Narcisse & Cie, d’Antoine de Matharel, Editions Editinter, 2013

Antoine de Matharel

Antoine de Matharel

Davantage qu’un simple recueil, Narcisse &Cie est un livre de vie. Antoine de Matharel est bien connu pour ses critiques, analyses et essais dans la revue de haute tenue Poésie sur Seine. Il en est l’un des plus fidèles et des plus anciens animateurs, souvent au service des autres, avec talent et abnégation. Mais on n’avait jamais eu une vue d’ensemble de son œuvre poétique.

Tout d’abord, une superbe préface de l’écrivain Jean-Paul Giraux : Le poème est en premier lieu une exigence personnelle, ce qui n’exclut nullement le partage. Ou encore : …« évidence du présent », il est toujours, à sa façon souple et variée, un rêve plus réel que la réalité.

Avec cet ouvrage de 272 pages, Antoine de Matharel nous fait découvrir son monde où il joue avec les mots, les amadoue, les triture, les féconde en images réciproques. Le lecteur perçoit plusieurs styles différents (l’on aurait peut-être pu les analyser de manière chronologique si le recueil n’était organisé par thèmes), des mises en pages classiques ou singulières, une appétence tantôt pour la rime, tantôt pour une manière de prose rythmée. Respiration à la verticale ou bonheur d’anaphores, symétries ou contre-points, rudesse ou attachement : l’auteur surprend, défriche, éblouit.

L’humour acidulé, issu d’un échafaud du bonheur, n’est pas absent :

sacrements de mariage

sacrements de divorce

et l’espoir s’éteignait pour des parties de jambes.

Certains de ses textes sont écrits en hommage à (ou : à là…) Eluard, Valéry, Rimbaud, Baudelaire. Leur cosmologie est sienne. Je dirais en outre que Prévert, Desnos ou Fombeure veillent dans le pré :

l’avion qui passe va n’importe où

et c’est pourquoi je l’aime (…)

un scarabée trotte ma plume hésite (…)

un rayon de velours se pose sur mon cou.

Savoir observer en minutie, capter les choses essentielles. Énumération dans une ville, sur une tonalité de William Blake « hold infinity in the palm of your hand » pour achever, en miroir, son propre poème par : une ville enfermée dans le creux de ma main. Ou ce texte, précédé par une citation d’Érasme et de Nietzsche, en rupture avec une sagesse communément admise :

quand on devient aveugle à force d’être sage

quand l’avenir ressemble aux murs de la prison (…)

quand le temps moribond modèle à son image

l’espérance qui meurt à la morte-saison (…).

Ecriture engagée parfois :

le jour où retentit la guerre (…)

on crevait les yeux des étoiles.

Sans oublier une tendresse omniprésente aux accents lamartiniens :

adieu vives journées poussières d’apparence

vos yeux n’ont plus pouvoir de me vêtir d’aurore

ni d’émouvoir les miens que vous allez fermer.

L’un des plus beaux poèmes est le tout dernier, comme si l’écrivain voulait résumer ses souvenirs en une seule page d’Autoportrait :

parce que je suis vêtu

de draperies de deuil et d’ombre (…)

parce qu’un oiseau d’espoir

sortit de ma bouche et jamais ne revint (…)

parce qu’il n’y a plus la moindre raison

surtout de devenir autre.

Oui, cet important ouvrage est avant tout un kaléidoscope de vie. « Ce que tu écris  est ce qui te ressemble le mieux », dit un proverbe arabe. Certes dans le « connais-toi toi-même », Antoine de Matharel est à notre sens, malgré tout, davantage Sisyphe que Narcisse : 

à quoi bon penses-tu la force des tempêtes

à quoi bon ces rochers pétris entre tes mains

quel accueil cherchais-tu du fond de ta mémoire

quel imprévu refuge aux sources du matin …

Un Sisyphe introspectif, en quelque sorte, non seulement dans le vain combat de l’existence mais dans l’introspection, nous livrant doutes et sueurs, amour et masques.

©Claude LUEZIOR