RENTRÉE LITTÉRAIRE SEPTEMBRE 2015



 

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Chronique de Nadine Doyen

Le crime du comte Neville, Amélie Nothomb, roman, Albin Michel (15€, 135 pages)

Voici Amélie Nothomb sur les traces d’Agatha Christie, toutes deux anoblies, prolifiques, indétrônables, de notoriété universelle, la belgitude en commun et best sellers. Si la romancière britannique fut estampillée par la presse des sobriquets suivants : « L’impératrice du crime », « lady of crime », comment sera surnommée Amélie Nothomb ? Peut-être « La baronne du crime » ? Le récit revêt un « British touch » double, puisqu’Oscar Wilde fut aussi une source d’inspiration pour l’intrigue. Chapeau bas à la narratrice, à l’imagination hors pair, à l’art imparable pour forger les noms à rallonge de ses personnages : entre en scène tout d’abord Madame Rosalba Portenduère par qui le malheur arrive.

Amélie Nothomb nous convie au château de Pluvier, dans Les Ardennes belges, à la rencontre de son propriétaire, le comte de Neville. Celui-ci a hérité de l’art de la bienséance et de recevoir, non pas de Madame Rothschild, mais de son père et « son meilleur professeur » fut le roi Baudouin qui lui inculqua la déférence. La romancière radiographie le milieu de l’aristocratie, ce besoin de paraître, et montre  le changement opéré en 1975 pour les « Modernes » dans les rapports filiaux. On entre dans l’ère de l’enfant roi, alors que précédemment ils recevaient le minimum d’attention. Ce qui est choquant ce sont les révélations de leur mode de vie frugale (« pain et eau »), froid de la bâtisse causant le décès de Louise, sœur de Neville, faute de soins.

Henri Neville, obnubilé par la prophétie de la voyante, redoute cette ultime garden-party, du 4 octobre, pourtant devenue l’incontournable rendez-vous mondain.

Réussira-t-il à mettre son projet machiavélique à exécution ? On plonge dans les pensées du père. Qui mettre sur sa blacklist parmi les « individus abjects » à liquider ? Ses paroles le trahiraient-il quand il affirme que sa fille est « monstrueuse », « impertinente », « une sale gamine », « sale petite égoïste » ? En proie à un sérieux maelström, il en perd le sommeil. Les conseils pour juguler l’insomnie seront-ils suivis ? A noter la savoureuse définition que la narratrice en donne : « une incarcération prolongée avec son pire ennemi. Ce dernier étant la part maudite de soi ». Savoureux son monologue apostrophant Dieu.

Dans ce roman, Amélie Nothomb focalise notre attention sur le rapport de forces entre le père et sa fille, tissant un parallèle avec Agamemnon et Iphigénie. Le tête à tête de la fille et du père prend l’allure d’une tragi comédie cocasse par les réparties de Sérieuse. Ce n’est plus Tuer le père mais «  tuer la fille ». La narratrice instille un grain de folie dans la requête de Sérieuse. Ses pensées suicidaires, laissant deviner son mal-être, sa crise d’adolescence, ont de quoi inquiéter le père. Si Sérieuse, pourtant « née dans l’amour » a souffert d’un manque de communication, le père lui accorde un moment privilégié lors de leur retour au château Il lui témoigne à cet instant toute son attention, l’invite à lui confier « ses ressentis ».Qui a le plus d’ascendant sur l’autre ? Le suspense va crescendo quand le père s’exclame : « Tu me manipules ».

Quant à Alexandra, la mère ? On lui doit la phrase codée : «  Venise s’enfonce ». Femme positive, au « sourire radieux », pour qui « rien ne paraissait tragique ». Avec psychologie, la romancière sonde les âmes de cette famille aristocrate ruinée, souligne la métamorphose de Sérieuse, enfant brillante devenue renfermée, amorphe.

Amélie Nothomb sait nous tenir en haleine, suite aux atermoiements d’Henri et maintenir le suspense avec des retournements de situations. La musique de Schubert n’y est pas étrangère. Au chant du cygne, « les auditeurs lévitaient » et par miracle Sérieuse avait aussi vibré, l’émotion l’habitait. Elle se sent libérée de « la gangue qui enserrait son cœur ». La tension atteint son paroxysme quand le comte se dirige vers la tour. Le lecteur sait que l’arme du crime l’attend. Qui sera la victime ?  Et la narratrice de rappeler que « Dans tout roman honorable, quand un fusil est mentionné, il faut qu’il serve » ! Nouveau rebondissement : ce papier glissé par Sérieuse à son père, quel ultime message peut-il contenir ? Le lecteur reste ferré. L’année 2014 sera-t-elle pour Henri et sa famille un « annus horribilis » ?

