Bruno Geneste, La Route selon Jack Kerouac, Les montagnes Noires, Essai,

Chronique d’Alain Fleitour

Bruno Geneste, La Route selon Jack Kerouac, Les montagnes Noires, Essai,

ISBN 9791097073299, 7 septembre 2018.


Dans le lointain de ses rêves, Bruno Geneste retrouve Jack Kerouac sur une plaque de béton chauffée à blanc ; la route ce matin là était encore plus suffocante que des paroles de braises.

Peut-on rejoindre un disparu sinon par flashs aussi intenses que passagers d’un premier lointain, jusqu’au 25 ème lointain (chaque chapitre est appelé lointain ) ? Bruno Geneste dans son recueil,  » La Route selon Jack Kerouac », tente de faire revivre en plein vent d’ouest, les bruits,  l’odeur et la vie bourdonnante de la Ford Mustang.

Cette tire là, son seul trésor, vit des danses endiablées, où chaque virée la propulse vers l’Ouest, mais inéluctablement la Mustang reviendra retrouver les décors de son écurie à Big Sur, son point d’attache.

Difficile de décrire ce livre calcinant, sur la Route de Jack Kerouac, où l’on monte très haut dans les aigus et dans l’extase, mais au fil des kilomètres l’on descend très bas, les verres à marée basse, les cheveux en tignasse à la rasta, où les femmes finissent par décrocher, souvent dans le noir en fin de nuit, épuisées.

Ce sont des fantômes qui planent sur la Route 66, ce lieu qui dévorait l’espace quand vous quittiez des gens en bagnole, vous les voyez rapetisser dans la plaine jusqu’à finalement disparaître, la route, un lieu où tout finissait par s’amenuiser. La musique comme l’écriture participait à ce perpétuel souffle de liberté, tutoyer la raison, aller jusqu’à l’absurde jusqu’au dessèchement des sensations.

Ce chant dédié à Kerouac, originaire des Monts d’Arrée, est ponctué de Hip hop, de Jazz, de Soul music, où chaque phrasé semble réciter la nostalgie d’une Bretagne perdue. Il fallait que la musique renoue avec la magie, au promontoire des plus hautes fulgurances comme si les vagues venaient si loin dans les terres non pas de vagues lettres mais des déferlantes sur lesquelles on pouvait surfer des nuits entières sur des musiques qui seules vous faisait tenir et tenir encore.

Dans chaque lointain, Bruno Geneste explore ces paysages devenus leurs délires, baignés de drogues et d’accords saturés. A la rencontre de toutes les populations amérindiennes il restitue l’itinéraire intellectuel de Kerouac, essayant de comprendre ce qui reste de leur culture. Viendront le temps de la réflexion et les rencontres de Henry David Thoreau, et de Jim Morrison.

De tous ces mondes, Kerouac le mystique à l’état sauvage, nous rappelle qu’il vient d’un pays, la Bretagne, ce sont d’abord les rêves, et une profonde nostalgie d’un Éden perdu à travers lequel il revit son enfance et ce frère disparu.

Ce sentiment de la mort qui le hante et l’étouffe l’accompagnera toute sa vie. Ce sentiment remonte à la mort, en 1926, de son frère Gérard, alors âgé de neuf ans. C’est Neal Cassady qui prendra sa place. Son ombre immerge chaque débordement de ces vagabonds célestes.

Il fallait avoir tiré cinq ans de tôle pour se livrer à des extrémités aussi démentes : « Neal portait dans son corps les sources de toute béatitude : suppliant aux portes mêmes de la matrice, il essayait d’y rentrer une fois pour toutes, de son vivant, avec en plus la libido effrénée et le tempo d’un vivant », raconte Kerouac. Jack Kerouac et Neal allaient ainsi devenir les icônes de la Beat Generation, précurseurs de la libération sexuelle et modèle de vie pour une partie de la jeunesse.

L’itinéraire devient un lacet de folies quand le groupe se met à grover, et que le contrebassiste, recroquevillé sur son instrument, cogne de plus en plus vite.  Tout s’accélère, les accords   jaillissent du piano en cataractes, on croit qu’il ne va pas avoir le temps de les aligner, mais ils déferlent en vagues successives, océaniques.


