Barnabé Laye, la voix d’un poète qui ne s’éteindra pas.

© L’écho d’Orphée

Une belle et haute voix de la poésie universelle, le Poète franco-béninois Barnabé Laye vient de tirer sa révérence, nous laissant une œuvre capitale, une parole de feu brûlant au grand soleil. L’éminent Poète et professeur Hafid Gafaïti, voyait en lui un Poète essentiel, un ascète de la liberté et de l’amour global, un Griot au sens littéral , un esprit épousant l’énergie du monde, dont la voix nous demeure comme un baume salutaire. Comme les « Trois mousquetaires » Barnabé Laye, Hafid Gafaïti et moi étions très liés, dans nos utopies nous repartions à la conquête d’un monde en délitement avec pour mirage celui de remettre l’église au milieu du village. Avec lui, nous cultivions le partage et la fraternité, l’espérance et la vérité. Il « nous invite à aller au-delà de l’indicible. L’Un avec l’Autre en parfaite Union. » Lorsqu’un Poète disparaît, ce sont les pans d’une bibliothèque qui s’effondrent, mais déjà, libre et insoumis, il se remet à l’ouvrage et fait des nuages son plus beau carnet de voyage. « Au rendez-vous des bons copains / Il n’y avait pas souvent de lapins / Quand l’un d’entre eux / Manquait à bord / C’est qu’il était mort / Oui, mais jamais au grand jamais / Son trou dans l’eau n’se refermait / Cent ans après, / Coquin de sort / Il manquait encore. »   Georges Brassens. 


Il y aurait tant de choses à dire

Le bien le mal les embûches les esquives

Tour à tour chance ou malchance destin ou hasard

Et au coin de la rue des circonstances qui nous échappent.

La route est longue et nous sommes loin du port

Nos visages arborent le passage des intempéries 

Et les cicatrices balafrées du temps qui passe.

Dans notre nuit d’errance rôdent les fantômes

Nos démons maléfiques et les rêves impénitents.

Le temps caméléon change aux multiples nuances du noir.

Sur l’eau trouble des mers traversières

Le noir revêt le jour

Le noir revêt la nuit

Le chemin ?

Où est le chemin ? 

© Barnabé Laye.


Homme né des ténèbres et des gouffres

Hommes du commencement et des cavernes 

Tu ignores les sentiers du parcours insondable

Inscrit sur les lignes de ta main et de ton front.

Tu ne sais rien des stigmates et des promesses cachées

Dans les dédales de ta peau et des plis de tes pieds

Tu ne sais rien des oiseaux d’augures et des présages

Alors pris de vertiges et d’angoisse

Tu abandonnes ton destin aux mythes et aux légendes.

© Barnabé Laye.


Parfois il me prend l’envie de chanter

De chanter haut et fort en tapant du pied et tapant des mains

Le blues le bleues dans un champ de coton du côté de Memphis

Chanter le Gospel avec Aretha Franklin dans une église de Harlem

Laisser fleurir le rire au cœur des détresses sombres

Laisser venir l’ivresse d’une mélancolie joyeuse au bord de la soif

Qu’importe mon ami

Si tu marches jusqu’en haut de la montagne

Continue de marcher.

© Barnabé Laye.


Il faudra garder mémoire d’autres temps ici et ailleurs

Pour libérer la colère enfuie dans la plaie rouge

Écrire le coup de poing à bout portant sur la gueule barbare

Finis les atermoiements les cous courbés les résignations.

Écrire l’empilement des ressentiments et des aversions

L’éclatement de la révolte et des foudres des revanches pures.

Écrire les cicatrices indélébiles sur la peau des galères

Tous les asservissements les chaines toutes les servitudes

Et même le coup de pied au ventre des cruautés cachées

Depuis si longtemps dans la honte des alcôves et des placards.

Écrire la liberté.

© Barnabé Laye.

Prix International Arthur Rimbaud

 Concours de poésie 2024 doté de 7100 euros de Prix

                                                                                

Le concours de poésie organisé par Poésie du Point du Jour en partenariat avec  l’AMOPA, la SPF, le Lions Club International, Rencontres Européennes-Europoésie,  les Poètes de l’Amitié- Poètes sans Frontières, la SPAF, ACALA, les Sens Retournés, les Académies Renée Vivien, de Macon et de Villefranche sur Saône, Luna Rossa, J O M, Arts et Poésie de Touraine, Grain de Sable en Poésie, les Arts Septimaniens, la SAPF, Traversées, la Ronde Poétique, le CNM, les Rencontres Vaugelas, le Salon des Poètes de Lyon arrive bientôt à échéance, le 30 Mai prochain, avec un double objectif :

  • -donner encore plus de sens à la création poétique en mettant en valeur le talent de poètes reconnus par tous à travers le prix International Arthur Rimbaud.                                                                          -recueillir des fonds en faveur d’œuvres caritatives, dont l’autisme en 2022, 2023, 2024.

