lui faut affronter la fragilité de l’enfance, la fragilité des sentiments et plus encore de la vie, son regard à distance qui l’a façonné donne à ces dernières pages une émotion intense. Il affronte sa famille une dernière fois peut-être comme le point d’orgue d’une enfance qui ne pouvait se terminer qu’en impasse, sa mère ne trouvant que ces mots : « elle avait tout de même un drôle de prénom »


La digue se rompt, Hervé entre deux picotements d’yeux, ajoute : « Je ne m’inscris nulle part. J’ai décidé de n’être rien. Rien n’est plus tabou que le désamour et l’éloignement. Je suis fait de bric et de broc. Un enfant n’a parfois que le choix de la fuite. » P 221.

© Alain Fleitour