Éric Brogniet, Bloody Mary. Road movie pour Marilyn Monroe

Une chronique de Paul Mathieu

Éric Brogniet, Bloody Mary. Road movie pour Marilyn Monroe

Avec une bibliographie riche de plusieurs dizaines de recueils abondamment salués par la critique, le poète belge Éric Brogniet s‘est souvent penché sur des thèmes en relation avec les failles – si nombreuses – de notre temps, qu’il s’agisse, notamment, de dérives scientifiques (Radical machines) ou de catastrophes industrielles (Tutti cadaveri). Dans un recueil précédent, Nos lèvres sont politiques, le poète s’était déjà arrêté à deux figures féminines emblématiques de la fin du siècle passé : Semira Adamu, une jeune ressortissante nigériane étouffée par des policiers belges dans l’avion qui devait la reconduire de Bruxelles à Lomé, et Monica Lewinsky, stagiaire à la Maison Blanche à l’époque de Bill Clinton.

Son nouveau recueil, Bloody Mary. Road movie pour Marilyn Monroe, s’attache cette fois à une des plus grandes légendes du cinéma américain. Une robe qui se soulève, du strass, du gloss, des paillettes, Happy birthday Mister President… autant de flashes qui résument Norma Jeane à une caricature, à une poupée de celluloïd postérisée pour la postérité en quelques clichés par le star system. Personnage sublime et tragique, tout à vivre scindée, Marylin incarne bien son époque et en constitue même le reflet implacablement exact : Votre beauté est comme un napalm sur fond d’azur.

Toutefois, parce qu’une vie ne se limite jamais à quelques représentations toutes faites, Éric Brogniet a repris le trajet de celle qui a été sacrifiée comme la Vierge moderne dans le brouhaha d’une médiatisation passée à côté de l’essentiel. Clairement, derrière son portrait glamour, la vedette de Certains l’aiment chaud était d’abord un être à la dérive, un être qui n’a cessé toute sa vie d’être partagé : Celle qui tente de vivre / Entre ce qui a manqué / Et ce qui, manquant encore/ Sera sublimé.

Avec un titre en référence à Élizabeth 1re et à Ernest Hemingway pour qui fut créé, dit-on, ce cocktail aux souvenirs d’hémoglobine, le texte pousse jusqu’à la prière adressée à une manière de sainte  – ou d’Eurydice – nouvelle : Je vous salue, Bloody Mary / Du fond des journées mornes / Et des seringues assoiffées. Ou encore : Je vous salue, ma sœur saccagée / Sous le couteau de l’absolu.

Souvent, le point de départ – une photo connue, une anecdote… – semble présent devant nous, mais revu à la lumière de tout ce qui le précède et de tout ce qui le suit. Au fond, tout tient peut-être dans cet Hollywood posé comme un Gold Gotha hanté par une trinité martyrisée : Marilyn, bien sûr, mais aussi Jean Harlow et Jane Mansfield, Messies des temps radieux de l’after world war / Crucifiées un peu avant ou un peu après leurs trente ans. Une sélection qui, sans problème, pourrait être multipliée.

Le choix de MM ne s’avère pas gratuit non plus sur le plan poétique. La comédienne n’a-t-elle pas souvent proclamé son amour pour Rimbaud, Joyce et Les Lettres à un jeune poète de Rilke, celui-là même qui, ailleurs, écrivait que tout ange est terrible ?

Au gré des poèmes d’Éric Brogniet, on suit ce parcours difficile depuis l’enfance inhospitalière auprès d’une mère absente, jusqu’au dénouement dramatique, Camée en son édifice en ruines, jusqu’au tiroir de la morgue où l’actrice n’est plus que cette torche de chair / Rendue atrocement / À la commune simplicité.

Portrait terrible, mais tout autant rédempteur, parce que la poésie est d’abord cela, ce fugace éclat qui nous sauve / Du massacre qu’on appelle la vie. Un éclair superbement amplifié encore par les illustrations en noir et blanc de l’artiste liégeois Thierry Wesel qui apporte une autre vision volontairement fragmentaire et complémentaire de cette traversée fracassée.