Nous vous invitons à y participer.

Il est doté de 500, 300, 100 euros en chèque, dans les catégories A B C D E F et 300, 200 100 euros dans la catégorie J. 

 Le concours comprend 7 catégories

Les trois premiers des catégories A B C D E F seront sélectionnés pour participer au prix International Arthur Rimbaud, dont le lauréat recevra 500 euros. Les trois premiers du prix International Arthur Rimbaud jeune poète recevront respectivement 300, 200, 100 euros et seront choisis parmi les lauréats des concours jeunes de l’AMOPA, de la SPF et la catégorie J de notre concours afin de promouvoir la poésie auprès des jeunes.

La dotation totale est de 7100 euros et la clôture des inscriptions est fixée au 31 Mai 2024.

Une Anthologie des meilleurs poèmes sera éditée et la remise des prix aura lieu en Novembre 2024 lors d’un déjeuner de Gala au Sénat ou dans un autre lieu prestigieux de la capitale.

 Poètes à vos plumes…     

Retrouvez-nous, sur le site : ConcoursdepoésieArthurRimbaud

Contact Claude Jenouvrier 0612687389 mail : jenouvrier@protonmail.com

                                                                                                            Claude Jenouvrier


                              Règlement du Concours

Art 1 : « Poésie du Point du Jour organise avec ses 23 partenaires, le Prix International Arthur Rimbaud, ouvert à tous les Poètes d’expression francophone. Clôture des inscriptions, le 31 Mai 2024, le cachet de la poste faisant foi.

Art 2 : Le concours comprend sept catégories :

A Thème libre-forme libre

B Thème libre-Sonnet

C Thème libre-forme classique ou néoclassique

D Thème imposé, l’amour, forme libre

E Ballade, Rondeau, Pantoum, thème libre

F Chanson poétique, thème libre (clé USB souhaitée mais non obligatoire)

J Catégorie jeune (jusqu’à 18 ans), Thème libre-forme libre

Chaque participant peut envoyer autant de poèmes qu’il le souhaite dans les différentes catégories, moyennant le règlement des frais d’inscription, soit 10 euros par poème. (5 euros dans la catégorie jeune)

Art 3 : Chaque poème ne dépassera pas 40 vers, les textes exemptés de fautes d’orthographe seront dactylographiés sur papier blanc standard au format A4, à l’exclusion de tout autre support. Les poèmes seront anonymes mais devront comporter impérativement la catégorie dans laquelle ils concourent. (un numéro d’ordre est attribué à chaque poète, reporté sur chaque poème, permettant de les identifier et de garantir l’anonymat). 

Art 4 : L’envoi de chaque concurrent, adressé non recommandé, mais suffisamment affranchi, comprendra : les poèmes en quatre exemplaires, un exemplaire du présent document daté et signé, un chèque de règlement des frais d’inscription à l’ordre de ‘Poésie du Point du Jour’, deux enveloppes timbrées aux nom et adresse du concurrent à : Prix International Arthur Rimbaud, 17 Allée des Néfliers 91190 Gif sur Yvette

Art 5 : Une Anthologie des meilleurs poèmes sera éditée sans que les auteurs ne puissent s’y opposer ni réclamer des droits d’auteur.

Art 6 : 7100 euros de prix seront répartis entre les différentes catégories, le prix International Arthur Rimbaud et le prix International jeune poète. (voir au recto).

Art 7 : Deux jurys de présélection et de sélection finale seront constitués. Leurs décisions seront sans appel.

Art 8 : La remise des prix aura lieu en Novembre 2024, lors d’un déjeuner de Gala au Sénat ou dans un autre lieu prestigieux de la capitale. Tous les participants au concours 2024 seront conviés à cette manifestation (le coût de la participation sera précisé ultérieurement).

Art 9 : L’annulation du concours entrainerait, de facto, le remboursement aux poètes des frais d’inscriptions.

Le candidat déclare avoir pris connaissance du présent règlement.

