Sonia Elvireanu, Le Silence d’entre les neiges, L’Harmattan, 2018.

Une chronique de Béatrice Marchal

Sonia Elvireanu, Le Silence d’entre les neiges, L’Harmattan, 2018.

Le ton est donné dès le premier vers : « Tu n’étais nulle part, je t’ai appelé » ; dans « l’épouvante » d’un monde désormais littéralement privé de sens – « il n’y avait plus ni bout ni commencement,/ aucun chemin derrière, aucune voie » –, reste la douleur d’une femme que la mort de son mari a placée « entre le silence et la brûlure », « l’âme égarée », ayant perdu jusqu’à « [sa] propre trace » dans son « corps-souvenir ». 

Pourtant, puisque l’amour qui fut, demeure, elle veut « endormir le soupçon/ que tout n’était que fumée » ; de sa terrible solitude, la poète va tenter de faire « une voie » où retrouver des « traces » de l’Aimé, notamment dans la neige, avec son silence, sa blancheur qui l’associe au vide mais aussi à un réel immatériel ; elle-même y sera « dans l’embrassement du Ciel et de la Terre,/ […] la ligne de l’horizon ». D’où une poésie aux résonances métaphysiques – « Lequel de nous/ est-il réel ? » – où se mêlent références mythologiques et bibliques. 

Certes, l’évocation des souvenirs d’un amour heureux restitue momentanément la présence du disparu ; le monde extérieur parle à sa manière de l’aimé : « Ton effleurement n’est que fraîcheur,/ une brise si douce/ que toute inquiétude s’évanouit » ; un échange devient presque possible : « à chaque tombée du soir je suis toujours/ plus loin, mais si près de toi, mon amour ». D’où la quête éperdue d’un signe : « fais-moi découvrir que tu vis/ quelque part dans un autre temps ». 

Mais l’indéfectible fidélité de chaque instant ne rend pas la solitude moins pesante : « Où te retrouver sur la voie de la solitude ? » ; si souvent le monde se tait, « le néant » semble triompher. 

C’est alors que la voix de l’Aimé se manifeste à travers les choses regardées qui deviennent chant : « je suis là, si près de toi, écoute ton cœur,/ le seul appui sur la voie de la solitude » ; pourtant, s’il peut se manifester dans la « caresse soyeuse » des flocons de neige, il reste difficile d’écouter l’ange dans « le vide de l’absence », « l’errance dans le néant »… Jusqu’à ce que cet ange prononce le mot décisif : « la chute n’est pas sous mon signe,/ seul le jeu infini de la vie/ qui ne veut pas mourir ». C’est à la parole de sauver ce qui reste : « les choses n’ont plus de nom,/ seuls les souvenirs/ se hâtent d’en  prendre un/ pour que tu prennes corps dans le réel ». 

Ainsi, à travers les mots, chargés de célébrer un « hier si vivant/qui […] parle […] autrement,/ comme tout ce qui est perdu », va pouvoir se « retrouver le psaume », « le psaume de la vie » pour ceux qui ont « jeté l’ancre dans l’infini ». Une vision de la destinée humaine s’affirme, où conformément à la « promesse sainte », « chacun peut être l’arc-en-ciel,/ le commencement de l’accomplissement sur la Terre » ; « la voie de la solitude » se redéfinit comme « la seule voie vers toi : l’amour ». 

L’unité de cet émouvant recueil écrit en français par une poète roumaine est assurée par la reprise d’un même vocabulaire, d’évocations connues (neige, papillons jaunes, pommiers, mer bleue de la Grèce…) mais aussi par la  concaténation des titres, dont un mot appelle le poème suivant. 

                                                                  ©Béatrice Marchal

Sonia Elvireanu a été publiée dans le « Concerto pour marées et silence, revue » de Colette Klein, numéro 12-2019