POESIE
Titre : FRICHES 132, hommage à Jean-Pierre Thuillat
Auteur : collectif
Éditeur : les cahiers de poésie verte
Année de parution : 2 021, pni
L’été. La pile des livres reçus, le balcon et les cigales… Lire. Lire et se souvenir.
Un dernier numéro de Friches. Un hommage à son rédacteur Jean-Pierre Thuillat.
Jean-Pierre Thuillat, poète, historien, spécialiste de Bertrand de Born le troubadour du XIIe siècle, adjoint municipal etc.
On déroule une quarantaine d’années au fil des pages. Un enracinement, une fidélité. De la ténacité. Jean-Pierre Thuillat aimait les arbres, les chênes. Friches est un arbre dans le paysage poétique de la fin du XXe/début XXIe siècle. Un arbre dont l’ombre a accueilli de nombreux poètes, de grandes voix comme il disait et des voix plus jeunes, plus secrètes.
Friches, des collaborateurs fidèles, ils ont la parole ici : pour rendre hommage comme pour entendre leur voix. C’est le prix Troubadours, ils sont tous présents. Ce sont des éditoriaux affûtés sur la poésie et le monde, on en retrouve ici quelques extraits. Friches, c’est une aventure. Je suis heureux d’y avoir participé quelques fois. Mon seul regret : je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer Jean-Pierre.
« Quand plus personne ne nous lira
que nous serons enfin bien morts
sous des kilomètres de neige
peut-être y aura-t-il malgré tout quelque part
un regard pour prendre mesure
de cette lueur que nous fûmes
et s’arrêter sur l’arbre d’en face
comme je m’arrête aujourd’hui sur ton nom
toi qui reposes depuis huit siècles
sous le calcaire bleu d’un gisant
et me réchauffes pourtant le cœur
par tout ce poids amorti par les ans »
Dans le 321 Encres Vives
« Mémorial pour le siècle XX
Il commence à Sarajevo pour s’achever à Pristina :
ça ne fait pas beaucoup de chemin
juste un détour par Oradour
une fleur sur Hisoshima.
Les hommes s’ennuient sur la Terre, il faut bien s’amuser un peu.
Un peu de femme un peu de guerre
du vin des larmes du sang
et l’on repart la coupe pleine.
Ronds de fumée sur Tréblinka ou ronds de cuir sur la Garonne.
Qu’elle est belle l’église en flammes
avec tous ces enfants dedans
J’entends le hurlement des femmes.
On n’est plus au douzième siècle.
La barbarie, c’est aujourd’hui.
À Tokyo New-York ou Paris
les sans-papiers les sans-famille
hantent les rues de l’opulence.
La guerre est partout dans le monde, on tue les enfants par milliers.
Ceux qui survivent on les prépare
à devenir bourreaux demain.
Ainsi se perpétue le Monstre.
Il commence à Sarajevo pour s’achever à Pristina :
ça ne fait pas beaucoup de chemin
juste un détour par Oradour
une fleur sur Hiroshima. »
Titre : Pas par quatre chemins
Auteur : Morgan Riet
illustrations de hervé Gouzerh
Éditeur : Donner à Voir
Année de parution : 2 021
Ce petit carré orangé s’ouvre sur un haïku de Santoka (1882/1940) :
qu’on soit joyeux
qu’on soit triste
les herbes poussent
J’aime bien ce rappel de l’indifférence du monde à nos petits soucis quotidiens, comme nos anniversaires ou les horaires des trains… Le temps qui passe, les nuages, une horloge, des enfants sous la pluie et la joie… Tout un quotidien saisi au vol dans une collection de haïkus qu’accompagnent les illustrations d’Hervé Gouzerh.
De la fragilité dans ces vers, de la tristesse ou plutôt de la mélancolie. Les jours passent, les bougies s’entassent, on voudrait, on est. On cueille ainsi des instants, les mains dans les poches et on se souvient d’une enfance cow-boy. Le présent est ainsi, toujours chevauchant l’enfance et le regard vers des rêves et des désirs de futurs.