 Date et signature (lu et approuvé)

Nom prénom

Adresse                                                                                                                    

Tél et mail


Vous pouvez aussi télécharger le règlement du concours 2024

Ivan Blatný, Le Passant, Traduit du tchèque par Erika Abrams, Présentation de Zbynek Hejda, Orphée, La différence, 189 pages, 1992. 


En préparant la mise en page pour l’article de  Vladimir Claude Fišera, sur un nouveau livre concernant l’artiste Toyen, je me suis rendue compte que je ne connaissais guère les poètes tchèques qui faisaient partie de l’entourage de l’artiste et du groupe 42. Il me fallait donc absolument combler cette lacune. J’ai trouvé à acheter quelques livres et le premier à m’être parvenu est celui que je présente ici. Lu ou plus exactement dévoré en quelques heures, oubliant toutes les trop futiles obligations de la journée. 

Pourquoi un tel empressement ? Certes, il me fallait combler un vide mais je constate presque tous les jours ce genre de manquements en ce qui concerne mes connaissances. On me répliquera qu’il ne s’agit que d’une traduction et je reconnais que même si l’édition est bilingue et que j’ai donc accès au texte original, je ne parviendrai sans doute jamais à comprendre l’univers de subtilités, de nuances qui échappent à toute traduction. Je ne peux qu’imaginer ce monde inaccessible et profiter avec délice et prudence de celui qui m’est offert.

Ce Livre en quatre grandes parties reprend des poèmes datant de 1945 pour la première partie: « Ce soir », de 1947, 1948, 1954 pour la deuxième partie « À la recherche du temps présent », de 1979 pour la troisième partie: « Vieux domiciles » et de 1980 pour la quatrième partie: « Cours Bixley pour retardés ».

Le Passant qui est-il? Il est d’abord cet être anonyme sans nom qui ne reste pas en place mais va d’un endroit à un autre. L’habitant quelconque d’une ville quelconque. Il occupe tour à tour une place dans le bus, le tram, le train. Transite sur une place, dans une gare, habite l’appartement d’en face ou du premier étage. Le Passant est aussi une sorte de fantôme capable de voyager dans le temps celui du rêve comme celui du souvenir. C’est un voyageur. Le Passant est le poète lui-même à l’instar de Rimbaud et d’autres, il ne tient pas en place. Un vagabond. Je pense en particulier au dernier poème repris par le livre « Le vagabond dort dans un pré » 

Le bon à rien traîne dans les rues de la ville
always under pressure of the moral institutes 

Dans ce poème et quelques autres, on comprendra comment Ivan Blatný en mélangeant plusieurs langues (anglais, allemand, français, tchèque) au sein d’un même poème, il crée une nouvelle langue poétique à plusieurs attaches. Comme pour nous dire que le poème est au-delà de toute langue tout en les concernant toutes.
Le Passant est poète mais aussi cet autre qu’il ne peut être, cet autre auquel le poète s’adresse tout en sachant qu’il se parle à lui-même, qu’il parle de lui et de son étrangeté au monde. Une sorte de double, de frère, d’ami. Le Passant est la solitude incarnée, le voyage poétique implique pour ne pas dire impose la solitude. Le Passant est passeur. La mort le regarde en face sans l’effrayer. Pas de fatalité, juste des faits, la réalité, les réalités.

Une partie de ma fascination pour les poèmes de Blatný s’explique sans doute aussi pour le rapport à la réalité qu’ils impliquent. À cette réalité (connue de tous) se superposent d’autres réalités impliquées par le rêve, le souvenir, la création. À la multiplication des réalités, comme s’il s’agissait d’un millefeuille, s’associe une démultiplication de la personne (le passant, l’homme ordinaire, le poète, le créateur) et une superpositions des temps (de la création, de l’écriture et celui de la perception et donc de la lecture). 

Le fabuleux poème Terrestris est un exemple de cette mise en abîme, de cet enchâssement de plusieurs réalités: l’emboîtement les uns dans les autres de divers univers appartenant au rêve, au souvenir, à la création pure telle que la pratique Blatný .

