Une chronique de Patrick Devaux
Martine Rouhart, L’inconnu dans le jardin, récit, éditions Bleu d’encre, préface de Michel Joiret (2023, 51 pages, 12 euros)
Martine serait-elle devenue un peu son chat à scruter à travers la nuit une présence diffuse appuyée sur le tronc d’un de ses grands arbres ?
Il y a quelque chose de « l’Ange de l’Inspiration » de Rembrandt dans les faits évoqués entre rêve et sommeil où prime le mystère.
Qui donc s’aventure ainsi à « infiltrer son royaume » ?
Le jardin de l’auteure lui est précieux et l’habite totalement et peut-être est-ce une sorte de dédoublement de la personnalité qui se manifeste, d’une certaine façon, ici.
Ayant longtemps fréquenté « Les fantômes de Théodore » (titre d’un de ses romans), Martine ne s’effraie pas d’une présence supplémentaire et va plutôt à sa rencontre tandis que, qui fréquente l’ombre, peut avoir cette impression « d’avoir raté un rendez-vous » quand se lève le matin, l’auteure retournant à sa tâche d’écriture en évoquant l’œuvre elle-même, tournant alors le dos au jardin mais avec un souffle accompagnateur par-dessus son épaule.
J’ai songé au « Horla » de Maupassant quand la présence mange le temps libre et prend possession des heures et presque du corps : « On se promène à deux dans les forêts de sapins et des champs de bruyère, parfois on dort même ensemble », le récit faisant cependant appel à l’apaisement, contrairement au récit du grand écrivain.
L’occasion est belle pour appréhender l’acte créatif : « J’écris, rature, nuance dans des variations infinies. J’écris avec ce vibrant fragile qui tente de trouver les mots justes ».
L’écriture est-elle une façon de « dénouer tous les vertiges à l’intérieur de soi » tandis que la stabilité de la personne elle-même se suffirait de la présence d’un arbre : « Je pense qu’il suffirait d’un arbre au milieu de rien pour ne pas se sentir perdue » ?
La question globale du récit reste sérieuse entre « morceaux de vie » et « reflets ». Pour s’y retrouver la réponse est parfois dans les mots et l’inventivité de l’auteure éprise du souffle poétique : le sien et celui de son mystérieux jardin où s’invite une ombre qui, peut-être, comme dans « Les fantômes de Théodore », lui rappelle quelqu’un.
Les franches illustrations très graphiques de Christian Arjonilla accompagnent le récit, semblant évoquer, en symbiose avec l’auteure, le visage représenté dans un inachèvement choisi laissant autant de portes ouvertes à définir l’apparition suggérée.
©Patrick Devaux