IOCASTA HUPPEN, HAIKUS D’ENTRE-SAISONS – (Editions Stellamaris, France, 2021 – 92 pages).

Une chronique de Arnaud Delcorte

IOCASTA HUPPEN, HAIKUS D’ENTRE-SAISONS – (Editions Stellamaris, France, 2021 – 92 pages).

Iocasta Huppen nous offre un septième recueil de poésie. On la sait connaisseuse et autrice chevronnée de poèmes d’inspiration japonaise et en particulier de haïku, dont elle anime notamment des ateliers d’écriture. Huppen est aussi l’initiatrice du KukaÏ de Bruxelles (rassemblement de haïjins, c-à-d d’auteurs de haïkus). Et c’est bien de haïku qu’il s’agit dans ce nouvel opus, mais, en léger décalage avec la tradition, la règle classique étant que le tercet japonais comporte un mot désignant la saison, Huppen nous propose une série de haïkus d’entre-saisons, teintés de cette hésitation supplémentaire de l’entre-deux. 

Plus l’été

pas encore l’automne –

nos belles années

On pourrait dire que ce choix de l’auteure d’origine roumaine est bien belge, puisque notre pays est notoirement celui des saisons floues, qui semble toujours hésiter et ne jamais fermement choisir son temps. Au-delà du jeu, cette exploration des lisières, des marges a ceci de très oriental qu’elle nous fait ressentir encore plus clairement l’incertitude des choses et des états, leur fluidité, leur impermanence.

C’est bien sûr en filigrane le temps dont il est question dans ce recueil, ce temps dont le passage nous change sans cesse, comme ces fleurs à la vie brève :

Magnolias en fleur

comme chaque année

s’en extasier 

Mais il y a une sérénité et même une jubilation, à se sentir partie de cette totalité mouvante, qui meurt et renaît au fil des (entre)-saisons. Une confiance très bouddhiste qui naît du détachement et de l’acceptation de la finitude.

Entre deux pages

je glisse une feuille d’érable –

Bienvenue, Automne !  

Dans ce concert d’instants-gigognes ne manquent ni l’ironie ni parfois même l’humour (le genre du senryû) :

Avis sur le parasol :

« À fermer si le vent rafraîchit » –

derniers jours d’été

Le haïku est murmure de l’instant, brillance éphémère du quotidien, dont il fait parfois sourdre l’invisible, voire l’extraordinaire, au détour d’un mot, ce « prodige de lumière ». Pour prosaïques que les mots du haïku puissent sembler « première neige ; le son des tambours ; confettis sous la pluie ; un petit déj dehors », ils laissent émerger une poésie des interstices, des silences d’avant et d’après le mot, du monde réfléchi et réfracté par la goutte de rosée, les « flocons plein les yeux ».  

A quoi sert la poésie ? Comme le disait le grand Bashô lui-même : « Ma poésie est comme un brasero en été, ou un éventail en hiver. Elle va contre le goût populaire ; elle est inutile. » Et pourtant les haïkus, tels ceux de Iocasta Huppen, l’air de rien, nous reconnectent avec le présent, les sensations et nous aident peut-être à appréhender un peu mieux la vie – et la mort. C’est déjà beaucoup !

©Arnaud Delcorte – Bruxelles