Telle une marionnettiste, l’écrivaine commande avec brio le destin de ses protagonistes. Elle analyse le crédit que certains accordent à la voyance, aux superstitions, comme la chouette. Cette chiromancienne cherchant « des champignons particuliers » rappelle l’atmosphère de Burning man dans Tuer le père. 

La romancière a l’art des formules et du pastiche : «  Je ne suis pas digne d’être reçue par toi, mais dis seulement une parole et je suis invitée ». Jeux de mots : « S’il n’avait rien commis d’indigne, il n’avait rien accompli d’insigne ». Elle joue sur la variation : Ernest/earnest, signifiant en anglais sérieux pour aboutir à Sérieuse. Elle décoche avec une pointe de malice la question concernant le dernier roman de Modiano. Elle met en exergue « l’agitation » qui règne au sein de « cet asile d’aliénés » avant l’arrivée des invités : une batterie déchargée, l’erreur du fleuriste qui envoie la commande d’un funérarium. Sérieuse qui porte le deuil, mauvais présage ?

Amélie Nothomb souligne la différence des lois d’un pays à l’autre, concernant le patrimoine. En effet, si les monuments historiques  sont protégés en France, en Belgique l’absence de loi autorise à faire table rase d’un bien immobilier. D’où l’inquiétude du comte quant au devenir du château mis en vente qu’il apostrophe en monologue savoureux : « Mon plus vieil amour, tu n’as jamais été aussi beau ». Elle met en exergue l’attachement du comte pour ce bien familial. Les lieux sont mémoire. Chaque événement de notre vie est lié à des personnes et des lieux. Pour Mario Rigoni Stern, «  L’endroit où l’on a passé une période sereine de sa vie demeure dans la mémoire et dans le cœur toute la vie, mais ce souvenir devient plus cher si, à cette période heureuse, ont succédé d’autres temps douloureux ». On comprend mieux son déchirement intérieur à se séparer de ce château. Et la narratrice de rappeler la phrase de Rimbaud : « Ô saisons ! Ô châteaux ! ». Ce n’est pas un hasard si Sérieuse a dix-sept ans.

En filigrane, on devine des accents autobiographiques. Amélie Nothomb a connu dans son enfance les réceptions auxquelles elle ne pouvait pas prendre part, mais n’a-t-elle pas confié dans des interviews que se dissimuler sous la table lui permettait de finir les verres ? « Les Nothomb vendaient Le Pont d’Oye ». Même nombre d’enfants dans la fratrie de la narratrice : «  une sœur gourmande », Juliette, dotée comme Électre de talents culinaires (1).

Amélie Nothomb signe un récit alerte, délirant, entrelaçant plusieurs thèmes : les relations parents/enfants, le mal de vivre chez les adolescents, la destinée des êtres. Elle confirme son titre « d’enchanteresse » dont Stéphanie des Horts l’a adoubée. Une cuvée 2015 sans champagne ? Détrompez -vous, « du laurent-perrier Grand siècle ! » coulera.

Pour Amélie Nothomb, grande consommatrice d’« or liquide », une garden-party sans champagne manquerait de pétillant ! Elle confère d’ailleurs à ce divin nectar un rôle majeur, crucial qui précipitera l’épilogue et confirmera la prédiction. Le récit qui commence par une disparition s’achève par une autre. Belle pirouette brillamment concoctée par Amélie Nothomb aux talents incontestables de conteuse.

À vous lecteurs de tester votre « ressenti » et de goûter « l’ivresse par anticipation ».

(1)Carrément biscuits de Juliette Nothomb, critique culinaire, éditions de la Renaissance du livre. 50 recettes sucrées et salées à la mode Delacre. La cuisine d’Amélie de Juliette Nothomb, Albin Michel, 80 recettes de derrière les fagots. Et bien d’autres ouvrages.

©Nadine Doyen

Il n’est feu que de grand bois, éd. De la Différence, septembre 2015. 188 p. 17 euros.

RENTRÉE LITTÉRAIRE SEPTEMBRE 2015



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Claire Fourier, Il n’est feu que de grand bois, roman, Éditions de la Différence

A l’heure des courriels, des textos, des MMS, certains ont la nostalgie de la vraie correspondance, genre qui semble avoir un regain d’intérêt. À noter que le festival de la correspondance de Grignan draine toujours autant de passionnés de ce genre.

Claire Fourier nous dévoile la correspondance de ses deux protagonistes et nous fait pénétrer dans leur intimité. Ils s’écrivent, et nous lisons leurs états d’âme. L’auteur distille seulement des bribes de leur rencontre, alimentant le mystère.

Tout les oppose à l’exception de leur goût pour le bois. L’homme sillonne la forêt vosgienne, la femme les couloirs des bibliothèques et des musées pour son travail sur l’histoire du mobilier. Elle lui écrit, il téléphone. Elle maîtrise la langue française, il l’égratigne.