Les éditeurs, bouleversés par ces textes, ont surtout perçu une menace, le manuscrit doit être désodorisé. Muni d’un rabot, d’une gouge et de ciseaux, pour plaire à ses commanditaires, Jack Kerouac râpe, rogne, lime, découpe. C’est un passage par la casse, pour une revente en pièces détachées.

Après sa rencontre avec le poète breton Youenn Gwernig, né Yves Guernic le 5 octobre 1925 à Scaër, le livre de Geneste bascule vers la nostalgie, la deuxième partie établit des ponts entre les deux cultures : la Bretagne, pays d’aventuriers et d’exilés, et l’Amérique où se retrouvent tant de Bretons à côté des Irlandais, ou des Gallois.

Le temps a manqué, le voyage de Jack Kerouac en Bretagne n’aura jamais lieu, laissant les poètes inconsolables, Bruno Geneste comme Youenn Gwernig et Xavier Grall.

Ils se sont reconnus très vite à New York et ont échangé de très longues correspondances.
Youenn Gwernig est écrivain et poète, également sculpteur, musicien et chanteur, bien qu’il se soit révélé tardivement, le Grand Youenn venait remplacer Neal Cassady.

Un remarquable livre a d’ailleurs été édité sur leur rencontre et leur correspondance dans un mélange de français et d’américain.

La fin est un long poème sur la mer qui rend un hommage à Jack Kerouac, car tous les mots laissés à l’abandon qui n’ont jamais pu être exprimés, reviennent ici sous la plume de Bruno Geneste.

La mer glisse

un nom

l’emporte

sous les sables

à flanc

sémaphorique

d’une cabane

la mer absorbe

le blanc autour des roches

la mer fissure

l’ombre.

Je vous invite à relire Sur la route de Kerouac dans la fabuleuse version de Gallimard (paru en 2010), en vous accompagnant de « Mes Premières Jeunesses » de Cassady, puis de relire leur correspondance.

©Alain Fleitour

Claire Fourier, Tombeau pour Damiens, Éditions du Canoë, roman historique, ISBN: 2732485845

Chronique de Alain Fleitour

Claire Fourier, Tombeau pour Damiens, Éditions du Canoë, roman historique, ISBN: 2732485845
paru 04/2018.


Mais qu’allait-il faire dans cette galère!

Voltaire voyait en Damiens une incarnation du fanatisme religieux, mais avait-il pris la mesure des circonstances qui ont abouti, à le faire condamner par le parlement de Paris,  puis à le soumettre sur la place de grève à des supplices funestes et barbares, un acharnement sordide que seul un pervers pouvait imaginer.

Dans son dernier livre Claire Fourier entreprend de restituer la totalité du parcours de Damiens. Celui que l’on a présenté comme « le bras de Dieu », Robert-François Damiens avait d’un coup de canif éraflé Louis XV . Ce qui fut un simple avertissement au souverain dans son esprit, a pris une dimension considérable,  aboutissant à sa peine de mort le lundi 28 mars 1757 à l’aube.

Claire Fourier reprend sans cesse les termes « la journée sera rude », il sera bien écartelé, et sera  soumis à la question. Cependant et jusqu’au bout Robert-François Damiens, assumant la douleur, fournira la même version des faits.

Claire Fourier écrit ces mots, page 218, étincelants de gravité et de pudeur ;  « Damiens regarde avec un attendrissement douloureux ses jambes en charpie ».

Il apparaît qu’il n’est pas un fanatique mais un homme parfaitement informé de la façon dont Louis XV dirige le royaume de France, il pose le doigt sur la faillite du régime, il impose sa sagesse.

La journée sera rude pour ce serviteur zélé, éduqué à servir les plus grandes familles du Royaume de France, et apprécié pour sa discrétion et sa distinction. Soumis à la question, aura t-il le cran de taire, ce qu’il a entendu  dans les cours des châteaux ?

Aussi, la journée sera rude pour tous ceux qui ont côtoyé ou croisé Damiens, pour tous ces hauts personnages du Royaume de France qui en coulisse disaient pis que pendre du souverain. La noblesse de l’époque avait si grande frousse que Damiens dévoile les propos distillés, pour stigmatiser le roi et non pour le glorifier, que certains se sont discrètement volatilisés.