« À la recherche du temps présent » ne fait pas que répondre à Marcel Proust. Le temps est élastique, un parfum, une saveur rapprochent deux époques différentes et séparées par des années lumières. Blatný cherche le temps présent, il « n’est pas un poète des profondeurs » nous apprend la préface pour nous révéler que « Dans le monde de Blatný, le souvenir d’un poème, d’un poète ou d’un peintre occupe une place ni plus ni moins importante que celui d’un match de football. Pour reformuler un de ses propres vers, chaque instant, chaque situation lui paraît digne d’un poème. »

La poésie d’Ivan Blatný ne se limite pourtant pas à la surface des choses, évidement l’homme a sondé le monde, a interrogé ses habitants, leurs moeurs et coutumes, leurs habitudes, leurs mesquineries, leurs peurs, leurs prises de position et leurs erreurs. Malgré sa solitude, son étrangeté au monde, le poète n’est pas dans le jugement, dans la critique ou le constat amer. Il tente d’être dans la compréhension sans devoir être dans le rejet. La vie du poète ne fut pourtant pas facile, exilé, malade, n’écrivant pas durant presque deux décennies. Sa poésie reste innovante, savoureuse et piquante, intemporelle, elle titille pourtant toujours le quotidien, notre quotidien d’être humain et d’animal destructeur, de prédateur indifférent au sort qu’il réserve à l’autre. Ivan Blatný a choisi d’être un passant, un voyageur, un créateur de lumières et d’ombres, un artiste. Faut-il s’adapter au monde? S’y plier, s’y résoudre?

Porter le monde
dans la tête comme une roche erratique,
je n’ai rien su faire de plus ici-bas et sans doute est-ce
peu,
comme dans les poèmes chinois
il y a parfois peu de chose,
rien de plus que le ciel et un oiseau qui y vole,
qui y vole, un oiseau, mais le vrai,
qui a cessé de jouer le jeu, qui ne joue plus,
et pour ce peu, pour ce presque rien,
je donnerai ma jambe à couper,
tout comme le Passant,
tout comme le Passant,
mais bien au contraire.

Joël-Claude MEFFRE – Ma vie animalière suivi de Homme-père/Homme de pluie et de Souvenir du feu – Propos Deux – mai 2023 – 90 pages, 14€


« Ma vie animalière », ce titre étrange veut dire, peut être : ma vie au double contact de l’animal hors de moi et de l’animal en moi. De « l’animal hors de moi » – oui, surtout dans la vie d’enfance de l’auteur, né à Séguret en 1951, entre les Dentelles de Montmirail et le Ventoux, dans le triangle Orange/Vaison-la-Romaine/Carpentras qui résumait à peu près l’histoire et la géographie françaises dans les années cinquante et soixante pour ses natifs; et de « l’animal en moi » – l’être en lui qui perçoit, se meut et désire – et se sent un peu engoncé ou à l’étroit dans l’humain plus large qu’il est, celui qui calcule, explique, choisit et juge. L’auteur a littéralement partagé là son enfance (son apprentissage du monde) avec alouettes, salamandres, hérons, couleuvres, loriots, et peut-être déjà loup; mais aussi avec un frère oiseleur (qui piégeait les grives, comme une sorte de circacien naturel, attirant, à la glu et au leurre, les unes par les autres, à mesure des prises, les « mauvis » dans leur final petit chapiteau de bois « aux barreaux de jonc ») – frère à la fois animal et humain (aux « lèvres gercées et doigts gourds » p.49) qui se lasse un jour (ou prend pitié ?) de son « petit orchestre de captives », et, les relâchant pour toujours, meurt à lui-même en enterrant sa propre « vie animalière ».

Ces divers récits (presque sûrement authentiques, même quand ils sont rêvés) ont la densité et la justesse des fables, comme celui-ci – où le petit Joël-Claude apprend la vie des réactions mêmes de son père à la bestiole (une salamandre) que son fils vient de lui apporter :

« Je me penche, je la distingue dans la sombreur, somnolente, au bord d’une flaque. Elle dort ? Probable.

Je l’ai saisie, l’ai mise au creux de ma main, doucement, et l’ai montrée à mon père, un matin.

Mais il craignait la force et le pouvoir de cette bête. Je ne savais pas. Il s’en est saisi et l’a jetée au loin en disant : « si elle y voyait autant qu’elle est aveugle, elle désarçonnerait un cavalier de son cheval ».

Fâcheux proverbe.

Ces choses de maléfices traînaient encore dans la tête de mon père, sournoisement. J’en ai tellement été surpris !

