Rome Deguergue, La part des Femmes suivi de & Ros(e) Noir(e). Roman, Paris, L’Harmattan, 2021, 417 p., ISBN: 978-234322-1632

Une chronique de Concetta CAVALLINI

Rome Deguergue, La part des Femmes suivi de &Ros(e) Noir(e). Roman, Paris, L’Harmattan, 2021, 417 p., ISBN: 978-234322-1632


La créativité de Rome Deguergue étonne et surprend encore une fois le lecteur. Elle le leurre, elle le piège déjà à partir de cette définition de « roman » qui apparaît sur la couverture de ce dernier ouvrage de création. En effet, qu’est-ce qu’un roman si ce n’est un ouvrage suivi, un texte linéaire que la modernité a transformé à partir de Joyce et du monologue intérieur mais qui trouve néanmoins une unité foncière, ne serait-ce que dans la ligne assonante des connexions de nos pensées ? Et ici au contraire nous sommes face à un parcours différent, un parcours de lecture où le chiffre est celui de la fragmentation de l’écriture de textes brefs sur un ordinateur, une écriture féminine, comme presque toujours chez Rome Deguergue, mais découverte par un fils, donc lue par les yeux d’un homme, dans une re-composition de l’unité perdue.

La volonté de placer l’écriture dans le contexte contemporain dérange aussi le lecteur. Car le poète, l’écrivain, ne sont plus loin de la réalité, comme cela arrivait pour les prophètes romantiques, ils ne sont plus des victimes du désarroi psychologique et social, comme Baudelaire et les symbolistes. Le poète s’apparente à son lecteur, en a les habitudes, recherche un voisinage et une proximité qui lui permettent la compassion, au sens étymologique du mot, l’expérience de vibrer, de se sentir à l’unisson, d’éprouver les mêmes sensations. Et c’est de fragments et de visions « humaines, trop humaines » (p. 313) que parle la note « À propos de l’écriture, Les Elles du désir » (p. 313-14).

La structure du “roman” aussi pose problème : s’agit-il d’un ensemble partagé en deux parties ou bien de deux ouvrages différents ? La première partie, Les Elles du désir, a une structure circulaire, introduite et close par un texte ayant le même titre « Clinique Tivoli au printemps ». Le corps est partagé en soixante-sept brefs textes (cinquante-six constituant la première partie, les onze autres la seconde, avec une numérotation consécutive). La deuxième partie, & Ros(e) Noir(e), est formée de trente-et-un textes plus intimes, contenant les confessions et les confidences d’une/plusieurs femmes. Sur le statut de ces confidences Rome Deguergue se plaît à brouiller les pistes (« vraies / fausses», p. 398, « À propos de l’écriture d’& Ros(e) Noir(e)»).

La marque de l’écriture de Rome Deguergue reste la variété, la couleur multiforme de l’existence, la profonde puissance de la féminité qu’elle peint fragmentée en identités, âges et expériences différentes, mais qui recompose toujours son unité. Une Femme qui est en même temps mère, fille, amante, muse, créatrice, poète, écrivaine. La couleur est aussi celle de la table des matières, où Rome Deguergue suggère de suivre des parcours par couleurs, en zappant certains récits. Faute d’unité? Bien au contraire, proposition d’unité différente, de regard novateur, d’approche créative. 

Et comme elle l’affirme presque dans la conclusion de cet ouvrage, « à l’inverse du roman classique dans lequel est souvent dépeinte une vie dans son ensemble… » (p. 401); oui, à l’inverse du roman classique Rome Deguergue crée ici un quelque chose de différent, contemporain et classique, moderne et novateur, féminin, mais de cette féminité qui donne naissance aussi au masculin, dans une perspective totalisante. Le lecteur lui sait gré de cette infatigable confiance en la vie et en l’écriture, de cette réactualisation toujours efficace de sa pensée et de sa créativité à la lumière de la modernité, même informatique, et se plaît énormément à se faire surprendre et à s’étonner par ses taches de couleurs et par ses mots vivifiants qui se lisent avec une grande fluidité.

©Concetta CAVALLINI

Professeure – Università di Bari Aldo Moro – Italie

https://www.uniba.it/docenti/cavallini-concetta