Trois livres pour un avant-printemps

Une chronique de Georges Cathalo

Trois livres pour un avant-printemps


François de Cornière : « Ça tient à quoi ? »

Avec François de Cornière, la fidélité en amitié n’est pas un vain mot. Cela va de l’incisive préface de Jacques Morin au dessin de couverture de Jean-Noël Blanc et passe encore par de nombreuses évocations de « poètamis » qu’ils soient vivants (J.P.Georges, R.Tixier, L.Dubost,…) ou morts (G.Haldas, J.Rivet, J.Rousselot). De la longue souffrance qu’il a vécue pendant plus de dix ans avec la longue maladie puis la disparition de son épouse Sophie, d’autres que lui se seraient repliés dans une déploration stérile. Lui, en guise de résilience, sait convoquer les mots qu’il a toujours su utiliser pour évoquer pudiquement des moments vécus, oubliés, puis resurgis au présent. Il y a comme ça des images qui « remontent / comme une arrière-mémoire ».  Le poète ne s’égare jamais « dans cette étrange fabrique de souvenirs / qui s’appelle l’écriture ». Il en connaît les pièges et les dangers surtout « quand on cherche à écrire en peu de mots / quelque chose de sa vie ». Au lieu du « je » habituel chez les poètes, il utilise un substantif impersonnel mais reconnaissable : l’homme. Ce personnage furtif surgit et disparaît presque aussitôt du paysage. Oui, François de Cornière est bien, et c’est si rare, « un poète qui ressemble / à ce qu’il écrit » : loyal et discret, juste et fidèle.

François de Cornière : « Ça tient à quoi ? » (Le Castor Astral éd., 2019), 200 pages, 13 euros – 1 rue Franklin – 93310 Le Pré-Saint-Gervais ou www.castorastral.com


Louis Dubost : « Diogène ou La tête dans les genoux »

Très belle édition pour ce Diogène : couverture à rabat, impression, mise en pages,…Il s’agit ici d’une « reprise enrichie » de deux anciens recueils parus en 2011 et 2016. Tout cela est redistribué dans un ordre alphabétique, ordre qui est aussi, selon Vialatte, « désordre, insolite et poésie ». Des abeilles à la zizanie, tous les éléments vitaux du jardin se mettent en place selon une importance variable : de quelques lignes pour l’abricot, la glycine ou le myosotis à deux pages pour les courtils, le haricot ou les vers de terre. Avec la complicité de son épouse, sa « merlette complice dans la vie et au jardin », l’auteur rythme sa vie sur celle des saisons : « Au potager, le temps prend son temps et le jardinier fait de même ». Au passage, Louis Dubost en profite pour égratigner quelques contemporains, poètes et politiciens sans oublier ces « écolo-bobos gavés au bio de chez bio » ou à ce faux-jardinier, « maniaque orwellien aux mains gantés et au nez masqué ». Il fait aussi un éloge appuyé des jardiniers, ces « anarchistes d’aujourd’hui » qui savent accueillir les variétés migrantes comme la carotte ouzbèke. Il s’interroge ensuite sur le devenir de l’espèce humaine avec la disparition de nombreuses espèces animales et végétales. Avec plus d’une centaine d’entrées encadrées d’un prologue et d’un épilogue, ce livre ouvre des espaces vitaux où l’on respire large et où l’on se pose à l’évidence la question cruciale : « Et si la poésie créait cet appel d’air dans notre monde qui étouffe ? ».

Louis Dubost : « Diogène ou La tête entre les genoux » (La Mèche lente éd., 2019), 120 pages, 16 euros – 45 rue du Beausoleil – 79260 La Crèche ou lespritcurieux85@gmail.com


Thomas Vinau : « C’est un beau jour pour ne pas mourir »

Chaque nouveau livre de Thomas Vinau (une cinquantaine en dix ans !) est une surprise. Il est impossible à l’avance de savoir ce qu’il contient car l’auteur n’a pas son pareil pour déranger le paisible confort du lecteur moyen. Son talent est tel qu’il peut jouer sur de nombreux registres littéraires et poétiques avec autant de brio. Sous un titre remarquable, il a rassemblé « 365 poèmes sous la main » dans l’esprit de ce que fit naguère Pierre Autin-Grenier avec ses Radis bleus qui sont ici évoqués plusieurs fois. Le ton est donné dès le premier texte : « J’écris des poèmes allumettes / de petites flammes / qui ne réchauffent rien / et qui me brûlent / le bout des doigts ». Ce sont de brefs poèmes centrés pleine page composés de pirouettes et de demi-tours, de stations assises et de sprints fulgurants. On y croise une  compagne patiente, les ombres tutélaires de Brautigan et de Carver sans compter avec toute une ménagerie hétéroclite composée d’un héron, de trois pies, d’ours polaires et de monstres indéfinis. Thomas Vinau décrit un monde étonnant dans lequel il se ménage des espaces en creux ou en relief selon son humeur : « Je ne chante pas le monde / je le murmure / il fait déjà bien assez de bruit ». Il y a chez lui une manière originale d’évoquer les petites choses du quotidien en allant chercher les angles morts, ces espaces furtifs qui échappent au commun des mortels. Curiosité, émerveillement, mélancolie : tous les ingrédients sont là pour que se mette en place une poésie vivante et vitale car, ne l’oublions pas, « la poésie doit être partagée / sinon elle ne sert à rien ».

Thomas Vinau : « C’est un beau jour pour ne pas mourir » (Le Castor Astral éd., 2019), 418 pages, 17 euros – 1 rue Franklin – 93310 Le Pré-Saint-Gervais ou www.castorastral.com


© Georges Cathalo – mars 2019