Il n’en reste pas moins que j’ai ramassé la salamandre et je l’ai ramenée dans son trou, bien à l’abri des regards, là où elle dormait si paisiblement » (p.23) 

La salamandre n’a en effet besoin ni de bons yeux ni d’être en alerte pour vivre. Pourquoi ? Parce que sa livrée agressive (jaune ou rouge, et noire) qui prévient de son immangeabilité, éloigne assez ses prédateurs, et lui ôte tout souci de s’en défendre. Elle peut se permettre lenteur et insouciance, parce que sa coloration met assez les  curieux en garde contre son goût nocif … sauf, justement, ceux qui (tel l’enfant J.-C. M.) sont curieux de son apparence, non du tout de sa chair, et de sa splendeur, non de ses protéines ! C’est ainsi que l’amphibienne aux éclats dissuasifs ne peut se protéger de la raison humaine (ludique, essentiellement intriguée). C’est là que le père de l’auteur proteste, rechigne : la salamandre, quasi-invulnérable dans la nature, doit être laissée (par l’ingéniosité humaine) au sombre et douloureux mystère qui lui assure sauvegarde. Il faut, semble réclamer le père, respecter cette peau tachée et nue qui, en quelque sorte voit pour la salamandre, et lui octroie saine et sauve visibilité. La raison ne doit ainsi pas faire effraction dans l’opacité salutaire de la vie : la légende est préférable. Quand elle raconte, par exemple, que la salamandre peut vivre dans le feu parce qu’elle tient la chaleur en respect, qu’elle peut éteindre un sachet de flammes à quelques millimètres de tout point de sa peau, il faut comprendre de quel « feu » elle se protège : celui de la théorie prométhéenne des hommes, de l’inquisition scientifique ou spéculative. La salamandre, qui sait survivre au feu de la vie, deviendrait aussitôt cendres dans celui de la Raison ! Rejetons-la donc , pour son bien, loin de notre savoir !

On se permettra trois courtes remarques sur cet étonnant et juste recueil (par ailleurs clairement, et utilement, préfacé par Marilyne Bertoncini). D’abord, souligner une évocation incisive, et énigmatique pourtant, de la figure paternelle. Dans « Homme-père/Homme de pluie », quelque chose des paysages mêmes paraît héréditaire, et plus précisément, quelque chose de la remontée vers les sources semble un élan issu de lignée paternelle : il y a quelque chose du mâle ombrageux et cinglé dans l’effort du père de l’auteur d’aller sans cesse s’enquérir de la source d’un cours d’eau. La femme (la mère) n’a pas, elle, à chercher une source qu’elle est; alors que l’homme ne peut habiter, au mieux, que les pluies qui la forment. Cette secrète source de l’Ouvèze – montagne de la Chamouse, dans les Baronnies – est l’horizon des « errances » d’un père qui « jamais ne se retourne sur lui-même » (p.70). Cette image du père en bredouille sourcier trempé est d’une rare justesse – avec son écrivain de fils lui donnant après-coup, prudemment, cette réflexivité que le premier se refusait.

Ensuite, cet auteur fin et pénétrant déploie une spiritualité forte, mais non-chrétienne : pas ici de bons sentiments, de sacrifice généreux, de partage gracieux. Mais un amour qui ne vient que par l’intelligence des situations, et l’intelligence semblant dépendre elle-même de la danse des êtres et des choses qu’elle saisit (et semble mimer, peut-être, par ses tournures et ses alinéas). Joël-Claude Meffre estime (mystiquement ?) que chacun dispose exactement de l’amont de lui-même que sa foi mérite. Et que cette foi d’amont, nous la devinons, au mieux, en autrui (p.72) sans l’entamer jamais.

Enfin, parmi tant de formules disant le tact (délicat, jamais infaillible pourtant) et le contact que les destins humains obtiennent les uns des autres (alors que l’animal n’a aucun accès à la manière dont un congénère se damne ou se sauve – on ne devinera rien de ce qui ne peut se dire à soi-même quoi que ce soit !), il y a, dans ce livre exigeant mais familier, une leçon de fraternité réelle. Dans le récit « La taupe et l’hirondelle » (p.19, à partir de Brodsky), une hirondelle, comme vaincue par la tempête et le gel, se résigne à faire misérablement halte dans un trou de taupe. La taupe, alors, se contente, pour l’accueillir, de s’enfoncer un peu plus bas. Cette solidarité sans contact, respectueuse comme par défaut, bienveillante seulement par entre-évitement, dit à la fois la communauté des sorts, et leur stricte incommensurabilité. De même, semble indiquer cet admirable auteur, les respectives « vies animalières » des humains à la fois se devinent infiniment les unes les autres, et chantent l’une pour l’autre, pourtant, leur parfaite incommunicabilité. « Et toi, quel animal auras-tu donc été pour toi-même ? », semble murmurer l’auteur à son lecteur, à son tour d’être un jour, sarment ambigu, jeté au feu :

« Le chariot de tôle avançait,

bringuebalant de par la plaine,

sur deux roues grinçantes.

