Chronique d’une affection poético-virale

Chronique de Georges Cathalo

Chronique d’une affection poético-virale

     Après un an de pandémie mondiale, il est temps de faire le point sur quelques réactions d’écrivains et de poètes. Réactifs à ce phénomène hors du commun, ils (et elles) ont produit des écrits souvent spontanés sous forme d’articles et de poèmes, de libelles et de recueils. Ils (et elles) avaient compris dès le début de la crise sanitaire que rien ne serait plus « comme avant » et que ce profond sentiment de finitude qui les animait allait contaminer à son tour la population toute entière, dans l’espoir (?) que cette dernière puisse enfin se concentrer sur l’essentiel d’une existence. 

     Dès le mois de mars 2020, on a pu lire ou entendre, ici ou là, des centaines de textes singuliers. Citons-en quelques-uns :

    Ensuite, et ce n’est pas fini, quelques livres commencèrent à voir le jour. Nous en avons retenu quatre, tous très singuliers, ouvrages que nous allons brièvement présenter.  

Salvatore Sanfilippo : 54 activités amusantes pour un confinement réussi (Gros Textes éd., 2020) 102 pages, 8 euros – Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net .

    Face aux situations extrêmes comme la crise sanitaire de 2020, la réactivité des poètes a été efficace. On a pu en mesurer l’étendue avec la circulation des écrits sur internet. Le 8° livre de Sanfilippo s’inscrit dans la ligne des précédents avec ici la parodie d’un livre de recettes pratiques. Comment réussir son confinement à partir de toutes petites choses ? Comment dépasser la sidération ? Grâce à un arsenal de petits jeux que l’on découvre avec délectation en souriant. Un conseil pour conclure : conservez précieusement cette plaquette car elle pourra vous être utile dans les années à venir afin de faire face par exemple à la 23° vague de la pandémie en 2030… 

Chiara Mulas : Coronamask (Maelstrom éd., 2020), 88 pages, 15 euros –maelstrom414@maelstromrevolution.org ou 364, Chaussée de Wavre – B 1040 Etterbeek

     La très longue (11 pages) présentation de Serge Pey, son compagnon, permet de découvrir le cheminement artistique de Chiara Mulas. Du 17 mars au 11 mai 2020, elle a créé chaque jour un nouveau masque qu’elle a porté sur son visage et dont on retrouve ici la photo avec, au-dessous, un sobre commentaire mais un point de départ commun : « Il est désormais impossible d’acheter des masques en pharmacie. PAS DE SOUCI ! ». L’artiste enchaîne avec juste quelques lignes qui éclaireront la lecture. En effet, en soulevant délicatement le masque, on devine les interrogations que cette situation inédite n’aura de cesse d’engendrer.  

Claude Ribouillaud : Le printemps où la vie s’arrêta (Gros Textes éd.,2020), 80 pages (au format A4), 12 euros – Fontfourane 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net 

    « Litanies des Confinés » est le sous-titre de ce fort recueil très original, et c’est suivi de « Complaintes d’actualités sur des airs connus ». Pilier des Journées de Durcet aux côtés de Jean-Claude Touzeil, Claude Ribouillaud est aussi musicien et chansonnier à l’humour ravageur et à l’imagination débordante. Une seule page lui suffit pour présenter ce qui l’a conduit à parodier une cinquantaine de chansons anciennes qu’il a donné en partage à son entourage (famille et voisins) pour des chorales improvisées destinées à « chanter dans la rue chaque jour » du confinement. Les illustrations à l’ancienne font de ce livre un objet rare que l’on gardera non loin de soi pour, qui sait ( ?)  chanter avec ses proches ces « couplets et refrains revisités » dans une saine contamination vocale. 

Jean-Claude Martin : Au Temps du Corona (À l’index éd., 2021), 46 pages, 12 euros –  

     Pour qui suit ce poète depuis 40 ans (ce qui est mon cas !), on lira ici du Jean-Claude Martin pur jus, reconnaissable avec ses « petits poèmes dits en prose » dans lesquels il donne à partager ses émotions et ses observations, ses impressions et ses humeurs. La tête levée vers un ciel de plus en plus vide et absent, Jean-Claude Martin tente d’organiser autour de lui une résilience apaisante à partir des minuscules choses qui l’entourent.  