Éric BROGNIET, Bloody Mary. Road movie pour Marilyn Monroe, Châtelineau, Le Taillis Pré, 2019 ; 100 pages, 14 €

©Paul Mathieu

Un bateau s’en va

Chronique de Paul Mathieu

Un bateau s’en va

En mémoire de Luis SEPÚLVEDA

luis sepulveda

llanuras levantadas por las olas,
forman la piel desnuda del planeta

Pablo NERUDA, Canto general

Au milieu des brouillards du Pacifique sud, du côté de l’île de la Désolation, un bateau a pris le large. Il s’appelait Luis Sepúlveda. Emporté par l’épidémie de coronavirus, il s’en est allé dans des conditions étranges comme un autre grand Chilien, Pablo Neruda, en septembre 1973, s’en était allé dans d’autres circonstances hallucinées, celles du coup d’état de Pinochet. 

Que l’on ouvre cet hommage par une métaphore de bateau n’est pas le fruit du hasard quand, dans ce trajet, la mer joue un rôle essentiel : J’ai grandi au Chili, un pays avec cinq mille kilomètres de côtes. J’ai du mal à vivre sans avoir le murmure de la mer dans les oreilles. La mer c’est comme une invitation à embarquer, à changer d’horizon. Amoureux du large, l’écrivain aimait à souligner qu’entre Valparaiso et Hambourg, où il a vécu pendant quatorze ans, existait un lien très fort puisque tous les ports sont des fenêtres ouvertes sur le monde.

Né à Ovalle, à un peu plus de 400 kilomètres au nord de Santiago, le 1er octobre 1949, Luis Sepúlveda affirmait devoir beaucoup à son grand-père paternel qui lui lisait des pages entières de Don Quichotte. L’origine probable d’une vocation ! Plus tard, dès treize ans, vinrent l’embrigadement dans les jeunesses communistes et la rencontre avec Salvador Allende. Le jour du coup d’état de Pinochet, le 11 septembre 1973, tout s’est arrêté : À la fin de la journée, j’étais devenu un adulte. Après trois ans passés dans les geôles du dictateur et de ses sbires, grâce à une intervention d’Amnesty international, l’auteur chilien fut condamné à l’exil en 1977. Son périple passa par la plupart des pays d’Amérique du sud avant de le conduire en Europe où le temps a fini par panser certaines blessures : Le baume de l’oubli atténue toutes les passions quand les exils durent trop longtemps (La Lampe d’Aladino). 

Depuis 1997, le romancier avait fixé sa résidence à Gijón dans les Asturies, au nord de l’Espagne. C’est de là qu’il continuait à parler d’un pays martyrisé, un pays de vent, de lumière et de fruits que plus d’une fois nous avons laissé, oublié, sur quelque quai de gare en Europe.

En dépit des apparences, son installation sur la vieille terre ibérique sonnait plus comme un retour aux origines que comme un déracinement. Quand Luis Sepúlveda a débarqué à Gijón, il a su que ce pays ne lui était pas étranger : J’ai éprouvé le besoin de renouer avec la patrie. Mais la patrie, ce n’est pas notre terre natale. Notre patrie, c’est la langue maternelle. Cela ne l’a jamais empêché de revenir le plus souvent possible vers le Cono sur ni de saluer avec tendresse le Chili : Ese pais defectuoso. Ese pais perfectamente idiota y nuestro [Ce pays défectueux. Ce pays parfaitement idiot mais qui est le nôtre].

Les yeux sans cesse tournés vers l’ailleurs, vers l’inattendu, l’écrivain voyageait d’abord sur les ailes de son imagination. Veut-on un exemple ? Voilà quelques années, lors d’une rencontre avec le public au Botanique à Bruxelles, il l’avait montré de façon amusée en évoquant un spectacle scolaire auquel participait son fils alors âgé d’une dizaine d’années. À un moment donné, durant la représentation, une mouche était venue bourdonner autour des acteurs en herbe. À partir de ce moment-là, commentait Sepúlveda, mon fils et moi nous n’étions plus intéressés par le spectacle, mais uniquement par l’insecte importun, car, nous deux, nous savions bien que ce n’était plus une simple mouche, mais un vaisseau intergalactique en mission de reconnaissance sur notre planète.

