LE ROMAN DE RÉFÉRENCE ET DE RÉSISTANCE SUR L’UKRAINE CONTEMPORAINE : DAROUSSIA LA DOUCE DE MARIA MATIOS

LE ROMAN DE RÉFÉRENCE ET DE RÉSISTANCE SUR L’UKRAINE CONTEMPORAINE : DAROUSSIA LA DOUCE DE MARIA MATIOS

                                                        par  Vladimir Claude  Fišera


Maria Matios (née en 1959) est un des écrivains ukrainiens actuels les plus connus. Poétesse, elle écrit aujourd’hui plutôt de la prose et son roman Daroussia la douce est devenu un véritable best-seller. C’est l’ouvrage-symbole des combats pour l’indépendance véritable du pays qui refuse la tutelle de la Russie : écrit en 2002-2003, il fut publié en 2004, quelques mois après la révolution dite de Maïdan qui chassa les pro-russes du pouvoir et reçut l’année suivante le prestigieux Prix Chevtchenko, du nom du plus grand écrivain en langue ukrainienne. À la faveur de la seconde révolution, dite de l’Euro-Maïdan en 2014, il paraît un an plus tard en français et dans d’autres langues et sera alors sacré livre de l’année par la BBC. 

Maria Matios, professeur de l’Université de Bucovine à Tchernivtsi, sa région natale, devient alors pour un temps secrétaire du Conseil de Sécurité et de Défense de son pays et publie des extraits de son journal de guerre. L’Ukraine entre alors en cette même année 2014 dans la guerre actuelle avec l’occupation russe de la Crimée et d’une partie de la région frontalière du Donbass. Entretemps, Daroussia la douce a été élu meilleur roman ukrainien des quinze premières années de son indépendance. En 2022, quand la Russie entame une guerre totale contre l’Ukraine, ce roman sera réédité en français (Gallimard, 198 pages, toujours dans la traduction d’ Iryna Dmytrychyn) et connaîtra une nouvelle vague de succès .

Ce roman est l’histoire, dans un village reculé et aux mœurs traditionnelles, entre 1930 et 1950, d’une petite fille, puis jeune fille puis femme Daroussia, dite la douce comme on dirait la simple d’esprit, l’imbécile, non pas heureuse mais souffrante sans qu’on sache pourquoi. Elle est par ailleurs gentille et sait tout sur toute la vie du village qui médit d’elle et la dit folle car elle ne parle pas. Les villageois eux ne disent pas la vérité dans ces années de terreur  russo-soviétique et, sauf deux exceptions, sont « des gens bien », obéissants voire informateurs du pouvoir soviétique, représenté par des Ukrainiens russisés et tout puissants grâce à leur police politique, celle des « moscovites ». On aurait dû traduire ici plutôt« ruskofs », terme qui correspond à l’ukrainien « moskaly ». 

Le chœur des commères, tel un chœur grec ancien, survit à cette histoire jusqu’à aujourd’hui, avouant tout à la fin et encore à mi-mot qu’il savait le viol de la maman de Daroussia par le chef de la police secrète soviétique en 1940 à son arrivée en Bucovine abandonnée par l’occupant roumain. Il l’avait alors accusée d’aider des maquisards ukrainiens alors qu’elle paissait sa vache près de leur cachette à la frontière avec la Galicie. Les deux régions seront réoccupées par Moscou en 1945 après le départ des Allemands. 

Le violeur revient en 1949, ne reconnaît pas sa victime mais pousse la petite Daroussia de dix ans, naïve, à  avouer en échange de bonbons la complicité forcée de son père avec les maquisards indépendantistes, ce qui entraîna la déportation du père et le suicide par pendaison de sa mère. Par la suite, Daroussia qui sortait de sa « maladie » grâce à son nouveau compagnon, un autre prétendu « simplet », rompra avec lui et retombera dans son mal. En effet, démuni, il avait porté en sortant de prison politique pour mauvais esprit, un pantalon bouffant et des guêtres militaires données par son garde-chiourme, accoutrement semblable à celui du violeur de sa mère pendue et de son suborneur. Là aussi elle ne s’en explique pas. On n’apprendra que cent pages plus loin –par sa mère avant de se pendre et par le chœur des commères– la cause du silence de sa mère violée (battue par son compagnon soupçonneux et jaloux à tort) et de la maladie de sa fille Daroussia, sa terreur des bonbons et des uniformes soviétiques.

