Eric Holder

Embrasez-moi, Éric HOLDER, Le dilettante (17€ ; 222 pages).

Éric Holder joue sur la séduction dès le titre. Ne va-t-on pas passer très vite du « embrasez-moi » à embrassez-moi ? Les pommes d’amour n’ont-elles pas la couleur rouge-baiser ? Ce trou de serrure n’est-il pas une invitation à épier ce qui se trame dans les alcôves ?

La préface, pour lecteurs avertis, préfigure la teneur de ces nouvelles, d’où un envoi à Maître Pierrat, collectionneur, éditant à la Musardine, dont il connaît la passion pour la littérature érotique.

Éric Holder ne cache pas son désir de s’acquitter de sa dette envers les auteurs qu’il découvrit sous le manteau, au pensionnat (Miller, Sade, Reyes) et qui l’initièrent à la géographie intime, féminine.

Il revisite ses souvenirs de jeunes ados comparant « la chose », exhume des anecdotes relatives aux premiers émois, aux relations initiatiques, réactive des confidences à travers « un voyage dans le delta et ses nombreuses ramifications ». Il ressuscite quelques jeunes femmes timorées, farouches ou intrépides, allumeuses, tentatrices, expérimentées dans l’effeuillage, renouant avec son talent de conteur d’histoires sulfureuses et campe des protagonistes experts dans l’art du baiser.

Il convoque la mémoire de Cathy, qui l’avait déniaisé, aux « lèvres d’un rose qu’aurait envié le jardinier, deux pétales sur lesquels un baiser aurait laissé une meurtrissure carmin ».

Éric Holder magnifie la beauté de ces femmes, leurs blandices, explorant leur nudité à la manière de Chardin, Watteau, Schiele ou de Toulouse-Lautrec. On croise Blandine « aux fesses hottentotes, proéminentes comme des ballons de basket » cédant à la fougue de Renato « un vigoureux amant », « s’offrant un festin de voluptés défendues » et sa mère : Jeanne, la cinquantaine, « mettant le feu aux broussailles ». Aurore « la belle gazelle » découvre les jeux érotiques, la confusion des corps à trois : « Elle ne sait plus à qui appartient cette main, cette bouche, cette peau ».

Pauline « aux seins semblables à des fruits exotiques » incarne « un temple de la sensualité, la framboise sur le gâteau du personnel ». La lingerie de Marie sans chemise (« des mega-soutiens-gorge, culottes maxi ») suffit à émoustiller son visiteur, tout comme «  sa langue au goût de cerise ou son lopin de poils noirs ou le moelleux des bras nus ».Farid « le moricaud charmeur » tomba dans les filets de Brigit « cette beauté supérieure, inaccessible, aux roploplos libres » dont « la peau provoquait la faim ». Il sublime les jambes « schuss le long des mollets galbés ».

Laetitia, « conseillère à la culture », se fait infirmière pour soulager Virgile, dont la danse de Saint-Guy est provoquée par des guêpes, en retour Virgile saura « la transporter, l’euphoriser, lui faire perdre les pédales ».Après avoir fait défiler toutes ces scènes torrides, l’auteur s’interroge sur la mémoire des lieux : L’amour, comme le crime, adhère-t-il aux murs ? ».

Éric Holder emploie un vocabulaire cru (« l’un tisonne, bamboute, l’autre gobe, lèche, on frétille »), des termes ambigus comme « buisson », une langue verte, appelant un chat un chat, comme à l’époque de Catulle. A la manière de Klimt, il offre un hymne au baiser « promesse de l’étreinte à venir » selon Belinda Cannone. Il explore les relations extraconjugales : marivaudage, libertinage.

L’auteur glisse une pointe d’humour : « Je déshabille Marie-France pour habiller Paul », de la drôlerie avec des scènes théâtrales : on frappe au paroxysme des ébats. Le suspense n’est pas exempt : Quel traumatisme a pu subir Farid pour paniquer à l’approche de la rue Petit-Saint-Jean ?

A la fin de cette nouvelle, Éric Holder affiche sa volonté de faire table rase des mauvais souvenirs et de « lustrer les bons comme de l’argenterie », manifestant sa gratitude au lecteur pour ce délestage.

Il signe un ouvrage qui laisse cours aux fantasmes de « son semblable, son frère, de son lecteur idéal qui n’a pas vingt ans », habité par le démon de midi. Il y décline l’art d’aimer sous toutes ses postures lascives, dans une exaltation des sens, dans le regard : « Le plaisir y faisait voguer les scintillements ». L’alchimie naît parfois d’une odeur, « d’un effluve, un profumo di donna ». Le sentiment amoureux, la morale sont relégués au second plan pour ces rencontres éphémères, parfois «  un coup au paradis unique », sources de frustrations et de désillusions. La galerie de portraits féminins cède vite la place à un ballet de corps électrisés, ondulant, ployant sous les caresses, les étreintes, les ventres incendiés s’épousant, mêlant désir et plaisir charnel, volupté et sensualité. Les épilogues savent surprendre. Les lieux de rencontre sont variés : dans un café, lors d’une réception dans une galerie (la peinture étant omniprésente) à Roissy ou dans un salon du livre.

Retenons que pour Éric Holder, celui de C., en Seine-et-Marne, est un raout mémorable.

Un recueil capiteux, mâtiné de tendresse.

Nadine Doyen