Cette capacité d’inventivité a été exploitée à foison dans ses récits. Ainsi, avec le héros de son roman le plus connu, Le Vieux qui lisait des romans d’amour : coincé dans un trou perdu ironiquement appelé El Idilio, Antonio José Bolivar qui connaît la forêt équatoriale comme personne n’en développe pas moins un extraordinaire sens de l’analyse quand les pages qu’il déchiffre péniblement lui demandent parfois de concrétiser un monde si différent du sien, un monde qu’il ignore. Allez savoir ce que c’est qu’une gondole quand vous vivez au fond de l’Équateur au bord du Nangaritza, un lointain affluent de l’Amazone ! Sensible à la beauté de la langue, ce héros inclassable prend un malin plaisir à commenter les livres sentimentaux au même rythme qu’il les dévore. Un plaisir également à se laisser bercer par l’agencement harmonieux des mots : Quand un passage lui plaisait particulièrement, il le répétait autant de fois qu’il l’estimait nécessaire pour découvrir combien le langage humain pouvait aussi être beau.

Le lecteur lui aussi ne peut qu’être séduit par la musicalité des phrases et par la drôlerie tendre de personnages cocasses et douloureux en même temps. Le trio des protagonistes du roman phare que l’on vient de mentionner s’avère volontiers d’un comique irrésistible. Ainsi, ce dentiste qui doit officier sans anesthésie, arrachant les chicots à qui mieux mieux tout en justifiant comme il peut son manque d’équipement : Enfonce-toi bien ça dans le crâne. C’est la faute au gouvernement si tu as les dents pourries et si tu as mal. La faute au gouvernement.

Souvent au cours de ces aventures mi-burlesques mi-tragiques, les personnages paraissant comme tiraillés entre deux univers ou, à tout le moins, entre des positions plutôt antagonistes. Sans compter les revirements de situations assez peu attendus comme celui de cet ancien guérillero qui, dans Un nom de Torero, se reconvertit en videur de bordel… Signe de la prostitution inévitable qu’exige un monde moderne déraciné, détourné de ses valeurs primitives ?

À l’évidence, plus on avance, plus on a l’impression que tout oscille sans cesse entre gravité et insoutenable légèreté. L’impression qu’on est toujours dans un pays de carnaval, pour reprendre le titre d’un roman de Jorge Amado. Comme le soulignait Pierre Lepape dans Le Monde : Nous demandons du rire et des larmes, du rêve et des émotions, de la couleur et de la musique. Sepúlveda nous offre tout cela en brassées généreuses et fraîches.

Sans trop de surprise, ce travail littéraire s’inscrit bien dans la foulée d’autres grandes œuvres sud-américaines. Ses accents font immanquablement songer au García Márquez de Cent ans de solitude, mais ils rappellent aussi de façon prégnante le réalisme magique qui caractérise tant Miguel Ángel Asturias que Julio Cortázar. Comme ce dernier, l’écrivain chilien a le don de camper un monde en quelques lignes. La plupart du temps, dès l’incipit, on est plongé, presque au sens étymologique, dans l’atmosphère de ces coins perdus d’Amazonie où la vie est scandée par la forêt, le fleuve et la lente attente de la saison des pluies : Le ciel était une panse d’âne gonflée qui pendait très haut, menaçante, au-dessus des têtes

On comprend pourquoi, dès sa publication en 1992, Le Vieux qui lisait des romans d’amour s’était imposé comme un phénomène littéraire tant auprès du grand public que chez les critiques les plus tâtillons. Position inconfortable ou, en tout cas, assez peu orthodoxe ! Les ouvrages suivants ont confirmé ce succès initial : Histoire d’une baleine, Rendez-vous d’amour dans un pays en guerre (1997), Roses d’Atacama (2001), La fin de l’histoire (2016), Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler (1996), Histoire d’un chien Mapuche (2016) …

