BERNARD GRASSET, Brise, Jacques André éditeur, collection Poésie XXI, 2020, 44 pages.

Chronique de Patrice Breno

Bernard Grasset, Brise, Jacques André éditeur, collection Poésie XXI, 2020, 44 pages.

Brise rassemble des textes écrits entre 2006 et 2008 qui paraissent presque 15 ans plus tard. Comme le signale Bernard Grasset dans son avant-propos : « Brise est la conclusion, l’accomplissement d’un humble chemin. » Ce qui a été écrit après est un complément, un « surcroît », un prolongement…

La langue française a de ces mots qui ont plusieurs significations. Brise, est-ce l’injonction à mettre en pièce, la cassure, est-ce la brise de mer ou de terre, ce vent qui souffle vers le continent ou vers la mer, ou d’aval ou d’amont. Est-ce briser la glace ?

Laissons simplement le vent nous mener là où il veut bien nous conduire, sans réfléchir plus avant !

Ces superbes poèmes sont intemporels ou nous dirions qu’ils traversent le temps, les temps !

Bernard Grasset, poète et traducteur, a écrit en français, mais aussi en hébreu et en grec. Il a traduit la poétesse juive Rachel de l’hébreu au français ainsi que des poètes grecs du grec moderne vers le français.

Si BRISE de toute évidence se réfère à la Bible, l’auteur nous envoie à la recherche par chacun de ses vers de la lumière et du chemin qui – grâce à un vent peu violent et extrêmement patient – conduisent à une forme de sagesse et de merveilleux.

Ses poèmes de neuf à douze vers nous décrivent ce besoin d’avancer, de chercher, de marcher, de voyager et ainsi de découvrir d’autres horizons, peut-être l’Eldorado !

Son écriture minimaliste, qui évite toute distraction possible, nous suggère une forme d’ascèse, de silence, d’écoute.

Comme sur un palimpseste, le poète Grasset réécrit l’Histoire, efface, rature sans rage, sans colère pour nous conduire vers une forme de renaissance où « les braises s’attisent » pour que « le poème s’embrase ». Ici, le sacré se mêle à l’intime, la poésie de Bernard se prête à la méditation, comme une respiration, voire une longue inspiration pour enfin « vivre l’essentiel ».

Une poésie pure, à lire, à relire, à méditer…

© Patrice Breno

Francis Denis, Jardin(s), suivi de La femme trouée, La Route de la Soie, 2020, 159 pages.

Une chronique de Patrice Breno

Francis Denis, Jardin(s), suivi de La femme trouée, La Route de la Soie, 2020, 159 pages.

www.laroutedelasoie-editions.com

Les jardins de Francis Denis ouvrent sur des jardins intérieurs, où le noir côtoie la monotonie et solitude de la vie, que chacun voudrait rompre, ne fut-ce qu’en passant à l’acte, comme ici notre héros, René. Ce dernier aménage son jardin et a une idée lumineuse : il veut construire une piscine verticale, et il réalise son souhait. Les voisins et les enfants des voisins sont invités à profiter de ce havre de confort et ils en usent et abusent volontiers.

Mais toute réalisation a un coût et voilà que l’entrepreneur, véreux en soi, vient réclamer ses honoraires. Celui-ci disparaît et René n’y est pas étranger, ce qui – si au départ – ne lui procure aucun remords, finit par le bousculer dans ses principes, depuis qu’il est tombé amoureux de Clotilde, une enseignante. Cet amour est réciproque !

Ce roman est mené tambour battant et se lit comme un thriller. Il est décliné comme une pièce de théâtre, où chaque nouvel acte ajoute un ou plusieurs éléments. Le crime parfait !

Humour et dérision de soi aussi, tout va parfois tellement vite !

La deuxième grande nouvelle, La Femme trouée, est tout aussi noire. La fille de Marthe est traumatisée depuis son enfance : un incendie dans un appartement où ils jouaient à trois, elle s’en sort mais ses deux compagnons sont décédés. Depuis, Marguerite ne parle plus et sa prise en charge devient chaque jour de plus en plus lourde pour sa mère.

Des phrases percutantes et des réflexions qui ne laissent pas indifférent :

« Les souvenirs, ça se cultive. Comme les légumes dans le potager, il faut en prendre soin, leur parler, apaiser leur soif, leur murmurer des mots gentils ou encore chantonner tout en remuant la terre tout autour pour qu’ils puissent respirer et s’épanouir en toute tranquillité. » p.113

et aussi :

« La nostalgie n’est pas forcément un bon remède quand les blessures restent enfouies au plus profond de nous-même. »

Philosophie, quand tu nous tiens ! Les personnages de Francis Denis sont attachants, même si leur comportement n’est pas toujours des plus moral.

Lu sur Babelio :

« Né en 1954, auteur et artiste peintre autodidacte , Francis DENIS réside à Longuenesse, dans le Pas-de-Calais, près de Saint-Omer, en France. Il a exercé la profession d’éducateur de 1973 à 2014.