Il allait droit devant dans les rangées de vigne,

emmenant avec lui un feu,

un feu de hautes flammes jaunes et rouges.

C’était dans le mois de janvier.

On jetait dans ce feu nos fourchées de sarments (…)

Le chariot chauffé à blanc,

était laissé au bord d’un champ.

Il refroidissait

sur ses roues disjointes

et puis, avec le temps, il était oublié

parmi les hautes herbes » (p.75-79)     

 Une carte de voeux


   Le philosophe (et anthropologue) Michel Guérin – né en 1946 – divisait le geste humain en quatre grandes catégories : le geste du travail (faire), le geste de donner (échanger, confier), le geste d’écrire (de marquer des signes), et celui, enfin, de danser (de mouvoir l’harmonieuse liberté d’un corps). Voilà que recevant, il y a quelques jours, cette carte de voeux du graveur Marc Granier, saisi par sa belle complétude, je sens qu’elle conjugue ou conjoint ces quatre gestes : d’un seul envoi, Granier fait, il donne, il inscrit et il « danse » (en tout cas, il fait surgir, en image, les plis rythmiques et les traits de présence autonome du monde). Avec la sobre et énigmatique puissance d’un talent qui semble – comme un démiurge – nous résumer l’univers : on évide ici ou là une planche (ici, enduite d’huile de lin) pour en imprimer les reliefs obtenus; et voilà, devant nous, une « épreuve » du Gard cévenol en personne !

   Cette carte de voeux m’a touché, car les voeux illustrés sont précis et fidèles : exactement comme cette image à la fois conduit rigoureusement notre oeil sur elle et laisse tout loisir de conduire notre rêverie dans ce qu’elle suggère, ce qu’elle nous souhaite est à la fois de bénéficier (par chance) des quelques hasards heureux de l’année qui débute, et de forger (par discernement et ardeur) nos appuis privilégiés et nos accès personnels en elle. Comme la production même de son image l’indique, Marc Granier nous souhaite de savoir évider où il faut, marquer où l’on peut, nous faire voir à nous-même autant qu’on peut … le paysage (et en réalité, le pays même que le temps forme) de l’opportunité qui s’ouvre de douze mois d’existence !

    Le monde qu’avait l’artiste devant lui a, bien sûr, trois dimensions; et, trois aussi, le monde où se tenaient alors son carnet, son appareil-photo (?) et son corps même. Les deux dimensions de cette image (comme de toute image) font alors penser à deux mondes (celui du regardé et celui du regardant) qui, adoptant une sorte de frontière commune en ce rectangle de carton, viennent ensemble y perdre une dimension, comme sacrifiant quelque chose l’un à l’autre : le monde vu vient nous livrer ses structures, et la conscience artiste se met en quelque sorte à plat pour nous. En ce miroir vivant, en cette sorte de reflet acté, en cette belle présence plane, l’oeil d’un peintre vient serrer la main du monde, et sa main à lui vient comme filtrer, écoper, épurer, retirer sélectivement ou célébrer souverainement les lueurs du monde. Granier pose et place ainsi (en lui choisissant respectivement un support et un endroit) devant nous, la figure sensible et sensée d’une perfection habitable. Un philosophe traduirait le voeu que ce discret et résolu graveur nous formule : Bon et bel être-au-monde ! 

   J’aime ce paysage. Une sorte d’arche m’y invite à m’éloigner par elle, ou à revenir – selon ma fantaisie – depuis le fond des collines, jusqu’au premier plan (et ses dalles de schiste ?) rejoindre mon oeil même. Ce petit pan de région est fait exactement de blanc et noir entrelardés, comme un « négatif » du regard de Dieu. C’est une image à la fois rationnelle et concrète; rationnelle parce qu’elle suit (et restitue méthodiquement) les lignes de force du paysage, elle nous représente les relations à l’oeuvre dans ces éléments et ces textures pour qu’ils sachent former réalité ensemble ; et concrète, parce que cette représentation de l’intimité dynamique du monde est sans mots, ni icônes, ni algorithmes : tout nous est rendu présent comme ce tout est, là-bas, présent à lui-même.

   L’oeil touche ainsi directement les causes, les cachettes, la chair et à la fois le vestiaire, du monde. Saint-André de Majencoules prend pour guide une main de graveur, qui paraît nous dire : « Visitez-moi, car on ne sait jamais … ».

   En 2024, advienne que pourrons ! Merci, Marc Granier.