Chantal Couliou, Instants nomades, Éditions Gros Textes, 8 €

Une chronique d’Hervé Martin

Chantal Couliou, Instants nomades, Éditions Gros Textes, 8 €


Le livre de Chantal Couliou est composé de trois parties, Instants nomades qui donne son titre au livre, suivi par Effacement et À l’écart du monde. Ils créent ensemble un mouvement qui commence par la marche où naît l’écriture, se poursuit dans un abattement passager de la poète et se termine sur un optimisme volontariste. Les poèmes sont accompagnés par une dizaine d’œuvres picturales et colorées d’Yves Barré qui ponctuent agréablement la lecture. On pressent bien que la période de Covid et de confinement que nous avons vécu n’est pas étrangère à l’écriture de ce court livre.

Les pensées qui traversent Chantal Couliou dans la marche, nourricière pour l’écriture, font naître les poèmes.

« Aller, venir / au gré du vent » et marcher dans les éléments de neige et de vents glacés, c’est pour la poète l’occasion de « se délester / de ce trop-plein de gris » qui l’inonde et trouver une conduite à tenir afin d’« Avancer vaille que vaille / jusqu’à la ligne d’horizon. » Mais il lui faudra avant cela éprouver « une longue traversée de la nuit. »

Celle-ci passe par l’« Effacement ». Titre de cette deuxième partie du livre où l’autrice est confrontée à ses doutes et à sa capacité de faire face à cette période inouïe. Elle est gagnée par des pensées sombres où son identité devient floue et ses traces imperceptibles :

« Disparues / mes traces. / Qui suis-je ? »

Alors, en quelques poèmes, c’est le sens même de la vie qui est questionné. Tout s’efface : les traces, les pas, le nom, le corps dans la poussière, jusqu’à ce que sa réflexion l’entraîne dans un gouffre, une « nuit sans limite » où elle atteindra « l’épicentre de son mal-être. »

Mais passés ses introspections et ses doutes, la troisième partie s’ouvre sur une volonté réactive : celle de « Ne pas se tenir / à l’écart du monde ». C’est la partie la plus importante du livre. La poète se replonge dans le vivier du monde contre « le chaos et la violence », se penche « sur la primevère sauvage » qui défie l’horreur et se veut accueillante pour « le sourire de l’autre ».

Contre les craintes qui la freinent elle choisit alors de ne pas rester à l’écart du monde.

« Ne pas se tenir / à l’écart du monde/ mais s’y plonger / pour s’ouvrir aux autres. » Convaincue qu’« il ne faudrait pas / que la peur /demeure notre seul viatique ». Chantal Couliou sait qu’il faut rester – à l’écoute du monde – pour entendre sa respiration vitale. Ainsi dans les deniers poèmes du livre l’horizon s’éclaircit dans des visions d’espérances qui redonnent confiance dans la vie qui se poursuit et s’apaise alors.  

©Hervé Martin

Philippe Mathy, Étreintes mystérieuses, Coll. Grand ours, Éditions L’ail des ours, 2020

Chronique d’Hervé Martin

Philippe Mathy, Étreintes mystérieuses, Coll. Grand ours, Éditions L’ail des ours, 2020


Ce petit livre est source de joies pour le lecteur. Composé au feu du regard et de la langue, il est né de la proximité qu’entretient Philippe Mathy avec la nature.

En guetteur sans but tel qu’il se définit, il puise sa poésie dans l’observation des paysages de campagne et des jardins qu’il fréquente assidûment, avec une vive attention aux arbres, aux oiseaux, aux bruissements de la nature et aux ciels qui les recouvrent.

Dans ces moments de quiétude, il est à l’affût de ravissements sonores ou visuels qui lui seront offerts.

Les peintures colorées de Sabine Lavaux-Michaëlis, couleurs automnales ou reflets de ciels accompagnent avec justesse les textes.

Le livre est composé en deux parties intimement liées. 

La première, sans titre, fait écho aux éclats de ce monde que le poète perçoit et révèle dans des proses poétiques à la fois sensibles, délicates et précises. 

La seconde, assez brève, intitulée au bord de l’encre, dit le désir qui anime le(s) poète(s) pour circonscrire, à jamais par les mots, ces émotions captées aux rivages du monde : ces étreintes mystérieuses.

Le lecteur comme au sein de la forge du poème, découvre ici la manifestation de la création  poétique.

Les poètes sont des révélateurs de beautés parfois invisibles. Philippe Mathy montre bien l’état qui naît en lui lorsqu’il est porté à la joie par une scène, un animal, un paysage… Saisi soudain, par ce que l’on nommait autrefois « l’inspiration ». On sait aujourd’hui que nul dieu n’inspire les poètes, si ce n’est leur sensibilité d’Être au monde.

Philippe Mathy est ainsi attentif aux moindres scintillements de lumières, qui percent l’ordinaire des jours.

«  Lumière rasante des beaux jours de novembre, douce et discrète sur les pierres des murs… »

C’est dans une attente sereine qu’il se laisse absorbé par l’univers(t) qui l’entoure. 

Ses mots puisent leurs sources aux paysages de la nature, aux feuillages des arbres ou aux successives lumières du jour. 

« Pourvu qu’on la veille, la lumière germera sous nos paupières. » 

Méditatif, il est comme un quêteur d’émotions, attentif aux moindres bruits, aux chants des oiseaux ou aux éclats de couleurs qui surgissent de l’apparente immobilité des paysages qu’il traverse.

« Une voix dans le silence. Chacune des syllabes frémit comme feuilles en automne, bercées par une brise légère. On ferme les yeux pour écouter ce qui se met à chanter plus loin que cette voix… »

Parfois l’instant vécu s’auréole d’une déception, devant l’échec de n’avoir pu saisir entièrement la joie qu’il recelait.

« La lumière est si belle et si nue qu’on rêve de lui donner la main pour s’avancer avec elle dans le jardin…/… Mais les couleurs vibrent au dehors, pas au-dedans. La transparence des vitres avoue des barreaux plus froids que l’acier ; le corps immobile ne sent monter en lui qu’un murmure de solitude. » 

Avec la voix du poète, c’est aussi l’enfance qui éclot dans le livre :

« J’ai dévalé le vallon, croisé quelques roches, quelques arbres, cueilli un chant d’oiseau, goûté au sourire du ciel bleu, ressuscité l’enfant sauvage d’autrefois. »

Ces moments fugaces puisés par les campagnes et les chemins la rappellent par bribes. Le poète retrouve alors la légèreté de l’enfance. Elle s’ouvre à lui avec cette faculté retrouvée d’accueillir les joies que les beautés de la nature procurent. 

« Étoile lointaine de l’enfance, sous quel regard berces-tu mon sommeil, pour apporter encore, après toutes ces années, tant de lumière à mes rêves ? ».

©Hervé Martin