Après la période d’apprivoisement, les lettres se gonflent comme une voile sous le vent de la passion. Alma invite son « empereur forestier » à la caresser : « viens usiner ton amoureuse ». La « femme de l’Ouest » confesse avoir plus « l’âge de la sensualité » que celui « de la sexualité ». Elle « zigzague entre vous et tu ». Il devient sa « boussole », « son moteur ». Elle se livre aux confidences. Ses lettres retracent leurs échanges téléphoniques, leurs rencontres. Elle se projette dans l’avenir, anticipe leurs prochaines sorties. Elle brosse un portrait passionné de Rolf. Quant à lui, il redécouvre, par l’échange et  la conversation avec Alma, de nouveaux horizons.

Malgré ses nombreuses promesses, Rolf se rétracte. Voici leur bonheur d’être ensemble ébranlé, alors qu’ils  n’étaient « qu’à l’aube d’un temps de douces caresses physiques et spirituelles ».

Ce coup de théâtre, qui vient assombrir leur liaison, plonge l’aimante amante dans le désarroi et l’incompréhension. Elle a du mal à accepter son déchirement et songe à lui rendre la monnaie de sa pièce. N’avait-elle pas réveillé en lui des sentiments, des sensations, des désirs qu’il croyait ensevelis, classés dans ses archives affectives ?

Le ton enflammé des lettres prend un tour cinglant, soulignant la

lâcheté du « misérable empileur de bûches ». Alma, « la rose épineuse » déverse sa fureur en une grêle de termes dépréciateurs : « ours mal léché », « butor », « tronc

mal dégrossi  ». Elle ne cache pas sa peine : « J’ai mal à toi ». Alma, exacerbée par les explications de ce « doux idiot »,  dissèque la colère qui l’habite et sa façon de rebondir (« Je me déprendrai à la longue. ») Elle  manie l’ironie, l’autodérision et pastiche La Fontaine : « Adieu, sapins, moutons, oies et brochets ! ». N’a-t-elle pas appris à ne compter que « les heures heureuses » ?

Cette aventure extra-conjugale, vécue avec remords par Rolf, pourra-t-elle se poursuivre, avoir une deuxième chance ? On éprouve une sympathie immédiate pour Alma, confrontée à ce naufrage.

En filigrane, Claire Fourier autopsie la forêt vosgienne, rappelle ses blessures causées par la tempête, évoque la déforestation et détaille cette chaîne du bois.

L’odeur de résine nous accompagne tout comme les lettres parfumées.

L’historienne du mobilier nous fait découvrir des meubles d’époques révolues, que l’on ne voit plus que chez les  antiquaires ou dans les musées,  aux noms insolites : secrétaire à dos d’âne, à billet doux, à culbute, bonheur-du-jour, « en tombeau ». Elle nous initie à tous les stades du travail du bois « densifié », de la « rétification », au vocabulaire technique (profilage, débardage, schlittage).

Claire  Fourier, dans un style alerte, audacieux, joue avec les mots : airain/reins,  Gulliver/Guebviller, péché/pêcher, Rue d’Ulm.ULM, être/hêtre, massage/message. Par son ballet de lettres, elle montre que « les mots écrits peuvent devenir charnels » quand le désir est le moteur. Si  pour Yves St Laurent, le plus beau vêtement pour une femme ce sont les bras de l’homme qu’elle aime, Alma, elle, offre à  Rolf «  le collier de ses bras ».

L’auteur ponctue les lettres de références littéraires (Moby Dick, Alexis Zorba) et, férue de peinture, y glisse une succession de tableaux, décrits avec minutie, dont ceux de Courbet, de Caspar David Friedrich : Le chasseur dans la forêt. On retrouve le décor familier de Claire Fourier, déjà présent dans ses romans précédents : les paysages bretons, une maison, sorte de « béguinage », un jardin foisonnant de roses, le tout évoqué  avec poésie. Sa musique de prédilection : Grieg, Mahler, Sibelius. L’amour est comparé au tango, après qu’un jour Alma l’a dansé avec son « homme boréal ».

Alma, « délirante hyper lucide », pétillante,  électrisante épistolière,  nous livre sa propre définition  de l’amour, qui s’affine au fil du vécu : « Successivement un enchantement, un désenchantement, un faire-avec le désenchantement, un ré-enchantement ».  Au lecteur de voir à quelle phase elle en est. Elle traverse le roman, grisée par un vent de « folie », un vent de sagesse aussi, s’interrogeant sur la permanence de l’amour dans le tourbillon incessant de la vie.

Ce roman s’inscrit dans la lignée de Métro ciel. D’un livre à l’autre les héroïnes de Claire Fourier se consument d’amour et se brûlent les ailes.

