Interview de Claire Fourier par Nadine Doyen

RENTRÉE LITTÉRAIRE – SEPTEMBRE 2015



 Interview de Claire Fourier par Nadine Doyen

 Dans les coulisses de son roman: Il n’est feu que de grand bois, éditions La Différence, septembre 2015.

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Votre roman s’inscrivant dans la lignée de Métro ciel, pourriez-vous rappeler le sujet pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ?

Dans Métro Ciel, une femme racontait, en une seule lettre, à un amant de longue date, une rencontre dans le métro suivie d’une journée érotique et lumineuse, journée sans lendemain.

Il n’est feu que de grand bois est un roman d’amour épistolaire. Près de 80 lettres féminines, un peu plus de 10 lettres masculines. Un homme, forestier dans les Vosges ; une femme, historienne du mobilier à Paris. Chacun à une extrémité de la chaîne du bois. Chacun marié, chacun âgé d’un demi-siècle. Suite à une rencontre fulgurante, une correspondance avec des hauts, des bas, comme la vie qui est un mouvement ondulatoire.

Rolf est un homme d’extérieur, sillonnant la forêt, Alma est une femme d’intérieur, sillonnant les musées ; il sont différents, mais complémentaires. Ils ont la passion du bois et se plaisent à parler à la fois amour et métier.

Le choix d’un récit épistolaire s’est-il imposé d’emblée ? 

« Longtemps je n’ai écrit que des lettres », tel est le titre d’un chapitre dans un livre précédent et, en effet, j’ai l’impression d’avoir passé ma vie à écrire des lettres (pour le plaisir, et aussi à cause d’une existence itinérante). Il fallait donc bien que j’en vienne à un roman par lettres.

Puis le mode épistolaire autorise une grande spontanéité dans l’expression des sentiments. J’aime écrire en direct, sans code, ayant pris d’emblée le parti de la subjectivité, ce pourquoi la forme épistolaire me convient.

Je crois savoir que  pour les lettres de Rolf vous avez hésité à laisser le texte avec ses fautes ou non ? 

Rolf est un self-made man. Il n’est pas allé à l’école. Il fait des fautes d’orthographe dont, amoureuse, Alma s’enchante. Au risque de surprendre le lecteur, les fautes sont laissées dans le texte pour garder aux lettres de Rolf leur naturel et montrer que l’amour d’Alma dépasse tout ça.

Elle est séduite par un homme sain, une « nature » qui évolue dans la nature au rythme des saisons, des années. Il devient pour elle un arbre de vie. Tandis qu’elle incarne pour lui un gracieux roseau pensant.

La femme intuitive et cultivée, fantaisiste et sage, s’incline devant un homme charpenté qui n’est pas policé, qui a de profondes racines et, plus que tout autre, de la « branche ».

Tous deux sont pleins de vitalité et se sentent mus par un amour très naturel et reliés à quelque chose d’ancestral qui a traversé des millions d’années pour venir jusqu’à eux. Peu importe alors à Alma que Rolf soit maladroit dans ses mots.

Votre roman peut se lire comme une succession de tableaux.

C’est en effet, via les lettres, une succession de tableaux, de scènes amoureuses (aussi de désamour, de colère, de réconciliation !) Je voulais qu’à travers leur correspondance, on « voie » l’homme et la femme face à face.

Par ailleurs, Alma, historienne du mobilier, a étudié toutes les formes de l’art et goûte la peinture. Elle évoque naturellement des tableaux au fil de ses lettres.

D’où vous vient votre passion pour Caspar David Friedrich ?

Un romantisme ? Un mysticisme celtique ? Une parenté avec la mélancolie des paysages bretons de mon enfance ? Le goût de Dieu (ou de son absence) ? Disons, un sens aigu des forces cosmiques et mythiques.

De même, votre héroïne porte le nom d’Alma, en référence à un musicien  Écoutez souvent  les airs que vous citez ? Les avez-vous écoutés pendant l’écriture du roman ?

La mère de mon héroïne aimait Mahler et a nommé sa fille Alma en hommage à l’épouse du compositeur. J’écoute de la musique avant, après le travail, jamais pendant. L’écoute parasite ma concentration. Le silence règne pendant le travail. D’où la nécessité de la solitude.

Vous évoquez un  mobilier précis,  à quel style va  votre préférence ?

J’ai un faible pour l’Art déco parce qu’il est rigoureux et fonctionnel. J’aime aussi les petits meubles si travaillés des ébénistes du XVIIIe siècle. Les courbes de l’art nouveau me plaisent pour leur grâce et l’imagination qu’elles supposent. Je suis surtout admirative devant la marqueterie et le travail méticuleux qu’elle suppose.

Votre connaissance du vocabulaire technique sur le bois est impressionnante. Avez-vous visité des scieries ou vous êtes documentée  par le net ?

Comme pour mes récits historiques, j’ai consulté des documents. Cette fois, sur les métiers du bois. Livres, internet, films, tout ce que je trouvais. Je faisais feu de tout bois, c’est le cas de dire.

