CLAMES, Poèmes à dire, CLAUDE LUEZIOR, ÉDITIONS TITULI, Paris. 2017

Chronique de Nicole Hardouin 

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CLAMES, Poèmes à dire, CLAUDE LUEZIOR, ÉDITIONS TITULI, Paris. 2017 

Mais quel est donc ce nouveau daïmon qui enfièvre Luezior ? 

En effet, dans tous les recueils précédents, l’auteur, avec son sens inné de l’image, est oiseleur qui, dans des plissés de douceur, origine des houles de rêve. Glaneur d’arc-en-ciel, entre vacillements de cierges et odeurs d’encens, il bat les cartes d’un jeu de songes dans des bourrasques de sensualité et s’avance à pas de chartreux. Ici, dans Clames, on est de prime abord surpris, voire interloqué,  devant ce choc des mots que le poète  martèle avec un bonheur évident et heureux : elle / disloque / croque / escroque  / révoque. Les phrases courtes, réduites au maximum. Elles sont des coups de gond qui résonnent, des coups de poing qui font des bleus à la voix car, instinctivement, comme à l’écoute d’un slam on se laisse emporter par ce rythme : ici pulse le besoin du dire 

Sabre au clair, les mots en débord moissonnent le souffle, sortent de la page. Le lecteur devient orateur, il scande : coupe / mes coups de sang  / coupe mes poignes  / découvre ta croupe. C’est une armée au pas de charge qui sonne la diane,  dévale les pentes du livre et monte à l’assaut de celui qui lit : je heurte / Parce que je suis heurtoir  et m’agenouille/ sombre fripouille / à l’échancrure des souvenances (…) et je heurte / heurte sans tympan / et je heurte / jusqu’au sang. 

Mots qui fustigent, fouettent : assez / de ces scandales / de ces vandales / qui empalent mes vestales. Mots volcans, lave sur les dérives du quotidien : c’est clair / les bijoux / de pacotille / transpercent / les chairs (…) se faire marquer : comme si l’on n’avait / pas asse tatoué / les suppliciés / aux camps / des condamnés. Mots guillotines : c’est clair / on a proclamé : les déchets / œuvre d’art / et les détritus / sur fonds sprayés / sont glorioles / pour discours / esthétisés. 

Malgré soi, par la puissance de ce dire, on s’enrôle dans la troupe marche. Et soudain, ici et là, quand on s’y attend le moins, lorsque le vent s’apaise, Luezior pose son bivouac pour se laisser glisser : peut-être le temps est venu, le temps où l’on respire d’autres rêves. Le poète passionné ouvre sa besace. À la lumière d’un phare lointain, une  sirène passe : il rêve d’écailles et filtre une confidence aux yeux de salamandre : Ne t’en déplaise / j’aimerai / seul sous la treille / l’ombre de tes soleils / j’aimerai tes vermeils. Dans sa nuit, les étoiles laissent glisser l’humour : à la fripe / j’ai mis / quelques reliques / de participes / trop passés. Dans la fragilité de ses chimères, il déploie les ailes des libellules au tulle de ses pensées, il sait qu’une lueur pointe toujours au-delà du noir. Entre un nuage et une ombre, disons  avec le chantre : buvez / comme le rouge-gorge / buvez / de vos lèvres / jusqu’à ce que vie / s’en suive / et surtout / buvez- moi. 

Claude Luezior est à la fois marbre et sculpteur, il incendie ses vaisseaux avec élégance, parfois à contre-courant mais jamais à contre-cœur, il écrit sur le sable mouvant de la vie avec joie et douleur : dialogue avec l’ange, mais aussi dialogue avec ces riens tantôt sublimes, tantôt insalubres. Gênes de sang au calice de l’offrande. 

Avec le poète clamons ses « Clames » au miroir / du puits / où culbutent / nos songes. 

Pour mémoire, les éditions tituli ont sorti en 2016 Une dernière brassée de lettres du même auteur. 

© Nicole Hardouin