Hervé le Tellier, Toutes les Familles Heureuses, éditions J-C Lattès, roman autobiographique, ISBN: 2709660814, paru le 23 août 2017.

Chronique d’Alain Fleitour

Hervé le Tellier,  Toutes les Familles Heureuses, éditions J-C Lattès, roman autobiographique, ISBN: 2709660814, paru le 23 août 2017.

Écrire sur sa famille est périlleux. Entre un Sorj Chalandon et le portrait au vitriol de son père à l’humour et l’ironie cinglante et le panorama familial déjanté distribué par Lionel Duroy, il y aura maintenant le rire Oulipien du monstre Hervé le Tellier.


Le monde familial d’Hervé le Tellier s’égrène dans une ambiance de feu, où sa méchanceté se glisse partout, jusque dans ses phrases anodines : « même pour des actes indignes, il faut un peu de trempe. Sans doute n’aurait-il pas su refuser de monter dans un mirador, parlant de son père adoptif Guy, page 17.


Ce label de stupidité servile, l’auteur le nomme la dialectique du monstre.

« J’ai appris la mort de Serge par un après-midi ensoleillé. Serge est mon père. C’est par ces mots que ma sœur qui est ma demi-sœur, m’a appris la nouvelle ».

« Pour rassurer Jean Pierre Verheggen, un ami de la famille, j’ai dit en souriant : ce n’est rien, mon père est mort ».

« Alors j’ai su que j’étais un monstre », écrit-il page 15.

Ce père, volage de tradition coutumière et familiale, de Marceline à Marinette puis de Marinette à Svetlana, puis de Svetlana à Rosy, finira seul ; Serge apercevra la belle Svetlana embarquer pour la Corse où elle ouvrira un restaurant thaïlandais à Porto-Vecchio. L’homme démasqué découvrit ses valises, « sur le palier, devant la porte au nouveau verrou, qu’aucune de ses clés n’ouvrait » ; son propre père venait de sonner la fin du vaudeville.


L’affaire avait bien mal commencé. Ainsi, « quand mon père émergeant d’un songe », dit soudain, page 75, « j’aimerais tellement avoir un enfant. Ma mère alors lui rappela : Mais… tu as un fils, il est là, devant toi, en me désignant, bébé rose de six mois qui prend son biberon ». Quand la vie commence de travers il ne faut plus s’étonner que le jeune Hervé le Tellier, décide de partir, deux jours après ses 18 ans.


Fallait-il qu’il se révolte dans ce contexte déliquescent où chaque souvenir cachait une autre histoire et d’autres souvenirs ? Dans ce présent totalement flou, comme la chute de la maison Le Tellier (Stylos à plumes), ce présent aussi faux, que le jeune observateur de ses pairs note, fait semblant, simule, cachant ses véritables sentiments, observant avec délectation ce monde artificiel. Sa mère avait même caché au grand-père la mort de son fils, et celle du cadet, alors « elle brodait, elle brodait avec ardeur ».


La fin aurait du être ensoleillée par la beauté de la belle jeune femme, Piette, et tout était en place pour une fin heureuse jusqu’au moment où il évoque son suicide.

« Piette était enceinte de quatre mois quand elle se jeta sous un train. » Certes elle était de santé fragile et souffrait de troubles dépressifs. Elle sortait de l’hôpital, lui avait laissé un message sur le répondeur: « Viens me chercher, vite, je t’aime ». Il n’était pas allé la chercher.

Très vite il a compris, elle s’est suicidée.


Pour achever ce livre, il lui faut affronter la fragilité de l’enfance, la fragilité des sentiments et plus encore de la vie, son regard à distance qui l’a façonné donne à ces dernières pages une émotion intense. Il affronte sa famille une dernière fois peut-être comme le point d’orgue d’une enfance qui ne pouvait se terminer qu’en impasse, sa mère ne trouvant que ces mots : « elle avait tout de même un drôle de prénom »


La digue se rompt, Hervé entre deux picotements d’yeux, ajoute : « Je ne m’inscris nulle part. J’ai décidé de n’être rien. Rien n’est plus tabou que le désamour et l’éloignement. Je suis fait de bric et de broc. Un enfant n’a parfois que le choix de la fuite. » P 221.

© Alain Fleitour