Le libertinage du roi, initia le mépris de François Damiens pour cette couronne, mais en réalité les confidences et les secrets qu’il détenait étaient bien plus explosifs qu’une vie dissolue. Il est délicieusement agréable de goûter la précision avec laquelle, Claire Fourier a étayé la vie de François Damiens, domestique au service des plus grands. Il était aussi à sa mesure un érudit, et fut tout au long de sa vie le témoin lucide de son temps.

Oui Voltaire était malvenu de fusiller dans ses écrits ce témoin pour quelques broutilles de bienfaits qu’il reçut de la tête couronnée.

Les relations entre les jansénistes et les dominicains étaient pour lui, une preuve viscérale et essentielle du fanatisme de l’église, ce fanatisme qu’il a pendant des années combattu, explicité, critiqué, à juste titre : peut-être que le cas de Damiens à la lecture d’autres procès a modifié la façon de voir les conditions d’exercice de la peine de mort.

Mais on est encore loin de la position qui sera celle de Victor Hugo. Tombeau pour Damiens est sans aucun doute un livre d’histoire à diffuser, à commenter, à expliquer et pour ce personnage oublié de l’histoire, il conviendrait de procéder comme Claire Fourier, à sa réhabilitation.

Tombeau pour Damiens fut sans doute le pas de trop dans l’abject de la torture, et prépara la remise en cause de la Question.

©Alain Fleitour

Jérôme Garcin, le syndrome Garcin, Gallimard, Récit, ISBN : 2070130622, 1 décembre 2017.

Chronique de Alain Fleitour

Jérôme Garcin, le syndrome Garcin, Gallimard, Récit, ISBN : 2070130622,  1 décembre 2017.


« J’écoute le silence du médecin, écrira Jérôme Garcin page139, le silence de Paul Launay, qui a consacré des pages à la découverte de la mort pour un enfant, à la perte d’un frère, au langage et à la séparation violente des jumeaux, mais qui laissera sa femme dire ce qu’il est incapable de dire.


Par erreur, ou au détour d’une confidence, Jérôme Garcin fait parler Pam et dévoile  le mutisme de la douleur, le drame qui fissure encore l’âme de celui qui est Paul Launay, le médecin le mieux qualifié pour alléger le poids du deuil chez l’enfant, non à le surmonter, mais juste pour l’évoquer.
C’est Pam encore qui explique à l’enfant de 10 ans, combien le décès de son frère l’a meurtri.
Jérôme Garcin se tait, ou du moins, il ne parle qu’à la 3ème personne.


Le syndrome Garcin est là, douloureux, impalpable, il est un mélange d’angoisse et de désinvolture, il est là dans la négation du drame, dans cette façon de se blinder et de se taire, jusqu’au moment où les parents de Jérôme Garcin, faute de le comprendre, traduiront parfois cette froideur en égoïsme. Jérôme, était-il insensible, peut-être que l’auteur s’en souviens, de cette incapacité d’aimer comme si l’enfant avait perdu l’élan du cœur.



« Pam me raconte le garçon que j’ai été
dans les mois qui ont suivi la mort d’O1ivier,
me décrit très précisément ma détresse,
ma sidération, mon repliement,
de feindre d’ignorer le drame
qui m’a métamorphosé
au seuil de mes six ans. »



Mais le conteur Jérôme Garcin n’en reste pas là, et sur cette page 138, Pam se confie, elle lui montre soudain, « celui que, avec autant d’amour que d’anxiété, elle n’a cessé d’observer et de materner, mais que j’ignore- ou que je veux ignorer- avoir été. »


La réponse à cette incontournable question ; pourquoi cette famille a tout donné à la médecine ? Elle se trouve page 9 . « Au commencement était l’homme et sa souffrance, en face se trouvaient son semblable et sa compassion. Toute la médecine est partie de là ( séance inaugurale par Raymond Garcin en 1954 ) ».


Raymond Garcin aura trouvé les mots, pour expliquer ce goût de soigner, dans une indisposition naturelle à se mettre en avant, en choisissant de venir en aide aux souffrants, et d’entrer dans les ordres de la compassion.

