Chronique de Jean-Paul Gavard-Perret
Anne Bonhomme : mort où est ta victoire ?
Anne Bonhomme, « temps noir », illustrations de Simonne Janssens, Editions Le Coudrier, Mont Saint Guibert, 14 e., 2015.
La poésie d’Anne Bonhomme s’inscrit en faux contre toutes féeries. Si ce ne sont les plus glacées dans une « œuvre au noir » où la mort rôde sous la suie des pierres et les cris étouffés. En forme d’immense métaphore implacable le texte de la créatrice fait toucher à l’universel thanatos. Il n’y a guère de solution sinon la protection des plis démunis des mortels. Pour autant l’œuvre ne se veut pas forcément engagées. Elle reste néanmoins militante en se rendant comptable des opérations du réel. Elle devient cet étrange dépôt qui n’accepte pas la présomption de la mort sur la vie et le peu qu’elle est pour ceux qui la suppriment. Afin de le rappeler elle donne au cri le plus archaïque des mots à la force dépouillée.
« Nous connaissons les fins dernières
nous consentons
pliés déjà pour les cercueils
et tous ces soleils rouges
enfoncés
dans nos chairs »,
écrit la poétesse. Elle montre en substance qu’il n’y a que peu de salut terrestre. C’est pourtant au non de l’ici-même et de l’ici-bas qu’elle écrit. Elle rompt ainsi avec tant de poésies aux blancheurs virginales. La cruauté est là sans pour autant qu’Anne Bonhomme en joue. Bien au contraire.
Loin de tout voyeurisme il ne s’agit pas de donner une apparence à la substance morbide. Par les mots les plus durs se sécrète ce qui s’arrache au vide et au silence. La poétesse est donc celle qui fait resurgir le cri oublié de l’être. Elle ne prétend rien régler ni pacifier. Elle lance au monde son effervescence langagière, capable d’ébranler nos certitudes en nous jetant vers des forces indociles.
©J-P Gavard-Perret