Un petit carré à lire d’une traite puis à relire page à page ou bien en écho à sa propre aventure. Un bel objet à offrir comme tous les Donner à Voir.
Mon miroir de la salle de bain
Auteur : Pierre Tilman
Éditeur : La Boucherie littéraire
Année de parution : 2 021
13€
il y a les jeux d’enfants face au miroir. J’y suis/j’y suis pas/coucou me revoilà… Il y a les petits matins rasoirs dentifrices peigne et les questions existentielles qui les accompagnent : est-ce que je serai président ? Où sont mes vingt ans ? Et toutes les autres… Ici Pierre Tilman s’interroge sur le miroir lui-même :
…Il ne m’était jamais venu à l’esprit
de regarder mon miroir
de la salle de bain
lorsque je ne suis pas devant lui.
Quand il est seul,
je ne sais ce qu’il fait.
Je me place biais
et je le regarde discrètement.
…
Tout au long de ces pages l’interrogation entre l’homme et le miroir de sa salle de bain. Derrière ces monologues se cachent nos questions rémanentes : qui suis-je ? Comment ça marche tout ça ? Et le temps qui modifie mon apparence jour après jour ?
Quelle perception de soi avait-on avant le miroir ? Le miroir est-il le reflet fidèle de ma réalité ? Comme le dit Pierre Tilman le reflet est sans vie ; rien ne pulse en lui, il ne produit rien. Alors ?
Et le temps ? Quel est son rapport au temps ? Le reflet du présent. Sans passé. Sans futur. Un reflet d’un présent maintenant. Qui disparaît dès que l’on sort de l’écran. Le miroir et l’écran de nos ordinateurs ; qui renvoie quoi de soi ?
On plonge dans les jeux de miroirs au fil de la lecture. On se perd, comme un Narcisse amateur. On se reconnaît aussi dans les grimaces et les tentatives de dialogue avec son reflet. Finalement, le poème en explorant cet objet poli de la salle de bain nous renvoie à nous-mêmes aussi fidèlement qu’un écho. C’est une des voies de la poésie : mettre des mots sur ce qui n’en a pas. Ici simplement parce que trop ordinaire pour qu’on s’y arrête. En s’y arrêtant Pierre Tilman met des mots sur nos gestes, nos pensées ; il formule ce que l’on ressent, ce que l’on expérimente sans le nommer. Il nous enrichit. Merci !
Merci à l’éditeur de nous partager ces mots, ces réflexions, ces sourires.
Un ensemble de textes à jouer sur scène avec un ou plusieurs miroirs, un ou plusieurs acteurs ; ce serait amusant à tenter.
http://laboucherielitteraire.eklablog.fr/
Titre : Un bruit de bleu
Auteur : Louis Raoul
Éditeur : L’ail des ours
Année de parution : 2 021
Le premier mot du livre : « Chaleur »
L’été. Du Bleu. La mer. Le sable. L’été tout simplement.
Les mots glissent sur le papier abasourdis de chaleur. Ils chuchotent. Peinent à lever les lèvres. C’est l’été. Pas un souffle d’air. Chaleur. La nuit comme le jour. Des heures propices à la langueur. À la caresse à l’abri des persiennes à l’espagnolette.
Le temps passe.
« Je porte un manteau de pluie »
puis
« la neige
j’aurais alors
un manteau lourd d’étoiles
et j’aurais l’excuse
de tout ce blanc pour perdre mes mains. »
En toute saison l’auteur prend le temps d’écouter le monde pulser. De jouer sa partition en écho, en accord avec lui. Il écoute. Regarde. Sent. Caresse et goûte à tous les parfums des jours.