Tout cela est raconté dans un style de flash-back cinématographique où les événements se rembobinent. C’est ce qui fait le mystère et le suspense de l’ouvrage qui par ailleurs –et dans la langue savoureuse et crue (très bien rendue en français) des personnages villageois très bruts de décoffrage– brosse un tableau quasi-ethnographique de la Bucovine oubliée de Dieu et des hommes. Daroussia la douce, –la « sucrée » littéralement– comme on appelle l’idyllique terre des montagnes et des hêtres (« buk »), la « Bucovine-sucrée » elle aussi alors qu’elle est tout sauf cela : le christianisme s’y mêle de paganisme (culte des morts, rites religieux superstitieux et signe de croix sur le cochon pour porter bonheur), on est Ukrainiens mais on n’aime pas trop les Ukrainiens de Galicie, on confond les oppresseurs étrangers qui se succèdent en faisant des allers-retours et on méprise les médiocres et corrompus chefs locaux qui savent retourner leur veste mais doivent, disent-ils, « tout savoir » et qui « voient tout ». 

On se tait surtout car « les mots peuvent causer du tort », surtout sous les « ruskofs ». Et la peur règne et même les pillages des biens des déportés. On dit « maître » au lieu de monsieur ou de camarade. On mélange danses ruthènes subcarpathiques et danses roumaines et on se réjouit à tort à chaque changement d’occupant. Daroussia trahira sans le savoir car ses parents ne lui ont pas « appris à mentir ».  Toutefois, on garde dans la mémoire collective le souvenir des révoltés paysans dans la forêt, les « oprytchky » qui, dès le XVIème siècle, donnent du fil à retordre aux envahisseurs. Mais les révoltés comme les kaguébistes viennent tout deux de la Galicie voisine. Ce malheur, ce n’était pas un « sort » dit une voix dans le chœur à la fin, « c’était une époque comme ça » et Daroussia « n’est pas bête et muette de naissance mais de destin ».  

© Vladimir Claude  Fišera

LES CHANSONS SANS VOIX, AIRS TRADITIONNELS D’UKRAINE PAR DIMITRI NAÏDITCH, PIANO SOLO, CD, Dinaï records 2022, DR211118

                                par Vladimir Claude Fišera

LES CHANSONS SANS VOIX, AIRS TRADITIONNELS D’UKRAINE PAR DIMITRI NAÏDITCH, PIANO SOLO, CD, Dinaï records 2022, DR211118 (contact : pianomamuse1@orange.fr)


        Le pianiste classique ukrainien qui vit depuis trente ans en France, Dimitri Naïditch, célèbre notamment pour ses interprétations de Bach, Mozart et Liszt qui allient à la fois un rendu très fidèle des partitions et des improvisations jazzistiques accompagnées par contrebasse et batterie vient de publier un CD pour chanter son pays. Il s’agit de huit chants traditionnels et de cinq compositions originales elles aussi basées sur le folklore si vivant de l’Ukraine dont la langue et les coutumes se sont le plus fortement préservées à la campagne. Ces chants traditionnels sont centrés sur la vie quotidienne des paysans de la plaine si riche en terre noire, de la steppe, du fleuve central et nourrissier, le Dnipro (Dniepr en russe) et des montagnes, les Carpathes de l’Ouest du pays.        

      Ce sont des airs de travail, de fêtes, notamment d’amour, de berceuses aussi, donc essentiellement lyriques mais aussi des chants épiques et trépidants comme celles des mariages et des danses des cosaques ukrainiens. On y célèbre les moissons de blé et d’orge, la beauté des villages, des villes et des régions et on y morigène avec humour les buveurs impénitents. Le jeu de Naïditch est on ne peut plus expressif, touchant mais, à l’occasion, dans ses improvisations, entraînant et humoristique avec ses ruptures de ton, ses cascades et tournants brusques. 