© Georges Cathalo

Jean-Michel Bongiraud

Une chronique de Georges Cathalo

Jean-Michel Bongiraud 


     La retraite professionnelle a permis à Jean-Michel Bongiraud de reprendre un second souffle et de repartir à la charge avec autant d’enthousiasme que l’éternel adolescent qu’il ne cesse d’être. Sa révolte, sa passion et sons sens de la fraternité sont intacts. Ni l’âge venant ni la violence de l’époque que nous vivons n’ont entamé sa ferveur communicative. 

     Ce préambule n’est là que pour apporter un éclairage particulier sur trois nouvelles publications de ce poète en 2019. Ces trois recueils complètement différents sont complémentaires dans le fond et dans la forme. Ils sont aussi le reflet de la générosité du poète. 

     Dans Le coin du tableau, Jean-Michel Bongiraud dresse un constat réaliste de son parcours poétique en se livrant à une auto-analyse particulièrement lucide. Il s’agit de poèmes bruts de décoffrage, de tourbillons de mots où se croisent la révolte et la tendresse. Une vraie réussite et une sacrée prouesse poétique. 

     Avec Voyages anarchistes, l’auteur nous entraîne dans un périple tourbillonnant avec de longues laisses de vers au rythme soutenu, où relances et reprises bousculent la lecture. La mise en voix de ces textes pourrait donner lieu à un formidable spectacle.

     Dans le 3° recueil, Enfants fraternels, Bongiraud livre une nouvelle facette de sa personnalité en liaison directe avec son nouveau « statut » de grand-père. Il y poursuit son interrogation métaphysique à partir de simples observations quotidiennes. Ce joli petit livre peut être abordé à plusieurs niveaux de lecture sans dénaturer la gravité de cette poésie humaniste.


  • Le coin du tableau (Encres Vives éd., 2019), n.p. (20 pages au format A4), 6,10 euros, 2 allée des Allobroges, 31770 Colomiers
  • Parcours anarchistes (A l’index éd., 2019), 52 pages, 12 euros, 11 rue du Stade, 76133 Epouville
  • Enfants fraternels (Stellamaris éd., 2019), 68 pages, 12 euros, 1 rue Louis Veuillot, 29200 Brest

© Georges Cathalo

Christophe Forgeot, La Chambre des récoltes (Interventions à Haute Voix éd., 2019), 52 pages, 10 euros

Une chronique de Georges Cathalo

Christophe Forgeot, La Chambre des récoltes (Interventions à Haute Voix éd., 2019), 52 pages, 10 euros – 5 rue de Jouy – 92370 Chaville ou gerard.faucheux@numericable.fr


Il est heureux que les poètes contemporains puissent trouver encore des revues ou des anthologies pour les accueillir. Après avoir rassemblé en 2002 ses écrits allant de 1991 à 2001, Christophe Forgeot renouvelle cette expérience avec des poèmes parus entre 2002 et 2017. Poète économe de ses mots et de ses images, Forgeot fait montre d’une réelle humilité, lisible dès le premier vers du premier poème : « Nous sommes peu de choses », et il poursuit un peu plus loin « peu de choses avant de finir en cendres / Êtres de chair perdus dans la masse ». C’est la raison pour laquelle le miracle de chaque instant vécu demeure la pierre d’achoppement pour écrire. Le poète ne cesse de se le rappeler : « ouvre-toi à l’insurrection du présent », car il est « toujours en quête d’un futur ».   Aussi, « que reste-t-il d’autre à faire / Dire l’innommable » et puis tenter de se frayer un chemin. Pour cela, Forgeot loue la lenteur du panda, entretient le souvenir vivace des amis disparus et rappelle sa dette éternelle envers l’aimée. Lui qui voulait « encore ouvrir des portes » et « laver quelques mots », il parvient à entretenir la flamme fragile de l’existence et surtout il a composé ici un bien beau livre-collier formé de poèmes-perles dont le fil rouge serait la ferveur. 