La description du bord de mer correspond-t-elle pour vous à un lieu précis ?

Disons que c’est un lieu imaginaire, un composite des endroits où j’ai vécu, que j’ai aimés (littoral nordique surtout).

On vous devine aussi quand vous évoquez le jardin de l’héroïne et sa passion pour les roses ?

Je possède un petit jardin rempli de rosiers anciens  qui sont en fleur au mois de juin. Je n’ai pas eu besoin d’inventer pour parler de roses.

Au fond, j’écris au plus près de la réalité, – ma réalité, celle de tout être humain. Et ce pourquoi  mes lecteur se plaisent (disent-ils) dans mon univers : c’est le leur.

Votre héroïne, Alma, a une autre passion : la mode, « un des arts les plus inventifs » qui évite « de s’habiller en mémé ». « Respecter l’œil des autres fait partie de l élégance ».Vous aussi, vous partagez cet intérêt pour la mode. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez tenu à défendre Galliano ?

Le génie ! (lié au  mélange détonant du sang espagnol de Gibraltar et du nonsense britannique ?) Galliano est le Rimbaud de la mode. Je l’ai écrit dans un long article publié par la revue Supérieur inconnu.

Une des dernières lettres d’Alma évoque la danse : «Le tango chavire ». Pensez-vous comme votre héroïne que « La plus belle danse, c’est le tango » ? 

Rolf et Alma, dans une guinguette, ont esquissé un tango. Le tango argentin est la danse plus sensuelle qui soit et la plus riche de sens. De là que j’évoque dans le livre plusieurs films où il est question du tango.

On note beaucoup de mots ou expressions en italiques. Par exemple :Page 80 : « C’est le pays de la douce loi… ». Page 81 : « Tu débordes. » Pourquoi ces choix ?

L’italique permet de souligner plus qu’un mot, son sens.

On relève aussi votre propension à indiquer l’étymologie des mots. Est-ce un moyen détourné de rappeler que le latin et le grec ne nuisent ? Vous n’hésitez pas à introduire aussi de l’anglais : « cosy, sweet home », « Work in progress » ?

J’utilise les expressions (assez courantes, au demeurant) qui servent au mieux ce que j’ai à dire.

Dans les lettres, votre héroïne fait un copieux usage des PS. Est-ce une façon d’attirer plus l’attention de son interlocuteur ?

Alma a, comme moi, comme nous tous, l’esprit en escalier. On écrit, on a oublié une chose, on la note en post-scriptum. Il est vrai que j’utilise personnellement beaucoup le PS.

Vous jonglez avec les références littéraires. Votre  name dropping : Baudrillard, Breton, Stendhal, Tolstoï, Bachelard, Kierkegaard, Claudel, Diderot, Montherlant, Yeats, Milton, témoigne d’une culture très éclectique. Consignez-vous toutes vos  citations dans un carnet, au fur à mesure de vos lectures ? Avez-vous d’autres figures tutélaires ?

Il me faut citer D.H. Lawrence. J’ai lu autrefois les trois versions de Lady Chatterley et l’homme des bois, mais aussi à peu près tout ce que Lawrence a écrit et ce qui fut écrit sur lui. Cela m’a marquée. On peut du reste aborder (mais aborder seulement) Il n’est feu que de grand bois comme une version épistolaire de Lady Chatterley.

Vous avez une formule choc : « L’important : s’entre-féconder » (page 60) Vous qui êtes sur Facebook, pensez-vous que les échanges sur réseaux favorisent ce type d’enrichissement ?

Non. Les échanges FB sont superficiels. Rapides comme une balle de tennis, ils sont parfois excitants pour l’esprit et obligent à réfléchir, d’où leur intérêt. Et j’en fais du reste un exercice de discipline mentale. Mais s’entre-féconder, c’est autre chose ; cela va plus loin, c’est beaucoup plus fort, cela exige de l’intimité et le don de soi.

Que souhaitez-vous que l’on retienne de Il n’est feu que de grand bois ?

Chaque lecteur prend dans un livre ce dont il a besoin. C’est l’intérêt de la littérature. L’auteur, lui, (s’il n’est pas un « fabricant ») écrit pour exprimer une exigence intérieure. Le sens du livre est donc, à mes yeux, celui-ci : l’amour vécu honnêtement est la plus noble chose. L’amour véritable est charnel et spirituel à la fois. L’amour est chose dansante et qui métamorphose les amants. L’amour heureux est impossible, mais viser l’amour heureux est possible, et il y a du bonheur dans cette visée. Le monde moderne brise l’être humain en l’amenant à évoluer hors-sol ; l’amour authentique peut sauver l’être humain en le reliant aux grands rythmes cosmiques, en le connectant à la nature. L’amour fou peut devenir tendresse chaste. L’amour supérieur fait feu de tout bois.

 

→Il n’est feu que de grand bois, éditions La Différence, septembre 2015.

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978-2-7291-2179-2