« juste cet instant privilégié
d’avoir été dans la confidence
du monde. »
Les saisons se succèdent. La vie. Le temps. Des instants solitaires. Des instants partagés. Et le questionnement de la mort qui monte. L’apprivoiser avec quelques mots. Sauvegarder des instants avec quelques poèmes. Approfondir le silence…
« On pourrait
avant de partir
écouter une dernière fois
le vent dans le feuillage
on pourrait
laisser là
nos os
pour voyager plus léger
et l’on attendrait
l’une de ces nuits
où la lune
ouvre un chemin sur la mer »
On est dans cette poésie intimiste qui cherche à résonner avec la Terre et le mystère de la création. On dirait facilement aujourd’hui un poème zen mais ce serait ne rien dire de ce travail sur soi, de cette écoute. De ces moments où l’auteur va puiser quelques mots dans un des puits de l’univers. Quelques mots vivants pour vivre à son tour et comme le disait Guillevic « un peu plus haut que possible ». (Il est possible qu’à un mot près la citation ne soit pas exactement exacte mais l’essentiel est dit, n’est-ce pas ?).
Titre : les heures creusent
Auteur : Christophe Sanchez
Éditeur : éditions du Cygne
Année de parution : 2 021
J’aime bien ce titre et son jeu. Les heures vides, les heures creuses, les heures qui creusent notre présence au monde. Je pense aux règles de vie monastiques dont le but est de permettre ce creusement, d’approfondir cette présence au monde. Dans la solitude et la répétition de l’emploi du temps. Ici, ces heures creuses sont les huit heures traditionnellement vouées au travail. Elles nous creusent, nous vident mais aussi nous tiennent (plus ou moins, ok je sais : c’est pas toujours amusant le boulot mais quand même ça donne du rythme aux jours. Combien de retraités s’emm… loin du boulot et toutes ces sortes de choses…).
Le travail c’est un open space, si j’ai bien suivi, dans une boite de transports en commun : régulation et surveillance du trafic. J’imagine plein d’écrans, de téléphones et le stress de la circulation, les pannes, les accidents mais aussi les moments où il ne se passe rien, où tout roule, tranquille.
Durant ces heures, l’auteur pense à écrire. Des réflexions, des saisis d’instants : la vie quoi, et tout simplement. Approfondir ainsi ces heures à priori loin du cahier d’écriture (ou autre) donne de la perspective au quotidien. Je suis convaincu depuis longtemps que le poète est à l’affût de poème caché juste à côté de lui.
On me demande souvent d’où me vient la fameuse inspiration… je réponds souvent que
Le poème est là
et que la mission du poète (jingle de mission impossible svp) est de le débusquer, de le mettre en mot. Le quotidien du travail, aussi répétitif et ennuyeux soit-il ( et ce n’est pas toujours le cas) recèle aussi des poèmes. Se mettre à cet affût, c’est un travail sur soi, une disponibilité à son humanité.
Ces poèmes partagent ainsi des moments de creusement, ils vont accompagner les lecteurs travailleurs, enrichir leurs vécus, donner un autre sens aux mots de la tribu. Vivre actif et non passif me semble un bel objectif au quotidien et en particulier durant ces heures « creuses/qui creusent ».
18h15
Près de nous
les quais de béton
où les trains crissent.
Plus loin,
les annonces en gare
par la voix d’un robot.
Entre deux,
l’attente d’une alerte
qui nous dira quoi écrire.
http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-heures-creusent.html
* Pudeur des brouillards, éditions de l’Amourier.
Titre : Maman, maman, j’ai rêvé de l’ours
Auteur : Angèle Casanova
Images : Jacques Cauda
Éditeur : Les éditions du Carnet d’or
Année de parution : 2 021
Un ensemble de textes qui commence dans un RER pris à Nation. L’autrice croise une jeune maman et sa petite fille. Ça se passe mal entre les deux, la mère gifle l’enfant. Et tout remonte. La perte de sa propre mère. Un accident. Le vide. La quête de compréhension. L’apprivoisement de cette nouvelle vie.
De texte en texte on suit ainsi le cheminement de ce qu’on appelle génériquement le travail de deuil. C’est un lent cheminement. Une longue patience.
Un livre poignant qui saura accompagner ceux ou celles qui sont confrontés à la perte.