Il fut le co-fondateur de la revue poétique Lieux-d’Être avec le poète Régis LOUCHAËRT puis co-organisateur du festival d’art sacré contemporain « Les Regardeurs de Lumière » en la cathédrale de Saint-Omer de 2008 à 2013. »

©Patrice Breno

Daniel Charneux, À propos de Pre, roman, Éditons M.E.O.

Une chronique de Patrice Breno

Daniel Charneux nous met en nage du début à la fin avec ce superbe roman, où la volonté d’aller plus loin, plus vite et l’amitié sans détours sont les thèmes-phares de cet opus.

Pete Miller veut rendre hommage à son ami Steve Prefontaine, dit « Pre ». Plus de 40 ans après, il veut se souvenir de ce qu’était Pre, champion mondial de la course à pied ; il a côtoyé les grands, comme Puttemans ou Viren.

Il faut avoir couru, comme je l’ai fait moi-même à un niveau amateur, entendons-nous, pour comprendre l’adrénaline qui nous pousse à vouloir davantage, dépasser celui qui était trop souvent devant soi, battre son propre chrono, savoir souffrir…

Pete, sous forme de journal, raconte l’aventure sportive de son ami Pre, avec qui il courait dans les années 1970. Des années 50 à nos jours, sur fond d’histoire américaine, nous suivons une véritable épopée sportive.

En parallèle, avec quelques amis, le narrateur nous relate une course-relais « Hood to coast relay », qui compte 1050 équipes de 12 coureurs, soit 12600 participants. En faveur de l’association pour le cancer, maladie fatale à l’épouse de Pete. Ce dernier et ses coéquipiers, hommes et femmes, s’y étaient engagés en 2018.

Ce roman se lit avec plaisir et le lecteur souffre avec les coureurs, applaudit les performances et prend un fameux bol d’air.

Des moments émouvants aussi !

Par exemple, quand Pete nous parle de la Saint-Valentin, nous retenons comme une boule dans le fond de la gorge.

Daniel Charneux, en véritable conteur, sait nous captiver ! Difficile, voire impossible de ne pas lire ces 150 pages d’une traite.

Quelques extraits qui sont aussi des modèles d’espérance et de bonheur :

« L’inspiration, nous le savons bien grâce à la course, est inséparable de l’expiration. »

« Sorte de Léonard de Vinci de l’époque, un décathlonien de l’existence. »

« Dans tous les domaines, amitié, courses ou filles, c’était un vainqueur ! »

« Ses performances, Steve ne les devait qu’à sa classe et à son travail. »

« Chacun de nous devrait peut-être noter sa vie avant de l’oublier. »

Daniel Charneux, né en 1955, a publié 

  • un recueil de nouvelles : « Vingt-quatre préludes » (2004) ;
  • huit romans : Une semaine de vacance (2001), Recyclages (2002), Norma, roman (2006), Nuage et eau (2008), Maman Jeanne (2009), Comme un roman-fleuve (2012), Trop lourd pour moi (2014) et Si près de l’aurore (2018) ;
  • des haïkus : Pruine du temps (2008) et de Si longues secondes (2010).

©Patrice Breno

Dominique Zachary, Les frémissements du silence, roman thérapeutique, éditions Kiwi France, 2020, 283 pages.

Une chronique de Patrice Breno

Dominique Zachary, Les frémissements du silence, roman thérapeutique, éditions Kiwi, 5, rue de Charonne, 75011 Paris, France, 2020, 283 pages. Préface de David Le Breton.

Dominique Zachary, journaliste et chroniqueur régional et judiciaire à l’Avenir du Luxembourg, essayiste, conteur, historien et romancier, a une panoplie de cordes à son arc d’écrivain. Chacune de ses publications est une découverte, tant il se révèle un passionné : l’histoire (La patrouille des enfants juifs, Racine, 2005 et 2012 ; Marie-Antoinette, La fuite en Belgique, Racine, 2001 ; Madeleine Ozeray, Racine, 2008), le conte (Le trou des fées, Memor, 1988, Weyrich, 2009) ; le roman (La traîtresse, Michalon, 2013)… ainsi que d’innombrables articles très pointus.

Revenons à son deuxième roman, publié en début d’année, juste avant le confinement : « Les frémissements du silence », publié aux éditions Kiwi.

Les éditions Kiwi (www.editionskiwi.fr), dont le siège est à Paris, proposent des livres de développement personnel, ainsi que des ouvrages sociologiques et ludiques.

Françoise, infirmière aux soins palliatifs « croisait la mort et l’inéluctable plusieurs fois par semaine », où « le patient prend irrémédiablement le train du terminus, sans billet de retour ». Françoise, à ses heures perdues, peint « les portraits des âmes douces ».

Alex, chef d’entreprise, est accaparé par son boulot et n’a pas le temps de faire autre chose, même pas de rejoindre sa mère qui vit ses derniers jours en clinique. Arrogant et sûr de lui, quand sa mère meurt, il règle les funérailles comme une formalité, en deux temps trois mouvements !