©Georges Cathalo – juillet 2019

Trois belles anthologies

Chroniques de Georges Cathalo

Trois belles anthologies

« Attention, chute de droits ! » (Corps Puce éd., 2018), 88 pages, 12 euros – 27, rue d’Antibes – 80090 Amiens

Jean Foucault s’est toujours fait connaître pour son engagement poétique et politique. Depuis longtemps, il coordonne des projets et des actions en faveur des personnes les plus défavorisées. En regroupant des militants de plusieurs associations, il a pu présenter ici une anthologie en soutien aux sans-papiers et aux réfugiés en accueillant les écrits de 21 auteurs. On peut relever quelques noms bien connus pour leur humanisme actif : Patrick Joquel, Françoise Coulmin, Anne Poiré, Christophe Forgeot,… Ici, pas de mélo mais des poèmes à vif qui se lisent comme de déchirants témoignages. Le point d’orgue de ce livre nous semble être le sublime poème de six pages intitulé « La carte de séjour » que propose Ramiro Oviedo, poète franco-équatorien. On appréciera également le « bio-bibliographie-minute » finale des 21 pionniers qui ont contribué à la réussite de cette belle entreprise.

« Un haïku pour le climat » (L’iroli éd., 2018), 148 pages, 13 euros – 10, place du Plouy-Saint-Lucien -60000 Beauvais

Le mérite des concepteurs de cette anthologie consiste à proposer anonymement des haïkus qui se lisent finalement dans une belle continuité. Si on le souhaite, il est possible de retrouver les noms des auteurs en fin d’ouvrage. Ce livre est une superbe recueil au format à l’italienne et se présente comme un parfait écrin pour cette poésie engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique. « Fédérer des poètes citoyens » est une tâche difficile certes mais le haïku est une forme littéraire qui le permet et dans laquelle excellent des personnes comme Thierry Cazals, Danièle Duteil, Daniel Birnbaum, Chantal Couliou sans oublier Jean Antonini, Président de l’Association Française du Haïku ou l’éditrice Isabel Asunsolo. Il ne nous semble pas possible de citer des extraits de cet ensemble car tous les écrits témoignent d’une sensibilité aiguë aux phénomènes actuels. D’ailleurs, la diversité des approches dont celle de lycéens et d’anonymes rend cette entreprise encore plus émouvante. 

« Jardin(s) »  (Donner à Voir éd., 2019), 56 pages, 8 euros – 91, rue de Tripoli – 72000 Le Mans
Anthologie
dessins de Daniel MOREAU
Collection Singulier/Pluriels
56 pages, 8,00 

Les éditions Donner à Voir ont habitué les connaisseurs à des réalisations soignées sur du papier recyclé. C’est dans un format carré (14X14) qu’elles proposent régulièrement des anthologies thématiques : Voyages, Enfances, Soleils,… Le thème ici retenu est celui des Jardins avec la présence de 39 personnes toutes attachées au rôle capital que joue le jardin à la fois comme un refuge, un repaire mais encore un repère ou un sanctuaire. Les éléments vitaux (eau, terre, air) occupent une place importante aux côtés des végétaux bien sûr et des oiseaux (merles, mésanges, pies,…). La défense et l’illustration de la sagesse sont ici à l’œuvre à travers la philosophie du jardinier qui prend le temps de vivre et de regarder vivre. Les concepteurs de cette anthologie n’ont pas oublié de rendre hommage à Francis Krembel disparu en février 2109 et présent dans ce livre avec un poème intitulé « Obscure présence ».  

©Georges Cathalo – mai 2019

Trois livres pour un avant-printemps

Une chronique de Georges Cathalo

Trois livres pour un avant-printemps


François de Cornière : « Ça tient à quoi ? »

Avec François de Cornière, la fidélité en amitié n’est pas un vain mot. Cela va de l’incisive préface de Jacques Morin au dessin de couverture de Jean-Noël Blanc et passe encore par de nombreuses évocations de « poètamis » qu’ils soient vivants (J.P.Georges, R.Tixier, L.Dubost,…) ou morts (G.Haldas, J.Rivet, J.Rousselot). De la longue souffrance qu’il a vécue pendant plus de dix ans avec la longue maladie puis la disparition de son épouse Sophie, d’autres que lui se seraient repliés dans une déploration stérile. Lui, en guise de résilience, sait convoquer les mots qu’il a toujours su utiliser pour évoquer pudiquement des moments vécus, oubliés, puis resurgis au présent. Il y a comme ça des images qui « remontent / comme une arrière-mémoire ».  Le poète ne s’égare jamais « dans cette étrange fabrique de souvenirs / qui s’appelle l’écriture ». Il en connaît les pièges et les dangers surtout « quand on cherche à écrire en peu de mots / quelque chose de sa vie ». Au lieu du « je » habituel chez les poètes, il utilise un substantif impersonnel mais reconnaissable : l’homme. Ce personnage furtif surgit et disparaît presque aussitôt du paysage. Oui, François de Cornière est bien, et c’est si rare, « un poète qui ressemble / à ce qu’il écrit » : loyal et discret, juste et fidèle.