Ici, l’auteur radiographie une liaison adultère vouée à être en pointillé, compliquée, entravée par la/le légitime. Elle dépeint les deux versants de l’amour. Elle aborde la question d’infidélité sans tabou. Et si elle était le ciment des couples durables ?

Cette liberté dans le couple n’est-elle pas le secret et la force d’une union qui dure pour  Kristeva/Sollers ? Comme Denise Bombardier, Claire Fourier montre que l’amour n’a pas d’âge, toutefois elle apporte des nuances entre l’« amicizia » de Stendhal et la « philia », cette « amitié supérieure » « qui élève ». Si dans le film de Woody Allen « tout le monde dit I love you », les deux protagonistes vont-ils se le dire for ever ? Alma vit l’amour comme une chose à la fois nouvelle chaque jour et très ancienne, venue de la nuit des temps.

« Dieu m’étonnera toujours » disait l’auteur dans un livre précédent qui porte ce titre, et Claire Fourier, elle, n’en finit pas de surprendre ses lecteurs avec ce style ensemble clair et voluptueux, qualifié de « sensualité verbale » par Bernard Noël.  Au lecteur de céder à « la puissance de la séduction (se-ducere : conduire sur les chemins de traverse) ».

                                   ©Chronique de Nadine Doyen

 

Julien Blanc-Gras, In utero, Au diable Vauvert (15€ – 190 pages)

RENTRÉE LITTÉRAIRE SEPTEMBRE 2015



in-utero-par-julien-blanc-gras-au-diable-vauvert-190-p-15_5408237Julien Blanc-Gras, In utero, Au diable Vauvert (15€ – 190 pages)

Les deux citations en exergue autour de la venue d’un enfant donnent la tonalité du récit. Celle de  Pierre Desproges pleine d’humour, celle de Laurence Pernoud traduisant le séisme causé par les neuf mois d’attente pour les futurs parents.

En désignant la future mère par La Femme, Julien Blanc-Gras donne une portée universelle à son expérience personnelle qu’il va consigner comme un journal.Le récit s’ouvre sur les émotions contradictoires qui traversent le couple, à la lecture du test positif. Pour elle, à la fois la joie et l’affolement. Pour lui « tempête intérieure », « terreur », et nécessité de « rasséréner » La Femme. Il brosse un portrait  dithyrambique de cette Femme rayonnante, d’origine coréenne, et de lui-même, formant « une famille métissée ».

Le trouble  flagrant du narrateur se répercute dans ses gestes. Il nous fait sourire quand le mot Nutella surgit. On aurait envie de lui dire qu’il est bien au frigo ce pot !Voici son esprit taraudé de mille questions dont une de taille : et si c’était « une énorme connerie » ? Il nous confie ses angoisses devant la responsabilité à assumer. Et de  décliner la liste non exhaustive de  tout ce que Femme doit prévoir, s’interdire. Pourquoi pas envisager à plus long terme, y compris « la préinscription à Harward » ?

Très admiratif devant l’abnégation des femmes enceintes, il entre en empathie avec la Femme à la lecture de la première échographie, sidéré qu’il est devant cette « magie biologique ». Ce mystère lui fait dresser un parallèle entre la formation de ce foetus et la gestation de son roman. Amélie Nothomb se dit d’ailleurs enceinte de ses romans. Avouant son ignorance, il s’informe au maximum en conseils pratiques, écume la littérature et cite John Fante, Virginie Despentes, Emmanuel Carrère sans oublier ses propres textes. Il visionne des documentaires, assiste aux séances préparatoires à l’accouchement. Et enfin il faut déménager et « se farcir » une visite chez Ikéa !

Si ce « lardon » nourrit ce roman, le narrateur, double de l’auteur s’interroge sur le thème du suivant,soulignant que ses voyages ont alimenté ses ouvrages précédents. On reconnaît d’ailleurs ses allusions à Touriste et à Paradis ( avant liquidation). Il affiche son désir de poursuivre ses voyages ( afin de  ne pas s’étioler), de ne pas être esclave du môme, peut-être convaincu comme  Pablo Neruda qu’ « il meurt celui qui ne voyage pas, celui qui ne lit pas…, celui qui ne sait pas rire de lui-même ». L’esprit d’ouverture du narrateur globe-trotter le conduit à comparer les us et coutumes d’ autres pays quant à l’annonce d’une naissance. Il évoque ses reportages, dont un au Japon, songe à interviewer la Femme.

On plonge dans les pensées du narrateur , conscient de sa mission de père, anticipant le QI de son fils. Excessif dans ses propos, le futur père redoute d’être « réglé par un dictateur ».  Il anticipe déjà  sa carrière et s’interroge sur le métier(   « chômeur ou président? »), alors qu’il est encore « un assisté », « nourri et logé ».