        Ces airs sont pour certains multiséculaires et transmis oralement avant d’être collectés. C’est notamment le travail des folkloristes et chanteuses Anna Koropnitchenko et Susanna Karpenko qui ont pu depuis 19991 et surtout depuis la vraie indépendance en 2004 réunir cette richesse (qui compte des centaines de milliers de chants) et la préserver en l’éditant alors que les villages qui les ont vu naître ont été par dizaines réduits en cendres par l’agression russe depuis février 2022. 

     Naïditch a su leur apporter en parallèle les couleurs de la musique classique et du jazz pour les faire briller encore plus. 

Ajoutons que 50% des bénéfices des ventes de ce CD iront au profit du Conservatoire National de Kiev (KLSML) qui en a bien besoin dans la tragédie actuelle (plus d’information sur www /dimitri-naïditch.com). 

©Vladimir Claude Fišera

SERHIY JADAN, L’INTERNAT, traduit par Iryna Dmytrychyn, éd. Noir sur  Blanc, Lausanne, 2022, 267 pages.

Une chronique de Vladimir Claude Fišera

LE GRAND ROMAN DU DÉBUT DE LA GUERRE DE RÉSISTANCE DE L’UKRAINE (2014-2015)

SERHIY JADAN, L’INTERNAT, traduit par Iryna Dmytrychyn, éd. Noir sur  Blanc, Lausanne, 2022, 267 pages.

Prix Hannah-Arendt pour la pensée politique 2022


                                                               

Enfin, nous avons le grand roman du début de la guerre actuelle qui a bien commencé en 2014 par l’invasion par la Russie de la Crimée puis de l’est de l’Ukraine, la région du Donbass. C’est une guerre ininterrompue qui n’a fait que se généraliser en février 2022 par l’invasion de toute l’Ukraine par la Russie. L’auteur en est le plus grand romancier actuel de ce pays, Serhiy Jadan, auteur de cinq romans mais aussi d’un opéra, poète, traducteur de la poésie allemande et de langue anglaise et aussi chef d’un orchestre de musique rock. Né dans une petite ville du Donbass, d’un père chauffeur, il a fait des études de lettres et de pédagogie à Kharkiv, la grande ville du nord-est, qu’il n’a plus quittée. 

Il y a enseigné dans le secondaire jusqu’en 2004 avant de vivre de sa plume et de sa musique. Il est traduit dans de nombreuses langues et a reçu plusieurs prix littéraires internationaux des plus prestigieux. En 2014, période qu’il décrit dans ce roman, il a été blessé en défendant la mairie de Kharkiv contre des émeutiers pro-russes. Aujourd’hui, il se consacre entièrement à l’aide humanitaire à Kharkiv, sur le terrain et sous les bombes. 

Cet ouvrage, écrit en 2015-2016 et publié en 2017, bien avant l’extension, la généralisation actuelle de l’invasion russe, nous parvient avec cinq ans de retard mais n’en est que plus prophétique en ce qu’il décrit et révèle des comportements barbares des envahisseurs et de l’extraordinaire résistance du peuple ukrainien, des civils comme des conscrits. Il s’agit ici surtout des civils qui sont les personnages principaux de ce roman, roman réaliste qui ne cache pas l’horreur de la sale guerre menée par les soldats russes et par les milices séparatistes pro-russes.  Mais c’est essentiellement l’histoire personnelle du héros, jeune quarantenaire, professeur du secondaire (enseignant l’ukrainien alors qu’il parle en russe ou en inter-langue russo-ukrainienne avec ses élèves) qui vit sur la ligne de front et va chercher son neveu de 13 ans, orphelin de père et en internat, dans l’autre côté du front, derrière les lignes alors que les Russes avancent et que l’armée ukrainienne tente de résister. Écrit à la première personne, c’est l’oncle blessé de guerre à la main et réformé qui parle, le neveu prenant la parole à la première personne dans les cinquante dernières pages de l’ouvrage. 