François de Cornière : « Ça tient à quoi ? » (Le Castor Astral éd., 2019), 200 pages, 13 euros – 1 rue Franklin – 93310 Le Pré-Saint-Gervais ou www.castorastral.com


Louis Dubost : « Diogène ou La tête dans les genoux »

Très belle édition pour ce Diogène : couverture à rabat, impression, mise en pages,…Il s’agit ici d’une « reprise enrichie » de deux anciens recueils parus en 2011 et 2016. Tout cela est redistribué dans un ordre alphabétique, ordre qui est aussi, selon Vialatte, « désordre, insolite et poésie ». Des abeilles à la zizanie, tous les éléments vitaux du jardin se mettent en place selon une importance variable : de quelques lignes pour l’abricot, la glycine ou le myosotis à deux pages pour les courtils, le haricot ou les vers de terre. Avec la complicité de son épouse, sa « merlette complice dans la vie et au jardin », l’auteur rythme sa vie sur celle des saisons : « Au potager, le temps prend son temps et le jardinier fait de même ». Au passage, Louis Dubost en profite pour égratigner quelques contemporains, poètes et politiciens sans oublier ces « écolo-bobos gavés au bio de chez bio » ou à ce faux-jardinier, « maniaque orwellien aux mains gantés et au nez masqué ». Il fait aussi un éloge appuyé des jardiniers, ces « anarchistes d’aujourd’hui » qui savent accueillir les variétés migrantes comme la carotte ouzbèke. Il s’interroge ensuite sur le devenir de l’espèce humaine avec la disparition de nombreuses espèces animales et végétales. Avec plus d’une centaine d’entrées encadrées d’un prologue et d’un épilogue, ce livre ouvre des espaces vitaux où l’on respire large et où l’on se pose à l’évidence la question cruciale : « Et si la poésie créait cet appel d’air dans notre monde qui étouffe ? ».

Louis Dubost : « Diogène ou La tête entre les genoux » (La Mèche lente éd., 2019), 120 pages, 16 euros – 45 rue du Beausoleil – 79260 La Crèche ou lespritcurieux85@gmail.com


Thomas Vinau : « C’est un beau jour pour ne pas mourir »

Chaque nouveau livre de Thomas Vinau (une cinquantaine en dix ans !) est une surprise. Il est impossible à l’avance de savoir ce qu’il contient car l’auteur n’a pas son pareil pour déranger le paisible confort du lecteur moyen. Son talent est tel qu’il peut jouer sur de nombreux registres littéraires et poétiques avec autant de brio. Sous un titre remarquable, il a rassemblé « 365 poèmes sous la main » dans l’esprit de ce que fit naguère Pierre Autin-Grenier avec ses Radis bleus qui sont ici évoqués plusieurs fois. Le ton est donné dès le premier texte : « J’écris des poèmes allumettes / de petites flammes / qui ne réchauffent rien / et qui me brûlent / le bout des doigts ». Ce sont de brefs poèmes centrés pleine page composés de pirouettes et de demi-tours, de stations assises et de sprints fulgurants. On y croise une  compagne patiente, les ombres tutélaires de Brautigan et de Carver sans compter avec toute une ménagerie hétéroclite composée d’un héron, de trois pies, d’ours polaires et de monstres indéfinis. Thomas Vinau décrit un monde étonnant dans lequel il se ménage des espaces en creux ou en relief selon son humeur : « Je ne chante pas le monde / je le murmure / il fait déjà bien assez de bruit ». Il y a chez lui une manière originale d’évoquer les petites choses du quotidien en allant chercher les angles morts, ces espaces furtifs qui échappent au commun des mortels. Curiosité, émerveillement, mélancolie : tous les ingrédients sont là pour que se mette en place une poésie vivante et vitale car, ne l’oublions pas, « la poésie doit être partagée / sinon elle ne sert à rien ».

Thomas Vinau : « C’est un beau jour pour ne pas mourir » (Le Castor Astral éd., 2019), 418 pages, 17 euros – 1 rue Franklin – 93310 Le Pré-Saint-Gervais ou www.castorastral.com


© Georges Cathalo – mars 2019