Accélération du récit. Fausse alerte.  Le jour du  « débarquement »  imminent  précipite le couple à la maternité. Et si cela ne se déroulait pas du tout comme prévu ?

Le récit s’achève sur le portrait de famille de parents, « subjugués »,  en pleine « béatitude » devant leur « chef- d’oeuvre », « cette petite boule de clarté », que l’auteur affubla d’autres noms durant ce « voyage de neuf mois »: «  notre petite racaille », « Raoul », «  un petit mutant digital », d’ « alien », « un petit sauvage »

Dans ce roman, Julien Blanc-Gras entremêle histoire personnelle et histoire de l’humanité, remontant jusqu’à « bébé Cromagnon ». Il distille des réflexions sur les progrès acquis ( la pilule) et conseils : « être optimiste » pour procréer. Si certains ont besoin d’une Rollex pour s’accomplir, d’autres adhèrent à l’aphorisme de Compay Segundo : « Pour réussir sa vie, un homme doit faire un enfant, écrire un livre et planter un arbre ». Réussira-t-il cette trinité ? L’enfant est né, le livre est sa « couvade ». Laissons le mystère pour le choix de l’arbre. Julien Blanc-Gras signe un hymne à la Femme, aux mères, pétri de tendresse, d’amour et d’humour. A conseiller à tous les néo-parents et leur famille.

©Nadine Doyen

Jérôme Attal, Aide-moi si tu peux, Robert Laffont (18€ – 265 pages)

RENTRÉE LITTÉRAIRE SEPTEMBRE 2015



Chronique de Nadine Doyen 

Jérôme Attal, Aide-moi si tu peux, Robert Laffont (18€ – 265 pages)

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Après Presque la mer, Jérôme Attal change de registre abordant le cas d’une disparition. Tout le monde s’interroge : Où s’est donc évanouie Tamara ? Sa mère la pense, en Espagne, avec le père dont elle est séparée. Une fois l’alerte enlèvement déclenchée (ce qui n’est pas sans évoquer des faits récents), la police se trouve d’abord confrontée au meurtre de Maxime Fourque, conseiller financier  découvert par la femme de ménage.

Le narrateur, Stéphane Caglia, l’inspecteur chargé de l’enquête coordonnée par le colonel Brousmiche, relate toutes les investigations  effectuées dans le voisinage, secondé par Prudence Sparks, jeune stagiaire anglaise. Une autre découverte macabre, au domicile de la victime, vient  se greffer sur l’enquête en cours d’élucidation. Y aurait-il un lien avec la disparition de la jeune lycéenne ? Ne partageaient-ils pas la même idolâtrie pour les Fab Four, postant leurs reprises sur YouTube ? Le roman  prend des allures « gore » de thriller.

D’autre part le lecteur suit une deuxième piste, celle de Benjamin Dray, le voisin amoureux de Tamara, qui échafaude des hypothèses non dramatiques. Il enquête auprès de ses amies de lycée, enfourche son vélo et ratisse cette forêt à la lisière du complexe sportif. Le voilà victime de jeunes drogués, mais il débusque un cahier et reconnaît l’écriture de Tamara dans ce message : « Aide-moi si tu peux ». A qui s’adresse-t-il ? Est-elle en danger ? L’auteur sait distiller le suspense. Il souligne les dérives du net car les secrets peuvent se retrouver « à la vue de tous », le mot de passe étant « aussi violable qu’un cadenas de pacotille ». ll pointe les dégâts collatéraux que peuvent causer le « bashing » gratuit chez une personne fragile.

L’intrigue gravitant autour de Tamara reste nimbée de mystère pour Benjamin, ainsi que pour Brandon, cet élève violent, qui agressa Tarama et la prend maintenant en filature. Quant au « capitaine Caglia », il craint d’être la cible d’un dealer à « la rancune inépuisable » en lien avec le Souterrain stellaire, d’où ses ruses.

Avant de questionner Valérie Georgin, la mère de la disparue, Sparks et Caglia s’offrent une parenthèse en tête à tête, propice aux confidences et qui dévoile la personnalité de Caglia. On perçoit son altruisme, sa bienveillance et son indignation, sa révolte devant « l’injustice et la cruauté » et « le délabrement de la société » et l’insécurité. Quant à Prudence Sparks, son British touch ravive les souvenirs scolaires de Caglia et la compétence de cette séduisante « coéquipière hors pair », même avec l’« expérience du brouillard », suscite son admiration.

Auront-ils collecté des informations précieuses après avoir inspecté la chambre de Tamara, décrypté son ordinateur retrouvé ? Ce tandem soudé va avoir à en découdre.