C’est la rencontre improbable de ces deux personnes, aux facettes humaines diamétralement opposées, qui va constituer la trame de ce roman. Une remise en questions qui provoquera un basculement, une forme d’apaisement aussi… conduisant à la patience et à la sagesse.

Ce roman est dans la veine des romans « feel good », ce qui fait du bien aussi dans les périodes incertaines que l’on vit actuellement. Au départ, un anti-héros, du pessimisme… Et puis, au loin, un coin de ciel bleu !

Le dévouement du personnel soignant non seulement mais de tout le personnel (administratif, ouvrier, de nettoyage, de cuisine…) qui gravite autour des malades n’est plus à démontrer. Dominique Zachary, inspiré par son expérience vécue avec ses proches, s’est amplement documenté pour écrire son roman thérapeutique (et il est vrai que ça fait du bien non seulement de penser à d’autres que soi, mais aussi d’agir selon ses propres moyens !). L’ont aidé dans sa démarche d’écrivain les responsables de l’unité de soins palliatifs, Eole, à Virton. (https://www.vivalia.be/servicesoins-palliatifs-virton). Le Docteur Michel Marion, fondateur et directeur de cette unité pendant de nombreuses années, actuellement directeur médical des Cliniques du Sud-Luxembourg à Arlon (Belgique), ainsi que l’Infirmière en chef Michelle Devos, ont relu « le manuscrit de ce roman et y ont apporté des remarques judicieuses ».

Dans un moment où des métiers plutôt occultés et peu soutenus comme ceux du personnel de soins et de santé et leurs auxiliaires de travail, le roman de Dominique Zachary prend ici toute son importance. Se dévouer, même s’il s’agit de « gagner sa croûte », à l’accompagnement, aux soins et au soutien des malades, des personnes âgées, grabataires, en fin de vie, atteintes de démence…, se dévouer pour ces personnes fragiles et fragilisées relève de la vocation pure et simple. De la grandeur d’âme ! Rien que le titre donne le frisson : « Les frémissements du silence » est bien un roman thérapeutique, car il ouvre les yeux sur un monde que l’on connaît trop peu ou mal ! Les soins palliatifs ou comment aider à mourir en toute dignité.

Il en faut du courage, de l’abnégation pour faire la part des choses quand on vient aussi près de la mort. Puis, sa journée de travail terminée, retourner chez soi, près des siens.

Rien ne prédestine à autant de patience et de sagesse !

Merci Dominique pour ces pages magnifiques sur un sujet pas facile du tout !

©Patrice Breno

Anna Ayanoglou, Le fil des traversées, poèmes, Gallimard, 2019, 97 pages

une chronique de Patrice Breno

Anna Ayanoglou, Le fil des traversées, poèmes, Gallimard, 2019, 97 pages


« Pourquoi construire, même / quand on peut vivre et se guider / aux battements que l’ailleurs a précipités ? »

« Le fil des traversées est divisé en trois grands chapitres, initiés par un « Prologue » et terminés par un « Fugitif épilogue ». Les chapitres sont reliés entre eux par un « Intermède », comme une respiration, une escale, une passerelle, un passage d’un lieu à un autre, d’un thème à un autre…

Anna Ayanoglou, dans cette suite de poèmes qui est en soi un long poème à lui seul, relate ses années passées dans les pays baltes. Plutôt que de tourisme, nous parlerions d’errances dans ces pays froids qui ont encore des relents du communisme stalinien. Dans les villes que l’auteure parcourt, de Vilnius à Valga/Valka, en passant par Riga, certains bâtiments « suinte[nt] l’autorité ». Rien de tel que le poème pour mettre des mots sur des sentiments, sur des sensations. Pas besoin de longues phrases pour ressentir en même temps la nostalgie et le rejet du passé (soviétique), dans les visites de ce bout du monde vaporeux, de ces bars et de ces villes aux rues froides — des rues où « rien / jamais, n'[y] advenait ».

Pas besoin de logorrhée ni de longue romance pour dévoiler la souffrance quand la relation avec l’amant se révèle être porteuse de mal : « il faut partir – rentrer / sans rien, personne, / et surtout pas l’amant ». Nostalgie des espaces parcourus, des instants fugaces ! L’amour se confond avec ces paysages de fin du monde.

Le voyage d’Anna est un passage obligé, mais qui doit s’occulter progressivement, pour aller vers l’avant.

« Le fil des traversées » n’est pas un récit touristique. A part le nom de quelques villes, il appartient à chacun d’imaginer l’horizon qui se découvre à lui, car ni les rues, ni les lieux, ni les personnes ne sont nommés ; ils sont simplement suggérés, comme un palimpseste sur lequel Anna Ayanoglou recompose son propre monde, revit son passé, pour mieux se construire, se reconstruire ; un parcours indispensable pour aller vers un ailleurs plus serein. « L’illusion de la liberté » !

Des poèmes à savourer, à lire et à relire et aussi à se lire à haute voix…

©Patrice Breno