Monique Charles-Pichon, On habiterait le monde, L’Harmattan Éditions, Collection témoignages poétiques, 176 pages, 18,50 €

Chronique de Lieven Callant

Monique Charles-Pichon, On habiterait le monde, L’Harmattan Éditions, Collection témoignages poétiques, 176 pages, 18,50 €


Sur la couverture, l’illustration réalisée par l’auteur nous montre un couple comme assis au bord du monde et le contemplant comme on contemple un paysage au delà de son horizon. En sur-impression, des mots mais aussi des plis, des rides, des lits de rivières, un entrelacement de chemins ou de racines se partagent l’espace et promènent le regard d’une dimension à une autre. Les teintes vont de l’ocre au jaune et créent une forme de lumière particulière, les deux personnages se soutiennent l’un l’autre dans ce qui ressemble à une lecture ou relecture de leurs vies réciproques.

Ce livre comporte plusieurs types d’écritures puisqu’il propose côte à côte dans la première partie poésie et prose et que la deuxième partie est un journal de bord, un carnet de route. Une longue réflexion de l’auteur sur les manières d’habiter le monde au regard de ses propres expériences personnelles mais aussi au travers de ses lectures diverses de philosophes, psychanalystes, écrivains ou poètes qui ont compté pour elle. L’avant propos tente une brève présentation par l’auteur de ses principales motivations à écrire ce livre.

« Jours et contre-jours » prend comme base de départ un tableau de Bonnard représentant une femme se baignant, une femme imprégnée de lumière, qui n’est pas sans faire songer à l’illustration de la couverture. L’auteur questionne le temps et l’idée d’appartenance à un univers fermé ou non comme peut l’être un tableau grâce à son cadre ou grâce à ce qu’il dévoile ou au contraire dérobe. 

Et moi qu’est-ce qui me fait rater le présent? qu’est-ce qui fait emprise et empreinte? Quand je piste la beauté, ses saillies, ses coups d’éclats, J’ai l’impression d’être dans le vif du présent. Mais qui sait? p37

Les poèmes convoquent le souvenir, la vie, les sensations, l’amour et la mélancolie, le rêve sans doute aussi et proposent aux lecteurs plusieurs manières d’habiter le monde, sans qu’aucune certitude finalement ne vienne jamais bloquer le processus d’être à soi-même, d’être et de devenir au monde. Le poème apparait tel qu’il s’écrit avec sa part de mystères non élucidés et puis sur l’autre page tel qu’il se traduit au jour éveillé. La mort, la fuite du temps, le souvenir tissent ainsi des liens imaginaires qui tentent d’élucider nos pourquoi et de répondre aux angoisses. Au besoin de croire se substitue le désir au contraire de se défaire d’une emprise. Pour répondre à la mélancolie, il y a la résilience qui est une sorte d’acceptation de soi et du chaos.

Chaque poème devient la pièce d’un puzzle à la dérive sur le magma de la vie.

Carnet de route égraine les jours, les semaines, les mois et parfois aussi de courtes absences. Le journal de bord commence le 1 décembre 2016 pour se terminer le 12 octobre 2017 et raconte l’aventure de l’écriture de ce livre et ce qu’il a exigé de l’auteur. Rompre certains mécanismes et schémas de penser, nouer ou dénouer les angoisses liées à l’existence et à la mort, séparer les parts de culpabilités dévorantes et inutiles d’une véritable remise en question de soi, renouer les liens défaits, défaire ceux qui nous privent de choisir ou masquent notre manque de lucidité. 

L’auteur interroge surtout celle qui écrit, ce qu’elle écrit et ce livre en devient le puissant témoignage. Elle revient sur sa vie de petite fille, d’adolescente, de jeune femme, de femme, de vieille femme avec pudeur et sous un angle constructif. Elle analyse donc son sentiment d’emprisonnement et de ses désirs d’en sortir, de vaincre une sorte de destinée, de dépasser un schéma pré-établi. Elle revient sur les choix qui l’ont forgée, sur l’importance de certains auteurs: Roger Caillois, René Char, Shengers ou Michaux et encore Borges et Winnicott. 