Le récit s’accélère après la collision avec une Porsche. Comment vont-ils s’en sortir ? Car le chauffard n’est autre que l’Elégant, bien connu de Caglia, ex John Franju.Le suspense happe d’autant plus le lecteur, que l’assaillant est bien armé (couteau, revolver). Situation qui échappe à Sparks, ignorant le passé de Caglia, mais subodorant anguille sous roche.Les interrogatoires effectués auprès des amies de lycée de Tamara, « l’insaisissable adolescente », le téléphone confisqué, l’audition de Benjamin Dray, fourniront-ils des indices permettant de percer le mystère de son évanescence ?

Coup de théâtre, nouveau vent de panique après le kidnapping d’une jeune libraire. L’étau se resserre, toutes les victimes partagent la même passion pour les Beatles. Le récit nous réserve encore des surprises avec Natacha, « la ravissante hôtesse ».

Les énigmes se détricotent peu à peu, grâce à l’irréprochable et zélée Sparks, tout l’opposé de Caglia dont elle n’apprécie pas les méthodes  parfois trop expéditives. Les aficionados de Jérôme Attal retrouveront sa prédilection pour les comparaisons insolites : « Mes sens restaient en alerte H24 », « les lampadaires disposés tels des flamants roses… », ses tournures inattendues : « L’un des meilleurs flics de la planète, c’est le temps qui passe ». On soulignera la précision d’orfèvre de toutes les descriptions de lieux, des portraits des personnes interrogées. Les références musicales omniprésentes, (Goldman, Les Beatles), ce qui n’étonne pas quand on connaît l’implication de l’auteur dans ce domaine, raviront tous ceux qui ont vécu cette Beatlemania.  La chanson Help me if you can  serait-elle un  mot de passe ?

En filigrane, par flashback, évoquant sa vie familiale (les repas dans « les maisons rondes  avec leurs grillades… », ou le repas avec l’incontournable 20 heures), son enfance, le narrateur brosse une fresque des années 80. Cette nostalgie des eighties, qu’il se plaît à cultiver, convoque pour lui un chapelet de souvenirs heureux. Époque où l’on ne parlait pas de «  toutes ces allergies ». Il oppose deux statuts : celui de l’insouciance de l’enfant et le dur métier d’adulte, car « On se rajoute du souci ».

La teneur si prégnante de « l’arôme des souvenirs » concorde avec cette assertion de Mario Rigoni Stern : «  L’endroit où l’on a passé une période sereine demeure dans la mémoire et dans le cœur toute la vie. » Jérôme Attal multiplie les références musicales et cinématographiques (« clip de Thriller », Tron) des années 80, comme un leitmotiv. Il dresse un inventaire des mythologies de la France des eighties, décennie gangrenée par le consumérisme (voitures majorette, film de Delon, Pif gadget, la coupe du monde de foot de 1986, les publicités géantes). Cette plongée agit comme un exutoire pour Caglia. Elle lui permet de conjurer la réalité de son quotidien, fréquemment confronté à la violence urbaine et fracassé par le récent « cataclysme » personnel. L’hommage du narrateur à ses parents disparus fait écho à la touchante et discrète dédicace de Jérôme Attal qui clôt le roman.

Le roman distille la vision et les interrogations du narrateur sur les rapports amoureux, la vie qui « peut vous fausser compagnie du jour au lendemain ». Il s’achève sur l’injonction de « chérir », pouvant servir de viatique aux naufragés de l’amour, message identique véhiculé dans la chanson de Chedid : « On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime qu’on les aime » ou dans All you need is love des Beatles. 

Jérôme Attal signe un polar captivant par sa succession de rebondissements improbables, de coïncidences troublantes, nourri par une imagination débordante, empreint de gravité, mâtiné d’humour, émaillé d’anglais, rédigé dans un style imagé. Aide-moi si tu peux qui se révèle être le reflet de notre société, en déliquescence, interpelle. Il soulève une réflexion sur les dangers potentiels du web où s’immiscent des prédateurs, où se déversent des bordées d’insultes, de critiques assassines, et sur le droit à l’oubli. L’auteur sait toucher la corde sensible du lecteur, le faire saliver avec ses desserts, le faire rire mais aussi trembler et frissonner d’effroi. Alors, prenez votre «  ticket to read » sur fond sonore de « Ticket to ride ».

©Nadine DOYEN

Interview de Claire Fourier par Nadine Doyen

RENTRÉE LITTÉRAIRE – SEPTEMBRE 2015



 Interview de Claire Fourier par Nadine Doyen

 Dans les coulisses de son roman: Il n’est feu que de grand bois, éditions La Différence, septembre 2015.

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Votre roman s’inscrivant dans la lignée de Métro ciel, pourriez-vous rappeler le sujet pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ?

