UNE RENCONTRE AUX VOIX-VIVES DE SÈTE
Marc-Paul Poncet tient ce jour-là (27 juillet 2018) le petit stand de la Revue Phoenix, place du Pouffre, au Festival de Poésie. Je ne le connais pas du tout. On sympathise (même âge, même ex-activité de prof de philo, même canicule à oublier sous le petit auvent, même malicieuse timidité peut-être, même attachement à Schelling ou Michel Henry). Je repars avec le double petit fascicule – Poèmes du port – que Luc Vidal (dans sa belle collection « Chiendents ») a consacré, fin 2016, à Marc-Paul, sa pensée et ses écrits. J’ouvre chez moi le premier mince volume page 17, et j’y lis, bouleversé, ceci :
« Seul celui qui se tait entendra son mystère
Seul celui qui se tait comprendra
Tu resteras tapi dans l’ombre
Tu fermeras les yeux
Tu compteras Ses pas
Tu l’entendras se déplacer
dans ta nuit
Tu sentiras son souffle
sur ton visage
Tu entendras le fouet
de son sang
dans tes tympans
Seul celui qui écoute comprendra
Seul celui qui écoute
entendra battre son cœur
et La fera danser » (Pdp, I, p.17)
D’abord, Marc-Paul aime bien (ce qui nous sépare) les chats ; il est vrai que c’est le seul animal dont le style assure la survie ; le seul aussi qu’on n’imaginerait pas dans une file d’attente. Et sa fidélité va, exclusivement, par bonds royaux, à ses proies :
« Mais moi c’est toi que j’aime
Tu es mon chat quand même
Même si m’aime si
Tu croques des souris » (Pdp, II, p.28)
Son pessimisme drôlatique fait le constat suivant : ou bien (comme la mouche veule, ou le chat !) on n’a pas bâti de monde, et l’on vit sans œuvre, sans horizon aménagé ; ou bien (comme l’escargot héroïque, II, p.26) on a bâti son monde, et l’on est réduit à l’habiter. L’alternative est ruineuse : ou bien l’on ne survit qu’à sa faiblesse, ou bien on n’a pour force que celle du monde qu’on fait vivre ; ou bien l’on parasite un monde auquel on n’ajoutera rien, ou bien on se résume à ce qu’on a cru devoir ajouter au réel commun et qui ne réside que dans ce qu’on instaure, comme (amère et étroite victoire !) un « habitant de lui-même » :
« Certains hommes le visage buriné
par le soleil et les vents
Ray-Bans posés sur le front
regard perdu dans le lointain
sont les survivants
d’immenses épreuves
d’immenses catastrophes
Ils scrutent au loin l’horizon
faisant face au danger
et Ulysse aux mille ruses tue le cyclope
renonce aux charmes de déesse
brave tempêtes et périls
et retourne vainqueur à Ithaque
D’autres personnes
ne sont que les survivants
de milliers de petites catastrophes quotidiennes,
se lever trop tôt le matin
se casser un ongle
ou encore
perdre son parapluie
par temps de pluie
petites catastrophes qui leur rappellent
instant après instant
que le monde n’est pas fait pour eux
et qu’ils ne sont pas faits pour le monde
et qui posées en rond
deviennent le désastre circulaire d’une vie
Survivants d’eux-mêmes … » (II, p.21-2)
Marc-Paul aime, comme Verlaine, « le flou, l’inachevé, l’instant », c’est à dire l’exemplaire imperfection du poétique (car ce qui n’est net à aucune distance semble les défier toutes) . Mais lui-même l’avoue : l’approximation peut se faire complaisante. De même qu’on est séparé du réel par les concepts et les procédés qui nous le font saisir, on est séparé de l’irréel par les images et les addictions qui nous y mènent :
« Cependant le poétique n’est pas la poésie. Et de la même manière que la recherche de la nouveauté peut devenir ennuyeuse, que la Beauté peut devenir fade, la poésie du flou, de l’indistinct … peut aussi devenir convenue, fade, et l’on peut facilement passer de la poésie au poétique pur et simple, qui n’est pas par lui-même poésie. J’espère ne pas être tombé dans ce travers » (I, p.7)
Simone Weil dit souvent que la pure attention est prière (puisque tant qu’on examine exclusivement le possible, le réel est seulement à implorer ou remercier, et l’on ne peut mal y agir !), mais qu’en est-il de la pure distraction (n’est-elle que divertissant sabordage) ? Bien sûr, concède notre poète, elle déforme ou diffère le bien ; mais aussi, montre-t-il puissamment, quand la rêverie brouille trop les contours du mal, on ne le fait plus ! Comment commettre le moindre crime parfait dans les brumes d’un Turner ? Le pire des salauds s’abstiendra, suggère Marc-Paul Poncet, si son forfait doit lui en voiler l’issue !
« Du phare qui s’allume
Au phare qui s’éteint
Qui sait où est le bien
Perdus dans tant de brume
Et le rouge qui bouge
Le soir au bouge rouge
Et l’alcool d’eau de pluie
Noyé dans l’eau-de-vie …
Et du septième ciel
Au septième sous-sol
Bien malin qui distingue
Cachée dans l’entre-sol
EXIT
La porte de sortie » (I, p.32)
Même si de cette pleine et fine abstention du mal, notre (délicat et résolu) auteur n’espère ni réconfort ni plénitude ; mais il préfère l’insistance angélique à tout l’ordinaire du harcèlement inter-humain :
« Il n’y a pas d’amour heureux
Mais pas de bonheur sans amour
C’est pour ça que j’aime toujours
C’est pour ça que je suis malheureux » (I, p.28)
Mais le malheur d’un poète (comme on voyait aussi chez Laforgue, chez Prévert, chez Mac Orlan) a toujours sur lui-même un sourire d’avance.
Marc Paul, poèmes du port vol 1,“les fêtes incertaines”, Chiendents n°110, cahier d’arts et de littératures.
N° 111 Chiendent – Marc-Paul : Poèmes du port 2 “Morana, poète fainéant”
⇓⇓⇓
à se procurer ici
©Marc Wetzel