En hommage à Guy Goffette, décédé le 28 mars 2024

La voilà donc ouverte la longue avenue
De bleu, cette route verlainienne vers les
Talus de grand soleil et les herbes menues
De tous les envers où tu marches désormais

Coincé entre ici et ailleurs – mais où ? – Guy Goffette est un poète au long cours qui marche la tempête du réel à grandes enjambées, comme un oiseau de défi dans le ressac des légendes. Amoureux des peintres et des livres, il se promène au gré des pages avec la nostalgie constante d’un retour aux illuminations du jadis. Mais il sait aussi qu’on a beau croire à l’ivresse des aventures promises, la vraie fascination commence toujours à deux doigts à peine du jardin d’enfance, à la lisière du village…

C’est par une soirée d’hiver genre Docteur Jivago que j’étais allé rendre visite à Guy Goffette. Belle entrée en matière pour retrouver un poète ! Il m’attendait occupé à classer les livres, à secouer des rayonnages de bibliothèque. La conversation s’entama par des biais étrangers à la chose littéraire, puisque d’emblée, en effet, Guy Goffette posait sa fonction créatrice sur un plan éloigné de l’image bucolique d’un artiste en retrait de la vie publique. Invité récemment à une rencontre internationale de poésie à Tel-Aviv, il subordonnait son éventuelle acceptation à la participation de poètes palestiniens ! Au-delà de cette manifestation de solidarité, l’auteur aime à mettre en exergue combien la poésie garde de force, elle qui continue à se publier dans des milieux fermés. Contestataire à sa manière, il refuse aussi les classements, les étiquettes : Exception faite de ma collaboration active à la revue « Triangle » (une revue publiée de façon artisanale par Guy Goffette lui-même et à laquelle participaient surtout des poètes lorrains et luxembourgeois), j’ai toujours été extérieur à tout groupe, à toute école.

Poète, Guy Goffette l’est depuis toujours. Essentiellement. Et derrière la facture des vers, c’est la musique, le style qui lui importent avant tout. Il a retenu la leçon du bon Verlaine auquel il a du reste consacré un essai envoûtant, Verlaine d’ardoise et de pluie. Cette volonté de s’assurer un style s’exprime – et c’est peu de le dire – dans son dernier ouvrage, un roman qui – pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître – n’est pas passé loin des grands prix littéraires français de la rentrée. Il est vrai que si, dans ce livre, l’intrigue tient une place importante (un jeune garçon est séduit par la Monette, une femme en marge de la communauté villageoise où s’inscrit l’histoire), il n’en reste pas moins que la forme a, c’est bien le moins, son mot à dire. Cela commence par le titre, Un été autour du cou, allusion claire à ces souvenirs douloureux que l’on traîne sa vie durant comme le boulet du prisonnier. Il faut entendre Guy Goffette commenter ce choix : le titre de mon manuscrit était « L’escalier du geai ». Ça me semblait un peu sibyllin, une mauvaise image poétique. Même un surréaliste n’aurait pas employé une figure aussi peu porteuse ! Plus avant, c’est la forme qui lui importe : J’aime trouver un style dans un livre ; quelque chose qui m’emporte, qui me bouleverse. Sur les dix mille livres que j’ai emportés à Paris, je m’aperçois qu’il n’y en a que quelques-uns que je relirai : Faulkner, Onetti… Pour qu’un livre dure, il faut qu’il soit traversé par une voix. Tout a déjà été dit, c’est donc dans la manière de dire que peut résider la nouveauté. La plupart des écrivains chez qui l’anecdote est forte, on ne les relit pas. Même chez Simenon, l’intrigue est importante, mais il y a d’abord chez lui une atmosphère, une voix. Il faut rappeler ce que disait Céline : Lorsqu’on trempe un bâton dans l’eau, on le voit cassé, pour le voir droit, il faut le casser d’abord. Et Paul Claudel, autre référence goffetienne, ajoutait de son côté : « J’emploie les mots de tout le monde et ce ne sont jamais les mêmes.« 

Étrange tout de même ce passage au roman que le poète méditait depuis longtemps. Cela dit, il n’est pas convaincu par la supériorité intrinsèque du genre auquel il reconnaît avant tout un intérêt « publicitaire » : le succès d’un roman se reporte sur les livres précédents, constate-t-il avec un certain fatalisme. Cela n’ôte rien aux nombreuses qualités d’Un été autour du cou dont une autre caractéristique réside dans l’allure autobiographique… Une illusion sans doute, puisque le héros, Simon, résulte d’une sorte d’amalgame : Ce n’est ni tout à fait moi ni tout à fait une autre. Il s’agit plutôt d’un mélange de plusieurs personnes réelles. La Monette, par contre, n’a jamais existé, mais j’ai le sentiment de l’avoir connue… Outre cet aspect personnel, le roman renvoie bien aux thèmes auxquels le poète lorrain avait habitué ses lecteurs au gré des recueils précédents : la frontière, le voyage, les autres poètes (évoqués au travers de nombreuses dilectures), les peintres… Je suis fasciné, s’exclame-t-il, par les collines, par les frontières – origine oblige. Il est vrai aussi que, comme il le précise, les poètes sont par « nature » des écrivains de la lisière : lisière de la langue, lisière de l’émotion.

On le constate, à lire ce qui précède, la prose ne paraît, pour Guy Goffette, qu’une sorte de paravent derrière lequel la poésie ne cesse jamais de murmurer. Le roman peut mentir, précise-t-il, mais en poésie, le mensonge paraît plus dangereux. Au contraire, on y renoue toujours avec une certaine authenticité. C’est que le tacatam délicieux des vers renvoie à celui du train de l’enfance. Il s’agit de retrouver au travers des mots toute cette atmosphère de ce qui existait quand on était enfant.

Publié chez Gallimard, Guy Goffette s’est rapproché de Paris où il vit la plupart du temps. Actuellement, il s’occupe d’une collection de poésie pour les jeunes. Dans cette fonction, il s’inscrit en faux contre la popoésie. Pour lui, il convient de proposer aux enfants la même chose qu’aux adultes en choisissant, bien sûr, des textes accessibles. C’est ainsi qu’il publie à l’usage des jeunes lecteurs des textes d’Aragon, d’Edmond Jabès ou ceux de poètes contemporains invités à choisir eux-mêmes dans leur œuvre.

En ce qui concerne ses projets, homme du voyage rêvé, Guy Goffette est toujours sur le départ. Il prépare notamment une traduction des œuvres du poète américain W. H. Auden à qui il compte en outre consacrer une monographie dans la collection « L’un et l’autre » chez Gallimard. Par ailleurs, un nouveau roman est déjà sur le métier. Gageons qu’il appartiendra lui aussi à l’armada des navires en quête des étoiles nouvelles.

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