On connaît les composantes essentielles de cette écriture : parler au nom des opprimés, célébrer les peuples premiers, défendre l’environnement… À ce titre, le face-à-face permanent avec les forces sauvages et le retour à la vie en son sein constituent un défi peu banal. Une prouesse qui réclame des mines de connaissances pratiques pour affronter un quotidien sans indulgence. Le séjour que l’écrivain fit, en 1977, chez les indiens Shuars – les Espagnols les ont appelés les Jivaros – compte beaucoup dans l’éternel hymne à la création qui fonde une partie de son parcours. Cet hymne, il le lance aussi à ce sud qui, disait-il, est « son sud » De même, on a là des éléments clés pour comprendre la vengeance – le rééquilibrage – de la nature mis en scène déjà dans Le Monde du bout du monde qui se terminait par l’image récurrente, inévitable et significative du ressac de l’océan : C’était l’écho violent de ma mer. La voix rauque et sèche de ma mer. Le ton éternellement tragique de ma mer.

Avec une exaspérante régularité, le monde nous rappelle son poids et son intransigeance foncières. C’est lui qui s’impose à nous, pas l’inverse. Du coup, la marche en avant de ce que nous avons audacieusement et pompeusement appelé le progrès se trouve, quoique nous ne voulions pas l’entendre, encore soumis aux aléas d’un temps qui nous dépasse. La récente épreuve de la pandémie et du confinement le prouve à l’envi quand elle jette ses griffes sur des troupeaux inconscients qui ne s’attendaient plus à cela.

Que l’on on compte Luis Sepúlveda au nombre des victimes de cette sorte de retour de flamme ne manque pas d’une amère ironie quand on songe qu’à travers ses romans il comptait parmi les premiers lanceurs d’alertes quant aux dangers à enfreindre l’ordre naturel. Le journal Noticias de Gijón qui, le 16 avril 2020, annonçait son décès précisait que l’écrivain chilien était mort à Oviedo, à l’Hôpital universitaire central des Asturies où il avait été admis 48 jours plus tôt alors qu’il rentrait du festival littéraire Cirentes d’Escritas à Póvoa de Varzim au Portugal. Bien triste fin de parcours et combien injuste pour ce militant de la cause de l’homme résolument réinscrit dans son environnement et dans la grande chaîne de la fraternité.

©Paul Mathieu

René WELTER, Marcel MIGOZZI & LAWAND, «Célébrer vivre», Estuaires, 2018; 34 pages, 15 €

Chronique de Paul Mathieu

René WELTER, Marcel MIGOZZI & LAWAND, «Célébrer vivre», Estuaires, 2018; 34 pages, 15 €

Comme souvent avec le poète luxembourgeois René Welter, on est devant des poèmes très courts, très serrés: des strophes d’une ou deux lignes, des vers de deux ou trois mots. Il y a de l’épitaphe dans sa technique, du définitif. D’autant plus lapidaire en l’espèce que son nouveau recueil, «Célébrer vivre», a été rédigé avec le poète français Marcel Migozzi – un habitué de la maison – sans que rien ne permette de dire qui a écrit quoi. Les textes se répondent, se suivent, se complètent et, parfois, se nuancent légèrement. Pour le coup, le trajet est encore complété par deux peintures sur acrylique de l’artiste syrien Lawand qui apporte comme des îlots de couleur dans la lecture. Qui la prolonge aussi.

Les thèmes sont graves. Mais, outre la brièveté du temps et la précarité sociale, une place importante est laissée aussi à l’amitié, à la chaleur des échanges: «même / une bûche / ne brûle / longtemps / seule».

L’ensemble se fond dans un parcours où tout semble posé dès l’entame: «on n’écrit / pas assez / sur ce qu’on aime». C’est que, malgré les désastres innombrables, malgré la tension entre l’extérieur et l’intime de l’écriture, «vivre / fidèle / à la source / des matinaux / suffit». Au total, une poésie qui, au-delà de la dureté des mots, «lève-toi / marche / ou / marbre», s’achève malgré tout sur «demain» et «aimer».

Des éclairs de lumière dans la permanence obscure où l’on tente d’avancer, malgré tout.