C’est aussi un monologue intérieur du début à la fin (de l’oncle puis du neveu) qui se superpose aux scènes de description de leur anabase et aux dialogues nombreux, concis et percutants, avec une langue parlée populaire et argotique. C’est qu’elle est souvent chargée de mots crus, produits par la tension extrême, la peur comme par la résolution crâne de ne pas céder à cette même peur, à ces violents envahisseurs, à la fatigue, au terrain naturel hostile et au froid de ce mois de janvier 2015. Les envahisseurs ne sont pas nommés en termes politiques, ce sont « eux », « les autres » souvent difficiles à identifier, avançant masqués par rapport aux « nôtres ». D’ailleurs, entre les deux, il y a la masse qui se situait jusque là entre les deux identités nationales et entre les deux langues (l’ukrainien étant langue inférieure, paysanne, refoulée souvent dans l’oralité). Civils comme soldats, nombreux sont les terrifiés, les affamés, les frigorifiés. Les soldats qu’assiste le héros, infirmier d’occasion, souvent très gravement blessés, sont aussi contusionnés, comme rendus fous par le vacarme des bombes (shell-shocked). Tous sont par moment et durablement ahuris par l’invasion, épuisés et peinant à sauver leur vie dans ce crépuscule des dieux inouï et assourdissant, inimaginable qui annule en un instant tous les paramètres de la normalité. Tous sont privés de leur maison et leurs vies « sont retournées comme des poches ».

C’est la dévaluation de la vie humaine, foulée à terre par « les autres » qui méprisent ces péquenots d’Ukrainiens, ces « Petits-Russiens » comme les Grands-Russes les nomment, se sachant supérieurs en nombre et en moyens militaires (tekhnika). Certains cèdent à l’envahisseur par opportunisme ou simple épuisememt, d’autres, observateurs étrangers, n’en sortent pas davantage grandis quand ils sont, parfois, oiseaux de passage, voyeurs sentencieux et nantis. Les défenseurs, souvent livrés à eux-mêmes sur place et ignorant les médias de la capitale, comme les soignants, comme les transporteurs, comme les jeunes femmes, tous s’efforcent de garder leur dignité sans s’afficher pour autant, comprenant les chutes morales de certains.

Les deux héros blaguent à l’occasion, « sifflotent dans le noir », entourés de dévastation et de saccage psychopathique. À la dernière page du livre, le neveu, devenu mature trop vite de par ces événements, note quand même, enfin revenu chez lui que « les militaires sont concentrés, sereins. Personne ne crie. Personne ne se dispute. Tout le monde se prépare à la guerre qui se poursuit. Chacun pense survivre, a l’intention de revenir. Tout le monde a envie de revenir, de rentrer chez soi. (…) La maison sent les draps propres. (fin du roman, VF).

©Vladimir Claude Fišera

LE GRAND LIVRE DE LA DOULOUREUSE RENAISSANCE ACTUELLE DE L’UKRAINE:LINA KOSTENKO, JOURNAL D’UN FOU UKRAINIEN, traduit par Nikol Dziub et Sonia Philonenko, Paris, L’Harmattan, 2022, 330 p.

Une chronique de Vladimir Claude Fišera

LE GRAND LIVRE DE LA DOULOUREUSE RENAISSANCE ACTUELLE DE L’UKRAINE:LINA KOSTENKO, JOURNAL D’UN FOU UKRAINIEN, traduit par Nikol Dziub et Sonia Philonenko, Paris, L’Harmattan, 2022, 330 p.


Enfin, nous avons le grand roman-vérité, comme on dit cinéma-vérité, de la lutte de libération nationale de l’Ukraine, de la libération personnelle de chaque Ukrainien, sous la forme d’un journal intime, à la fois chronique et monologue intérieur d’un informaticien trentenaire kyïvien (en russe : kiévien), entamé le premier janvier 2000 et qui s’achève fin 2004 par l ‘éclatement de la Révolution Orange (du nom de son drapeau). Celle-ci  va chasser par la rue, malgré une terrible répression, les gouvernants pro-russes et largement russisés qui contrôlaient le pays depuis son indépendance quand il s’est détaché par referendum de l’URSS moribonde le 1er décembre 1991. En fait, le héros a, comme Lina Kostenko elle-même, pour référence les mouvements dissidents des années soixante,  ceux de 1990-91 et la dévastation occasionnée par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986. 