Les éditions du Carnet d’or est une jeune maison d’édition associative créée en 2020. On suivra son évolution livre à livre.
https://leseditionsducarnetdor.cargo.site/
ALBUM
Titre : Adi de Boutanga
Auteur : Alain Serge Dzotap
Illustrations : Marc Daniau
Éditeur : Albin Michel jeunesse
Année de parution : 2 019
Un album grand format dans lequel texte et illustrations sont mis à l’honneur. On y entre avec chaleur. La chaleur de la palette de Marc Daniau bien accordée au pays où se déroule la vie d’Adi : le Cameroun.
C’est l’histoire d’une petite fille qui grandit. Une petite fille heureuse. École. Amies et amis. Jeux et rires. Comme tant d’autres petites filles dans le monde.
Seulement ici : à treize ans les filles quittent l’enfance. L’enfance et l’école. Selon la tradition, l’oncle cherche un mari à sa nièce. Des questions de prestige, de dot plus que d’amour. D’ailleurs Adi ne veut pas de l’homme auquel son oncle l’a promise. Elle veut son amoureux. Elle veut continuer à apprendre.
Pour échapper à son destin son père la conduit à Boutanga. À Boutanga, un couple franco-camerounais a ouvert un foyer école pour les filles qui s’opposent au mariage forcé et veulent continuer l’école ; garder leur liberté de choisir leur vie.
Ce livre brûle d’actualité. Combien de jeunes filles arrêtent l’école contre leur gré ? Combien sont concernées par le mariage forcé ? et pas qu’au Cameroun ; il suffit de regarder l’actualité pour comprendre que toute liberté est fragile.
Un livre à réfléchir en famille, en classe ou ailleurs. Un livre libérateur de paroles. Un livre pour grandir.
Une partie des droits d’auteur d’Alain Serge Dzotap est versée à la Fondation Gacha pour l’aider dans sa mission humanitaire.
https://www.albin-michel.fr/ouvrages/adi-de-boutanga-9782751107337
ROMAN
Titre : Terrienne
Auteur : Jean-Claude Mourlevat
Éditeur : Gallimard jeunesse
Année de parution : 2 021
Les mondes parallèles… Un incontournable de la SF. Un de plus direz-vous ! Et alors : l’essentiel est que cela fonctionne et là pour le coup ça fonctionne bien. Anne passe de l’autre côté. Plusieurs fois. Seule puis avec quelqu’un. Dans ce monde parallèle, elle mènera la mission qu’elle s’est fixée. Elle trouvera de l’aide. En dire plus ce serait enlever les éléments de surprise qui donnent toute leur saveur au récit.
Je l’ai lu d’une traite. Complètement captivé. Un livre à lire dès la fin du primaire et au-delà bien sûr. Il n’y a pas de péremption d’âge pour un livre comme celui-ci. Comme dans tous les autres de Mourlevat.
http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Pole-Fiction/Terrienne
Titre : Les aventures de Balthazar Fox
Auteur : Pascal Brissy
Éditeur : Auzou
Année de parution : 2 019
Les trois tomes des avnetures de Balthazar Fox sont réusnis dans cette belle édition. Balthazar est un garçon ordinaire ou presque : il cache une queue de renard sous ses habits. Joli mais encombrant et surtout secret.
Tout bascule lorsqu’il effectue par hasard son premier passage vers l’autre monde. Un monde parallèle peuplé d’animaux guerriers et dotés de la parole. Balthazar est un des rares à pouvoir passer d’un monde à l’autre et influer sur cet autre monde.
Ces aventures, il va les partager avec une renarde mystérieuse, un drôle de chacal et un ours sans peur. Des épreuves, un destin hors du commun.
J’ai passé un moment bien agréable en sa compagnie et recommande la lecture de ces aventures dès 10ans, voire avant.
https://www.auzou.fr/accueil/les-aventures-de-balthazar-fox-integrale-tomes-1-a-3
©Patrick Joquel
http://www.facebook.com/patrick.joquel
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