Dans Métro Ciel, une femme racontait, en une seule lettre, à un amant de longue date, une rencontre dans le métro suivie d’une journée érotique et lumineuse, journée sans lendemain.

Il n’est feu que de grand bois est un roman d’amour épistolaire. Près de 80 lettres féminines, un peu plus de 10 lettres masculines. Un homme, forestier dans les Vosges ; une femme, historienne du mobilier à Paris. Chacun à une extrémité de la chaîne du bois. Chacun marié, chacun âgé d’un demi-siècle. Suite à une rencontre fulgurante, une correspondance avec des hauts, des bas, comme la vie qui est un mouvement ondulatoire.

Rolf est un homme d’extérieur, sillonnant la forêt, Alma est une femme d’intérieur, sillonnant les musées ; il sont différents, mais complémentaires. Ils ont la passion du bois et se plaisent à parler à la fois amour et métier.

Le choix d’un récit épistolaire s’est-il imposé d’emblée ? 

« Longtemps je n’ai écrit que des lettres », tel est le titre d’un chapitre dans un livre précédent et, en effet, j’ai l’impression d’avoir passé ma vie à écrire des lettres (pour le plaisir, et aussi à cause d’une existence itinérante). Il fallait donc bien que j’en vienne à un roman par lettres.

Puis le mode épistolaire autorise une grande spontanéité dans l’expression des sentiments. J’aime écrire en direct, sans code, ayant pris d’emblée le parti de la subjectivité, ce pourquoi la forme épistolaire me convient.

Je crois savoir que  pour les lettres de Rolf vous avez hésité à laisser le texte avec ses fautes ou non ? 

Rolf est un self-made man. Il n’est pas allé à l’école. Il fait des fautes d’orthographe dont, amoureuse, Alma s’enchante. Au risque de surprendre le lecteur, les fautes sont laissées dans le texte pour garder aux lettres de Rolf leur naturel et montrer que l’amour d’Alma dépasse tout ça.

Elle est séduite par un homme sain, une « nature » qui évolue dans la nature au rythme des saisons, des années. Il devient pour elle un arbre de vie. Tandis qu’elle incarne pour lui un gracieux roseau pensant.

La femme intuitive et cultivée, fantaisiste et sage, s’incline devant un homme charpenté qui n’est pas policé, qui a de profondes racines et, plus que tout autre, de la « branche ».

Tous deux sont pleins de vitalité et se sentent mus par un amour très naturel et reliés à quelque chose d’ancestral qui a traversé des millions d’années pour venir jusqu’à eux. Peu importe alors à Alma que Rolf soit maladroit dans ses mots.

Votre roman peut se lire comme une succession de tableaux.

C’est en effet, via les lettres, une succession de tableaux, de scènes amoureuses (aussi de désamour, de colère, de réconciliation !) Je voulais qu’à travers leur correspondance, on « voie » l’homme et la femme face à face.

Par ailleurs, Alma, historienne du mobilier, a étudié toutes les formes de l’art et goûte la peinture. Elle évoque naturellement des tableaux au fil de ses lettres.

D’où vous vient votre passion pour Caspar David Friedrich ?

Un romantisme ? Un mysticisme celtique ? Une parenté avec la mélancolie des paysages bretons de mon enfance ? Le goût de Dieu (ou de son absence) ? Disons, un sens aigu des forces cosmiques et mythiques.

De même, votre héroïne porte le nom d’Alma, en référence à un musicien  Écoutez souvent  les airs que vous citez ? Les avez-vous écoutés pendant l’écriture du roman ?

La mère de mon héroïne aimait Mahler et a nommé sa fille Alma en hommage à l’épouse du compositeur. J’écoute de la musique avant, après le travail, jamais pendant. L’écoute parasite ma concentration. Le silence règne pendant le travail. D’où la nécessité de la solitude.

Vous évoquez un  mobilier précis,  à quel style va  votre préférence ?

J’ai un faible pour l’Art déco parce qu’il est rigoureux et fonctionnel. J’aime aussi les petits meubles si travaillés des ébénistes du XVIIIe siècle. Les courbes de l’art nouveau me plaisent pour leur grâce et l’imagination qu’elles supposent. Je suis surtout admirative devant la marqueterie et le travail méticuleux qu’elle suppose.

Votre connaissance du vocabulaire technique sur le bois est impressionnante. Avez-vous visité des scieries ou vous êtes documentée  par le net ?

Comme pour mes récits historiques, j’ai consulté des documents. Cette fois, sur les métiers du bois. Livres, internet, films, tout ce que je trouvais. Je faisais feu de tout bois, c’est le cas de dire.

La description du bord de mer correspond-t-elle pour vous à un lieu précis ?

Disons que c’est un lieu imaginaire, un composite des endroits où j’ai vécu, que j’ai aimés (littoral nordique surtout).

