Chronique d’Alain Fleitour

Claudine Helft, Un ciel au bord du ravin, (ED. Obsidiane, Textes poétiques), ISBN : 2916447903,5 février 2019.
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Glisser derrière un titre, un paysage enchanteur, c’est inviter à découvrir la délicatesse de l’auteur. Écrire Un ciel au bord du ravin c’est évoquer plus qu’un ciel et mieux qu’un ravinement rocheux. Claudine Helft nous retient, pour mieux nous happer.
En montagne, lorsque l’on grimpe on ne parle pas de ciel, mais de gaz comme une juxtaposition de profondeurs, d’envols, de mystères où les couleurs sur la roche s’embaument de gris, de bleu, de blanc avec de temps en temps ces rayons qui vous éblouissent et vous transpercent l’âme.
Un ciel au bord du ravin a toutes ces apesanteurs, toutes les apparences du ciel et de sa magie. le texte renvoie à la solitude, à l’alpha et à l’oméga, au commencement et à la fin de chaque émotion, d’où surgissent et où reviennent les ricochets de la vie. « La vie , c’était ce silence sous ta peau et cette surprise en apothéose », la vie un instant de griserie brève, une antienne aux couleurs du ciel: La vie attend derrière la nuit.
Dans certains textes le lecteur voudrait se fondre et s’immerger dans la partition des vers où tout fut bleu. Parfois lire les textes de Claudine Helft c’est goûter à la douceur, « à la douceur lisse-amère d’un ailleurs qui se répète, et se conjugue dans la blancheur vierge d’une neige sans risque de froidure ».
Dans d’autres textes le lecteur cherche à prendre son envol, lancé en cavale de sa propre tristesse dans une chevauchée folle et le silence des premiers soleils.
« Dans le visage de l’être aimé, avoir mille bras, et ce regard qui fleurissait tes rivages ».
De la floraison des silences en floraison de gestes artificiels, parfois la lumière des écrans dessine des nuits arbitraires aux croisées d’ordinateurs, c’est le virtuel qui est en ligne de mire, dénoncé comme une impasse.
Claudine Helft nous invite à l’apaisement, au recueillement, à la méditation devant la splendeur paisible de l’immensité éphémère de la vie. C’était le pardon de la terre aux hommes que ce silence ciblait, tout en haut de la démesure au pic de la création, là où se dénoue la note bleue comme « un ciel qui envoûterait les hommes. Vertige du bleu et houles des vagues à l’armure des draps ».
J’aime la poésie qui réinvente la pluie, la pluie « qui dérobe la nuit aux enfants », une « pluie rouillée », qui lave le ciel, « une pluie à grisailler les tableaux de Boudin ».
J’aime le secret du chant quand elle reprend, « l’œil se perd dans les détails », « l’œil perdu en marge des marines en fleurs », et « que son œil à aile », perçoit les rives d’une mélodie, d’où « elle délie le lien qui la retient ».
J’aime l’Amour à deux quand s’égrenait en pollen le trop de richesse, sur ses hanches nues, « dans la percée sauvage d’un éclair, nous rions de n’être que deux et l’Univers ».
J’aime ces mots qui parlent d’un frère disparu, car « laissez-moi ma peine elle n’appartient qu’à moi. Cette peine, elle est celui des rires et du tonnerre et des fins sourires, du trop plein de bonheur que je ne puis vous abandonner car elle est mon frère ».
« Ne prenez pas ma peine elle est en ce jardin ».
J’aime la façon dont Claudine Helft parle du deuil,
« le deuil n’était pas dans la couleur
il était la sourde douleur des arbres
qui jaunissaient l’automne trop tard ».
J’aime sa terre, dont elle prononce sa douleur, « cette terre en détresse, cette terre lavée de miasmes, et de nos charognes et de nos crimes d’homme à homme, à rebrousse-poil des étoiles, lavée de tout serment et déboutée par eux pour t’avoir cru immortelle à l’image des cieux », « oh ma terre de détresse mal aimée ».
Certains souvenirs, certains passants, certains paysages, « des pierres anonymes comme des liens nomment les toits rouges » et « la grande paix du vert assume la défaite tranquille du vent ».
« Des collines aux rondeurs assassines assument le pain quotidien des montagnes », là un ciel bleu perpétue le souvenir de Simone et de ces êtres si chers maintenant disparus.
Magnifiques textes, aux multiples fulgurances, je suis resté longtemps en apesanteur, vivifié et comblé en attente d’un signe, comme pour me réveiller de mes songes.
© Alain Fleitour (20/05/2019)