 L’épouse du héros, chercheuse en littérature, est une spécialiste de Nicolas Gogol (1809-1852), auteur ukrainien, écrivant en russe mais se référant surtout à la culture et à l’histoire ukrainiennes, auteur d’une célèbre nouvelle intitulée Le journal d’un fou (on devrait dire  les notes privées –zapiski–  d’un fou). Plus généralement, l’œuvre de Gogol, comme celles des plus grands écrivains et patriotes ukrainiens ainsi que les traditions nationales et principaux moments historiques du pays sont sans cesse rappelées ici. Toutefois, l’action est, comme dans le récit de Gogol, rapportée à la première personne et sous forme d’un simple journal intime chaotique d’un homme dévoré par une angoisse croissante. 

Sauf qu’il s’en libérera et ce sera grâce à la Révolution de 2004 dans laquelle il va se jeter à corps perdu, retrouvant ainsi son équilibre mental et son bonheur conjugal et familial.  Son mal de vivre était en effet totalement causé par la situation de souffrance due à la colonisation du pays et à la russo-soviétisation des esprits, largement dominante chez les kyïviens. Ceci s’opère depuis les années 1930 par l’abandon –ou au moins sa dégradation par la russisation– de la langue ukrainienne devenue trop souvent, surtout en ville, un sabir désarticulé qui accompagne la terreur imposée par des gouvernants d’origine ukrainienne au service de Moscou. Cela suscite la haine de soi et le mépris de tout ce qui est identité et fierté nationales ainsi qu’une dévalorisation des traditions populaires occultées voire reniées, notamment des traditions et valeurs paysannes. Celles-ci s’opposent aussi à l’invasion récente, surtout à Kyïv,  par la société de consommation et sa frivolité hédoniste, vulgaire et sans âme que les gouvernants pro-russes favorisent comme le font leurs maîtres et modèles à Moscou.

 Lina Kostenko, la grande dame, l’aînée, « la Nestor » de la littérature ukrainienne en langue ukrainienne, née en 1930 dans la campagne autour de Kyïv, est immensément populaire dans son pays (voir son poème «Quatrain volant» publié dans ma traduction dans Les Lettres Normandes, n°134, 2022, p.4). Elle a choisi d’écrire en ukrainien alors qu’elle est diplômée de l’Institut de Littérature Gorki de Moscou et de se concentrer sur les dimensions éthique, nationale et européenne de la poésie et du roman.  Cela lui a valu d’être interdite de publication entre 1961 et 1977. Dès 1990, ses oeuvres choisies sont publiées et elle reçoit le Prix d’État Chevtchenko, du nom du fondateur de la langue ukrainienne écrite moderne au XIXème siècle. Elle a des centaines de milliers de lecteurs, notamment avec  ce Journal d’un fou ukrainien, pourtant volumineux et parfois allant dans tous les sens à la manière d’Ulysse de James Joyce. Sur Facebook, comme le note Radomyr Mokryk dans sa préface, elle a près de 800000 utilisateurs. C’est dû au fait que chez elle si le politique est omniprésent, ce n’est que par son impact sur des expériences et destins individuels.

Ce livre écrit en 2001-2010 est proprement prophétique puisqu’il faudra une nouvelle Révolution Orange en 2013-2014 avec encore plus de morts sur cette même place centrale de Kyïv, le Maïdan, devenu Euromaïdan pour que l’Ukraine devienne enfin ukrainienne. Or, c’est cela même que sous nos yeux depuis février 2022 l’impérialisme russe essaye à nouveau d’écraser avec une violence décuplée. Il faudra donc aujourd’hui comme Lina Kostenko l’écrit dans les dernières lignes de ce roman-témoignage  –qui exprime un « nous » ukrainien plutôt qu’un seul « je »–  surveiller ceux qu’elle appelle « nos chefs »  qui en 2004 étaient, enfin, « venus sur le Maïdan » car « peut-être voudront-ils l’oublier. Peut-être une main velue tentera-t-elle d’arracher cette page.

Mais c’est déjà l’histoire. Pas avec des calmants, mais avec des oranges. Il est possible de faire disparaître une page. Pas l’histoire.

      Voici qu’est arrivé notre Jour de colère (dies irae, note de VF).

      La ligne de défense est tenue par des vivants ». (fin de l’ouvrage).

 ©Vladimir Claude Fišera