Chronique d’Alain Fleitour
Éric Fottorino, Dix-Sept Ans, Récit aux Éditions Gallimard, Paris le 16/08/2018, ISBN : 2070141128
Une quête et une randonnée vertigineuse cadencent les pas d’Éric Fottorino pour retrouver celle qu’il appelait Lina ma toute petite, ma petite maman.
« Dix-Sept Ans” est le portrait d’une mère, le regard d’une femme déchirée par un chagrin, étouffé depuis 1963, et le récit éperdu et glaçant d’une maman, qui n’ose pas encore regarder ses trois garçons dans les yeux, c’est aussi le long chemin d’Éric Fottorino vers celle qui l’a un jour abandonné.
“Il était temps de rembobiner le temps, de m’enfoncer là où je n’étais jamais allé, au plus profond de l’oubli” confesse l’auteur page 41, dans son récit « Dix-Sept Ans”.
Pourquoi parler de sa maman ? Est-il si douloureux, pour son fils Éric Fottorino de parler de sa mère devenue grand-mère. Chaque souvenir ravive une blessure, chaque regard sur son passé rappelle un abandon.
L’enfant savait combien de fois, il a fuit et oublié toutes les menaces, d’où qu’elles venaient, car écrit-il, “Ce qu’elle a dit après, je l’ai oublié. Si je m’en étais souvenu, je n’aurais pas eu la force de vivre. L’oubli est une assurance-vie.”
Les trois enfants de Lina étaient au bord du gouffre au cours de ce déjeuner, c’était Waterloo. « Pour qu’elle soit si pâle son sang avait dû geler dans ses veines ». Lina avoua ce qu’elle ne leur avait jamais dit ; « Le 10 janvier 1963, j’ai mis au monde une petite fille, je n’ai pas pu la serrer contre moi. Je ne l’ai pas vue. »
Après la révélation de la mère, des paroles fusèrent : « te pardonner, mais quoi, maman ? »
Seul Éric gambergeait. Où j’étais s’écria t-il?
Éric Fottorino se déchaîne, maillon après maillon. Il remonte le temps, cherche la vérité, il doit enfin comprendre pourquoi il avait tant de mal à aimer maman.
Au fil des pages il parle, à Lina, à sa maman qui lui a enfin livré son lourd, son trop lourd secret. Nous sommes loin, nous lecteurs, il ne parle qu’à elle, il ne restera dans son récit que les mots écrits pour elle, 262 pages qui n’iront pas au ciel mais dans les mains de Lina, puis toucher son cœur, puis lui couvrir le visage de larmes.
De rencontres en témoignages, les données de son histoire éclairent ce que fut la famille de Lina, sa mère, une mère dépassée par les épreuves, la fuite d’un mari, le suicide d’un enfant…Une mère et Lina sa fille livrées au « gang des soutanes ».
Et quand elle supplia de poursuivre le récit de ta longue enquête, elle te dit : continue Moshé, et tu lui répondis, « je ne suis pas Moshé », elle n’entendait pas, mais laissa passer une ombre.
Elle dépliait ainsi le temps de ses « Dix Sept Ans” comme une nappe blanche toute neuve, dans les yeux de son fils.
« Comme il faudrait trouver d’autres moyens plus doux pour s’aimer ».
Dans cette mémoire retrouvée les traits de Lina s’embellissaient et le récit de son fils effaçait les rancœurs du passé.
La joie de mettre au monde Éric éclate sous le soleil de Nice.
« Il est cinq heures du soir et nous venons de naître ».