On vous devine aussi quand vous évoquez le jardin de l’héroïne et sa passion pour les roses ?

Je possède un petit jardin rempli de rosiers anciens  qui sont en fleur au mois de juin. Je n’ai pas eu besoin d’inventer pour parler de roses.

Au fond, j’écris au plus près de la réalité, – ma réalité, celle de tout être humain. Et ce pourquoi  mes lecteur se plaisent (disent-ils) dans mon univers : c’est le leur.

Votre héroïne, Alma, a une autre passion : la mode, « un des arts les plus inventifs » qui évite « de s’habiller en mémé ». « Respecter l’œil des autres fait partie de l élégance ».Vous aussi, vous partagez cet intérêt pour la mode. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez tenu à défendre Galliano ?

Le génie ! (lié au  mélange détonant du sang espagnol de Gibraltar et du nonsense britannique ?) Galliano est le Rimbaud de la mode. Je l’ai écrit dans un long article publié par la revue Supérieur inconnu.

Une des dernières lettres d’Alma évoque la danse : «Le tango chavire ». Pensez-vous comme votre héroïne que « La plus belle danse, c’est le tango » ? 

Rolf et Alma, dans une guinguette, ont esquissé un tango. Le tango argentin est la danse plus sensuelle qui soit et la plus riche de sens. De là que j’évoque dans le livre plusieurs films où il est question du tango.

On note beaucoup de mots ou expressions en italiques. Par exemple :Page 80 : « C’est le pays de la douce loi… ». Page 81 : « Tu débordes. » Pourquoi ces choix ?

L’italique permet de souligner plus qu’un mot, son sens.

On relève aussi votre propension à indiquer l’étymologie des mots. Est-ce un moyen détourné de rappeler que le latin et le grec ne nuisent ? Vous n’hésitez pas à introduire aussi de l’anglais : « cosy, sweet home », « Work in progress » ?

J’utilise les expressions (assez courantes, au demeurant) qui servent au mieux ce que j’ai à dire.

Dans les lettres, votre héroïne fait un copieux usage des PS. Est-ce une façon d’attirer plus l’attention de son interlocuteur ?

Alma a, comme moi, comme nous tous, l’esprit en escalier. On écrit, on a oublié une chose, on la note en post-scriptum. Il est vrai que j’utilise personnellement beaucoup le PS.

Vous jonglez avec les références littéraires. Votre  name dropping : Baudrillard, Breton, Stendhal, Tolstoï, Bachelard, Kierkegaard, Claudel, Diderot, Montherlant, Yeats, Milton, témoigne d’une culture très éclectique. Consignez-vous toutes vos  citations dans un carnet, au fur à mesure de vos lectures ? Avez-vous d’autres figures tutélaires ?

Il me faut citer D.H. Lawrence. J’ai lu autrefois les trois versions de Lady Chatterley et l’homme des bois, mais aussi à peu près tout ce que Lawrence a écrit et ce qui fut écrit sur lui. Cela m’a marquée. On peut du reste aborder (mais aborder seulement) Il n’est feu que de grand bois comme une version épistolaire de Lady Chatterley.

Vous avez une formule choc : « L’important : s’entre-féconder » (page 60) Vous qui êtes sur Facebook, pensez-vous que les échanges sur réseaux favorisent ce type d’enrichissement ?

Non. Les échanges FB sont superficiels. Rapides comme une balle de tennis, ils sont parfois excitants pour l’esprit et obligent à réfléchir, d’où leur intérêt. Et j’en fais du reste un exercice de discipline mentale. Mais s’entre-féconder, c’est autre chose ; cela va plus loin, c’est beaucoup plus fort, cela exige de l’intimité et le don de soi.

Que souhaitez-vous que l’on retienne de Il n’est feu que de grand bois ?

Chaque lecteur prend dans un livre ce dont il a besoin. C’est l’intérêt de la littérature. L’auteur, lui, (s’il n’est pas un « fabricant ») écrit pour exprimer une exigence intérieure. Le sens du livre est donc, à mes yeux, celui-ci : l’amour vécu honnêtement est la plus noble chose. L’amour véritable est charnel et spirituel à la fois. L’amour est chose dansante et qui métamorphose les amants. L’amour heureux est impossible, mais viser l’amour heureux est possible, et il y a du bonheur dans cette visée. Le monde moderne brise l’être humain en l’amenant à évoluer hors-sol ; l’amour authentique peut sauver l’être humain en le reliant aux grands rythmes cosmiques, en le connectant à la nature. L’amour fou peut devenir tendresse chaste. L’amour supérieur fait feu de tout bois.

 

→Il n’est feu que de grand bois, éditions La Différence, septembre 2015.

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978-2-7291-2179-2