Cette retenue, cette humilité se traduira par la lecture de tous les écrivains qui cherchent à combattre les fléaux, au lieu de scruter l’horizon pour débusquer les boucs émissaires.
Il lira Albert Camus et sa fougue à combattre, à résister aux grandes épidémies par le travail et la raison.


Jérôme Garcin écrit dans ce livre l’essentiel, notre destin à tous, dans une langue simple fluide, pleine de fantaisie, oh combien lucide. Ce ne sont pas des chapelets de titres qui défilent, mais une lignée de personnalités, de déterminations, de pratiques qui se situent entre la profession et l’ordination.


Il y a dans le style Garcin celui qui s’amuse, taquine, se cache et celui qui monte en selle pour vilipender tel rustre ou telle funeste logique. Je finirai par trouver dans la prose de ce grand lecteur, du d’Ormesson avec une pointe de Desproges.



© Alain Fleitour

Albert Camus et Maria Casarès, Correspondance, Gallimard, Archives : la correspondance de Albert Camus et Maria Casarès 1944 à 1959 , ISBN : 2072746175, 9 /11/ 2017, audio le 14/06/2018.

Une chronique d’Alain Fleitour

Albert Camus et Maria Casarès,  Correspondance, Gallimard, Archives : la correspondance de Albert Camus et Maria Casarès 1944 à 1959 , ISBN : 2072746175,  9 /11/ 2017, audio le  14/06/2018.

Ils touchent presque le ciel, ils sont lumineux, ils dialoguent, se conjuguent, et de leur rencontre émerge une correspondance d’une beauté et d’une profondeur foudroyante.
Albert Camus et Maria Casarès dans le silence de leurs séparations écrivent une prose inouïe par la qualité littéraire mise à nue.

C’est un  monument de 1300 pages, aux signes serrés, de plus de 40 lignes par page. Comment résumer un tel livre ? J’ai pris l’option de m’appuyer sur des passages qui font revivre, les acteurs de cette correspondance.  


Mais, quand le rideau tombe fin décembre 1959, ce sont nos pleurs qui froissent le papier. L’inacceptable est arrivé au plus grand écrivain du XX ème siècle. Tout se dit et s’écrit sous sa plume avec une intelligence subtile, aimante, prenant toute la vie à bras le corps, les fulgurances de l’amour comme les ténèbres de son siècle, de sa ville, Alger, de son pays.

Pourtant elle savait qu’elle pourrait perdre Albert Camus. Elle pressent qu’un accident peut arriver. « La seule chose qui me sépare de toi maintenant et qui me pousse à la folie par instants, c’est l’idée qu’un jour la mort vienne nous obliger à vivre l’un sans l’autre ». « Lorsque cette pensée s’empare de moi avec cette acuité … Avec l’idée que tu n’es plus là et que tu ne seras plus jamais là, toutes mes facultés se brouillent dans un chaos total. »

Cette soif de vie Camus l’a exprimée avec force dans son livre L’Étranger. Quel auteur est capable d’écrire un tel livre, avec cette plume, neutre, dépouillée de toute émotion, en la portant au plus haut niveau de l’expression de l’absurde et achever le livre par un appel à la vie, « car s’il ne me reste qu’une heure, je veux la savourer, sans être dérangé par les prêtres, la vie oui, je veux toute la vie ».


Cette correspondance offre tout l’envers de l’Étranger, le langage du cœur.



Dans cette correspondance il laisse toutes ses fibres confier ses plus belles émotions d’homme, puiser dans ses vagabondages, dans le désert vers une autre lumière, celle des amants, et confier au ciel des vœux fixés à des étoiles filantes. Qu’ils retombent en pluie sur ton beau visage, là-bas, si seulement tu lèves les yeux vers le ciel, cette nuit. Qu’ils te disent le feu, le froid, les flèches, l’amour, pour que tu restes toute droite, immobile, figée jusqu’à mon retour, endormie toute entière, sauf au cœur, et je te réveillerai une fois de plus…Écrit Camus le 31.07.1948

Le 24 août 1948 , l’absence de Maria Casarès,
« irradie son corps tout entier, un corps privée de sa source, de cette eau qui lave et apaise, car dit-il, j’étouffe, la bouche ouverte, comme un poisson hors de l’eau. J’attends que vienne la vague, l’odeur de nuit et de sel de tes cheveux ».

