Santiago Montobbio, « El hombre es siempre un fuego ultimo, secreto / L’uomo à sempre un fuoco ultimo, segreto », Le Chasseur Abstrait.

Santiago Montobbio, « El hombre es siempre un fuego ultimo, secreto / L’uomo à sempre un fuoco ultimo, segreto », Le Chasseur Abstrait. Disponible par le lien


Dans ses derniers recueils, Santiago Montobbio, avec une perspicacité franche et une foi chevillée à sa conception de la fonction du poète, parle de son quotidien, des lieux qu’il fréquente ou visite (sa ville, Barcelone, mais aussi les maisons de vacances de sa famille en Catalogne, le Nicaragua ou Rome), des gens qu’il rencontre ou qu’il appelle. Il mentionne assez fréquemment son amie Carmelita Ferreri, tour à tour et à la fois conseillère, exégète et traductrice. Dans la sélection de poèmes proposée par la revue en ligne Le Chasseur Abstrait, Carmelita Ferreri apparaît donc à la fois comme personnage récurrent des poèmes et traductrice de l’espagnol vers l’italien. Santiago Montobbio rappelle, dans le poème liminaire Poema Puerta / Poema Porta, à quel point ces deux langues font partie de sa vie, comme aussi le français, qui est ici symboliquement représenté par la revue en ligne. 

Le recueil bilingue fait évidemment sans cesse des ponts entre les deux langues, et entre les deux cultures qu’elles irriguent. Les recueils récents de Montobbio sur ses voyages à Rome l’avaient déjà montré, et la démonstration acquiert ici plus de force de pouvoir être lue aussi en italien. Si, comme l’affirme le poète, ses écrits sont sa vie, cette vie ne peut qu’être nourrie de ce jeu de miroirs linguistiques, comme elle l’est d’intertextualité, ou d’expériences par procuration. 

L’une des forces de cette sélection de poèmes, qui va des années 80 à des poèmes inédits très récents, tient à ce que Santiago Montobbio rappelle sans cesse à ses lecteurs que rien, ni les impressions, ni les termes grâce auxquels on les évoque, n’est un surgissement spontané et vierge. On ne visite pas Rome comme une valise neuve, on la visite avec les souvenirs des autres, les œuvres qu’on a lues, les impressions déjà ressenties, dans notre tête, même parfois à notre insu. Par exemple, Santiago Montobbio évoque à plusieurs reprises sa lecture de Rome à travers les souvenirs et les récits de son père (« Rome n’a pas quitté mon père, non, ou plutôt / elle l’a toujours accompagné. Et elle nous a toujours accompagnés, / parce que nous l’avons vécue à travers lui. / Dans le sentiment, dans la mémoire »). 

Ainsi, on comprend que la poésie de Santiago Montobbio est un effort absolu mais vain, et se sachant tel, de traversée de la réalité, dont on ne retient donc rien d’authentique, puisque toute lecture en est légendaire, dans le sens qu’elle a déjà été vécue par d’autres et seulement médiée par le poète, qui, en bout de ligne, griffonne « quelques vers / qui étaient plutôt des pensées ». La création, c’est donner une forme à l’impensé intensément peuplé qui occupe le créateur. C’est en ce sens que la poésie est à la fois pratique personnelle et témoignage aux dimensions du monde, expérience solipsiste et communion, ce que Santiago Montobbio nomme des « poésies ouvertes » : « Les poèmes / sont ouverts et creusent à l’intérieur, / ils ouvrent des chemins et grimpent à d’impossibles murs ».