Une chronique de Barbara Auzou

Jeanne Champel Grenier, Alors la nuit délivre la nuit des livres, Éd. France libris, 2018
« Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit .
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre.
Cette ombre à la fenêtre c’est toi, ce n’est pas une autre, c’est toi. »
Ainsi s’ouvre le poème de Robert Desnos « À la faveur de la nuit » et c’est ainsi que l’on pénètre avec humilité dans l’intimité silencieuse et la solitude nocturne de Jeanne Champel Grenier pour partager avec elle cette « discrète lampée de lait d’étoile »
D’emblée la nuit est placée sous le signe de l’ambivalence . Elle est l’espace propice aux affres de la création :
« où est donc le point d’eau
que parfois je pressens
il faut passer les rocs
croiser les éboulis
se griffer aux ronciers
se piquer aux orties »
Et elle nous reprend aussitôt ce qu’elle nous a donné :
« on croit sentir
l’haleine de myrrhe et d’origan
d’éther et puis de camphre »
« la nuit qui nous réduit
ou nous augmente »
La nuit roule avec elle des peurs et les souvenirs d’êtres disparus :
« un oiseau est venu cette nuit sur ta tombe
( …)
c’est à lui que le soir ta grande paix incombe »
Des peines aussi bientôt muées en constats :
« j’y avais des amies
mi-figue mi-raisin
confites et soumises »
Se noue au fil des pages un lien de sincérité entre le lecteur et la poète d’où émerge une aile de papier :
« plus légère qu’une autre
un peu désaccordée
et sa violette voix »
Et nous voilà placés ensemble :
« au centre
du silencieux gémir »
que seule la nuit sait nous faire entendre ; et ce silencieux gémir soudain n’est plus le seul espace du souvenir, des peines, mais il devient cette courbure de l’air si gracieuse qu’elle vide tout instant de sa pacotille et devient le lieu intime et privilégié du poème :
« écrire pour ne pas oublier
la lumière »
de l’acte de vivre et de transmettre :
« mille enfants dans leurs gousses
serrés en petits pois »
et de la gourmandise que je ressens dans la poésie de Jeanne Champel Grenier comme une générosité première. Les métaphores culinaires sont nombreuses et souvent teintées d’humour :
« un noir très doux
qui vire au pruneau
dans l’eau de vie »
ou encore ce formidable chant X, sur un air de Nerval :
« il est un pain pour qui je donnerais
tous les blinis, les bâtards et les miches
un pain très vieux, nourrissant , aux pois chiches
qui pour moi seule garde son goût sacré »
Oui on peut dire que malgré ses éclipses sans pitié, la poète se rue, refuse de se rendre et au cœur de sa nuit le crépuscule déjà bat l’horizon en quête d’une luciole que nous suivons, rassurés et conquis, au gré d’une poésie vivante et généreuse qui s’échappe bientôt du store journalier…pour aller rejoindre ce hasard « qui fait si bien les roses ».