Le chassé croisé des lettres s’harmonise pour fluidifier cet intense dialogue à distance, entre Maria Casarès à Albert Camus, les échanges se font plus sensuels et plus poétiques le jeudi 30 décembre 1948.

Elle lance,

 » Ah viens vite et tout au creux de tes grandes jambes, lors , tout se fera tout seul… Et je t’emmènerai au milieu du vent, de la pluie battante, des rosaces, des vagues, dans l’odeur du varech, et je te ferais comprendre, « sale lacustre brûlé de soleil »,  » je t’aime de ce mouvement infini, tout mouillé, salé, où l’on ne peut vivre qu’au passé tellement l’instant est fugitif, et inaccessible ».


C’est aussi dans ces échanges épistolaires tournés vers la vie partagée, qu’Albert Camus trouve des accents d’une beauté aveuglante ;

« nous aimer le plus fort et le mieux que nous pourrons, jusqu’à la fin, dans notre monde à nous, écartés du reste, dans notre île, et nous appuyer l’un sur l’autre pour faire triompher notre amour par sa seule force, par sa seule énergie, en silence. »


Maria Casarès y répond avec cette beauté singulière que donne au cœur l’intelligence de l’âme.


« La mer devant moi est lisse et belle, comme ton visage parfois quand mon cœur est en repos ».
« Mais l’amour que j’ai de toi est plein de cris. Il est ma vie et hors de lui, je ne suis qu’une âme morte. »


Les deux correspondances se répondent dans une langue à la poésie tenue, une écriture juste qui décuple les énergies de chacun. Ce sont deux amours fructueux, débordant de projets, d’attentions, de connivences, un couple soudé à leur devenir.


« Ta présence, toi, ton corps, tes mains, ton beau visage, ton sourire, tes merveilleux yeux tout clairs, ta voix, ta présence contre moi, ta tête dans mon cou, tes bras autour de moi, voilà tout ce dont j’ai besoin maintenant. »


« Que tu m’aides un peu, très peu, et cela suffira pour que j’aie de quoi soulever les montagnes répond encore Camus à Maria Casarès. »

La maison Gallimard a décidé de créer un livret audio. Ce livret avec les voix d’Isabelle Adjani et de Lambert Wilson est une belle réussite

La voix d’Albert Camus, dont je ressens le phrasé si ample, si détaché parfois tant la qualité de l’écriture dense et serrée tremble avec une émotion toujours contenue, donne une mélodie mélancolique à la beauté de son style imagé. Les nombreux textes qu’il a lus ont imprégné notre mémoire, et là dans cette voix de Lambert Wilson, c’est Camus vivant qui nous parle.


Je me souviens de Maria Casarès dans la somptueuse pièce de Berthold Brecht, Mère Courage, je me revois en 1968, écouter cette voix féroce, cassée, si forte qu’elle emportait tout comme un ouragan. Est-ce le deuil qui a fait d’elle la très grande tragédienne, comme portée par une blessure si démesurée. La voix d’Isabelle Adjani est portée par cette déchirure à venir.

© Alain Fleitour

Cathy Bonidan, Le Parfum de l’Hellébore, Éditions de la Martinière, ISBN: 2732472514

Chronique de Alain Fleitour

Cathy Bonidan, Le Parfum de l’Hellébore, Éditions de la Martinière, ISBN: 2732472514
paru 05/01/2017, réédité en livre de poche.

Il est étrange de commencer cette fiction en 1956, « Le Parfum de l’Hellébore », dans le milieu  hospitalier. L’auteur Cathy Bonidan est vannetaise. Or, au mois de janvier 1955, une épidémie de variole se déclara à Vannes faisant une vingtaine de morts, dont le Dr Grosse. Parmi les victimes plusieurs jeunes filles. L’épidémie s’éteindra grâce à une vaccination de masse organisée sur toute la Bretagne.