« Curieux comme ce carnet m’entraîne à chercher un fil d’Ariane à mon histoire », écrit-elle déjà le 5 décembre consciente qu’écrire est la voie d’excellence pour tenter d’habiter le monde autant de fois que possible au travers de nos multiples vies sans renoncer au désir de les élucider.

« Ce qui m’étonne toujours, inlassablement, ce sont les efforts que l’homme doit faire pour trouver sa place, faire sa niche, s’accoutumer à la cohabitation avec lui-même et avec le monde. Quelles que soient les histoires individuelles, il y a une rugosité, une désadaptation, une part d’étrangeté essentielle. Le monde garde une dimension de labyrinthe incernable et l’homme peut se sentir tellement à part dans la création qu’il se vit comme monstrueux ». 84

Finalement, le titre dans l’utilisation du temps conditionnel: on habiterait le monde, outre le fait qu’il s’interroge sur les manières de l’habiter, ce monde, de s’y arrimer, de s’efforcer à être à soi comme aux autres, il pose aussi la question du choix, d’un choix qui serait éventuellement de ne pas habiter ou de constater contre toute attende qu’on ne l’a pas assez habité. 

Semble se glisser entre les lignes et les discours, entre les raisonnements et les logiques, entre le langage, au delà des mots et des principes éthiques, moraux, philosophiques ou théologiques une voie nouvelle, une voie plus audacieuse, une des voies de l’écriture artistique: la poésie. Reste à déterminer ce que cela signifie, ce à quoi elle invite. Un chantier permanent de soi-même? Peut-on habiter poétiquement le monde? A quel prix (humainement parlant)?

©Lieven Callant

5 réflexions sur “Monique Charles-Pichon, On habiterait le monde, L’Harmattan Éditions, Collection témoignages poétiques, 176 pages, 18,50 €

  1. Cher Monsieur,

    Je vous remercie pour votre lecture attentive. C’est un grand plaisir de voir mon livre commenté, de découvrir comment il vit dans l’esprit des autres. Et de poursuivre ainsi le dialogue, l’interrogation. Votre description de la couverture m’aide à comprendre ce que j’ai voulu suggérer, l’importance de l’autre (de tous les autres, livres y compris) dans nos cheminements enchevêtrés (et dans nos tentatives pour en comprendre quelque chose). La lumière est proche de celle qui baigne les vignes et les murets du Pays des Pierres dorées où je vis, et vous me faites réaliser que je retrouve un peu dans ce pays la lumière qui me sollicite et me charme dans les tableaux de Bonnard.

    Vous voyez à l’œuvre dans ce livre un désir de se défaire des emprises et vous percevez qu’une voie de l’audace, celle de la création, de la poiesis, serait au final entrevue, suggérée.

    C’est vrai que parfois je serais prête à croire à la beauté sans confession. L’univers est beau, surgissant, affranchi. (Affranchi des attentes humaines ? Beau parce qu’affranchi ?) L’expérience du mal, de la souffrance des vivants complique tout ! Quand on réintroduit la vulnérabilité et la précarité des êtres dans le jeu, habiter le monde reste un conditionnel, une incitation à ne pas sacrifier la complexité, les conflits, le tragique, à trouver au jour je jour l’assiette, comme le fait le cavalier ? Chaque jour, percevoir quelque chose de la lumière, de l’ordre du jour; la foison de la vie et des morts, le quotidien. « À chaque fois, la stupeur du réveil : je suis vivante, je suis au monde » .Colette Nys-Mazure.

    Merci encore pour cette chronique Bien à vous Monique Charles-Pichon

    Monique Charles-Pichon 780 chemin de la Ronze 69480 Morancé monicharles@orange.fr 06 84 79 66 43 04 78 43 64 64

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    • Merci, d’avoir lu cette chronique et d’avoir apporté ces précisions. Colette Nys-Mazure, grande dame de la poésie belge fut mon professeur de littérature, c’est elle qui m’a mis sur la voie, les voies de la poésie.

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  2. Je suis heureuse que me soit venue, à propos de votre chronique, une citation de Colette Nys-Mazure qui a joué ce rôle dans votre parcours.
    Une amie m’a offert un jour Singulières et Plurielles. Cette voix qui saisit des femmes dans leur mouvement pour aller dans la vie, qui les fait surgir, est pour moi une constante invitation à percevoir, ressentir et écrire.

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