© Paul Mathieu

Anne-Marielle WILWERTH, L’accordéon du silence, Le Cormier, 2017

Chronique de Paul Mathieul-accord-on-du-silence-scan-couverture_1_orig

Désir d’île


Pour diverses raisons qui tiennent sans doute à la singularité et à la solitude, les îles ont toujours requis les poètes. En l’espèce, Ouessant ne fait guère exception quand elle se retrouve au centre du recueil que lui a accordé Anne-Marielle Wilwerth. Textes denses, rangés en strophes de quatre vers au début, un peu plus longues au milieu, comme le ressac de la mer qui va et vient. Tout au long du parcours, inévitables ou surprenantes, les images océanes égrènent leur présence prégnante. Les illustrations de Pascale Lacroix apportent une touche de fraîcheur supplémentaire à ce parcours appuyé sur les illuminations et l’apaisement : non, on n’a pas « maraudé en vain / dans le vaste verger marin ».

A lire: Anne-Marielle WILWERTH, L’accordéon du silence, Le Cormier, 2017; 100 pages, 20 €

©Paul Mathieu

Disparition du poète belge Jean-Luc Wauthier

In memoriam, par Paul Mathieu

Aiguilles arrêtées

Disparition du poète belge Jean-Luc Wauthier

Responsable du «Journal des poètes», écrivain, critique et poète, Jean-Luc Wauthier était une figure attachante des lettres belges. Sa disparition brutale vient d’assombrir le paysage culturel.

Voilà encore une de ces journées de printemps qui, toute belle qu’elle fût, s’est achevée par une bien triste nouvelle: dans la nuit du 15 mars dernier, le poète Jean-Luc Wauthier s’est endormi définitivement. Né à Charleroi le 14 novembre 1950, il avait fait ses études à l’Université de Liège. Rédacteur en chef du «Journal des poètes» depuis 1993 et professeur à la Haute Ecole Paul-Henri Spaak (Bruxelles) de 1993 à 2008, il laisse une œuvre particulièrement riche: vingt-cinq recueils, des centaines d’articles de critique, des nouvelles, du théâtre et deux romans.

Son dernier recueil «Sur les aiguilles du temps», venait tout juste de voir le jour aux éditions du Taillis Pré. Outre son titre significatif, cet ouvrage s’ouvre sur une reproduction d’un «autoportrait de Böcklin avec la mort jouant du violon». Et, à vrai dire, la «sentence têtue de la mort» apparaît ici dès les premiers textes et ne quitte jamais la scène, même si, par ailleurs, il s’agit de ne pas baisser sa garde et qu’il importe de «rêver à la verdure des arbres et au souvenir du vent».

Dans ces pages, on est toujours sur le qui-vive, toujours dans l’avertissement, pour ne pas dire dans l’urgence: «Vivre…/… Le poème t’applaudit de ses deux mains coupées». Tout commence par «un jour de grande abdication / et une saison où l’on se rend compte que le chemin avait une fin» (étrange langue que le français où la fin est autant le but que le terme). A l’occasion, certains faits précis sont ramenés à l’attention du lecteur, comme ces «Enfants éternels du 24 janvier mil neuf cent quarante-quatre», (allusion à une école détruite par le largage accidentel d’un réservoir d’essence par un avion américain) ou comme ces images d’autrefois dans lesquelles la vie se résume à «un vieux vélo rouillé / jeté dans l’herbe des fossés / qui a la nostalgie des chemins».

Trois parties articulent ce recueil grave dans lequel l’auteur – qui n’était pourtant jamais en panne de gaieté ni de bons mots – rappelle, d’une part, que «je ne suis pas celui que je suis» et, d’autre part, qu’il convient d’«apprivoiser l’hiver et les jours qui ne reviendront plus» sauf peut-être dans ces images presque lamartiniennes quand on fait dire aux arbres qu’ils savent «ce que nous ignorons / Nous, les condamnés à la cendre / écrasés par la petite errance de jours / sur les passages cloutés de l’enfance».

Une voix importante a tourné la page, restent ses livres pour continuer à l’entendre.Wauthier

A lire: Jean-Luc WAUTHIER, «Sur les aiguilles du temps», Le Taillis Pré, 2014; 120 pages, 10 €

©Paul Mathieu