Ces faits encore présents dans la mémoire collective soulignent que la médecine en 1956 est très éloignée de celle que nous connaissons.
En janvier 1955 des femmes meurent encore en couche, des enfants meurent en bas âge.
Que dire de la médecine psychiatrique balbutiante pratiquée en 1956 ? Et que dire du lieu où étaient reçus les malades, désigné parfois par le sobriquet de, « la maison des fous », nom entendu encore en 2018 pour l’hôpital de St Avé (56).

les électrochocs étaient encore pratiqués dans les années 1970.

Soigner l’autisme ou l’anorexie en 1956, et le guérir paraissait alors aussi hasardeux que de gravir l’Annapurna sans oxygène. « Dans tout l’asile, on entendait des cris et des plaintes. Le personnel semblait traverser les couloirs, sans but, le regard vide et sans plus d’expressions, de nombreux malades se traînaient au sol et bavaient sans que quiconque se soucie de les remettre debout, ni de leur essuyer la bouche, s’indigne la conteuse page 223 ».

Ainsi la construction du roman en deux époques, apparaît d’une grande finesse, et nous aide à bien comprendre que les premières observations empiriques, ont mis du temps à s’imposer, comme la connaissance de la maladie qui fait le cœur de l’ouvrage, ressemblait en 1957 à une mosaïque à la Prévert, d’attitudes déconcertantes aux origines inconnues.


Pour Gilles, autiste, cette lente conquête de l’autonomie a pu se faire grâce à Serge, le jardinier, qui lentement et en dehors de toute contrainte a patiemment élagué pour lui une éducation à sa stature. Une éducation assise sur les saisons, une éducation ancestrale, charnelle et terrienne. Rien ne presse, « silence ça pousse lui dira Serge, ne fait aucun effort » ; dessines dans la terre, avec un râteau comme avec un pinceau.



Il se dégage du livre de Cathy Bonidan, une grâce, une minuscule légèreté de connivence, dans laquelle Gilles a trouvé une paix intérieure, une aisance, une gestuelle douce et simple qu’il a pu assimiler sans avoir à produire un labeur.

Pourtant comme en regard un autre drame se joue. Une enfant de treize ans, Béatrice, anorexique, était en train de sombrer, les traits se creusant, sa malice désertait son regard, pourquoi ? Son entourage ne comprend pas et aujourd’hui encore le malaise semble être prêt à frapper, ici ou là une jeune fille, face à la même stupeur des soignants.

Béatrice largement adaptée au milieu scolaire réussit ses études, lectrice elle découvre avec bonheur la littérature, mais devant son corps, devant la nourriture son esprit dévisse. Comme Gilles on retrouve Béatrice dans la deuxième partie, on apprendra son destin qui ne laissera qu’un immense point d’interrogation, pourquoi Béatrice s’est laissé glisser vers une détresse insondable.

L’itinéraire de Gilles est vertical, c’est l’espoir de vivre, la conquête de la liberté délivré par la présence paternelle et apaisante de Serge.

Justifier et embellir le métier d’enseignante, c’est donner du sens à la présence de l’adulte, c’est effacer le trouble comme l’inconfort chez l’enfant, gommer le sentiment toxique de solitude, éviter que germe cette gangrène inhérente à ceux qui sont tombés dans la spirale de l’anorexie.

Béatrice confrontée à son malaise, est éprouvée durement et durablement par le manque de vie partagée, par l’absence paternelle douce et confiante, mutilée par son incapacité à s’abandonner à des gestes charnels, comme à son doudou. La priver de livres était lui ôter ses derniers fragments de vie. L’encourager à lire, et mieux encore dans les bras d’un autre ou d’une autre pouvait la renouer à ses forces vitales.



« Je viens de fêter mes 14 ans. Quel bel âge, direz-vous ! Et que l’on est entouré d’une famille aimante et attentive avoue  sans y croire Béatrice page 101 ».


Ce livre nous saisit, Gilles et Béatrice nous bouleversent, la souffrance est toute présente à fleur de mots. L’écriture simple et limpide de Cathy Bonidan, donne toute sa place à l’émotion, et se libère pour saluer le renouveau de Gilles, accompagner ses conquêtes. Une très belle réussite littéraire.      

©Alain Fleitour

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