Entretien avec Serge Joncour à l’occasion de la parution de CHIEN-LOUP, élu 2ème au palmarès annuel de Livres hebdo, des romans français de la rentrée préférés des libraires.
Félicitations pour cette reconnaissance largement méritée.
Éditions Flammarion Rentrée littéraire 2018 Août 2018
Propos recueillis par Nadine Doyen
Dans une interview, Pierre Lemaître disait avoir mis 18 mois et 2500 heures pour achever Les couleurs de l’incendie, vous voilà au rendez-vous après deux ans. Avez-vous comptabilisé le temps que CHIEN-LOUP a nécessité et avez-vous travaillé avec la même cadence? Le titre s’est-il imposé comme une évidence ?
Serge Joncour: Je l’ai commencé il y a 25 ans. Ce titre, s’est imposé, de lui-même.
L’écrivain national déclare ne « jamais écrire dans les cafés »,ayant à assurer le « service après vente » des précédents romans à travers la France, pouvez-vous travailler dans un train, comme David Foenkinos ?
Serge Joncour: Quand j’écris un roman j’y pense sans arrêt, obsessionnellement. Je ne pense qu’à ça, ou presque. Je prends donc des notes et y travaille en permanence.
Vous avez commis un roman ample, touffu, ambitieux, d’un beau tonnage. Avez-vous dû, comme pour le précédent, vous résoudre à rogner, laisser des pages de côté ?
Serge Joncour : Oui j’enlève toujours à la fin.
Pour vous « écrire, c’est comme une traversée ».
Comment fut-elle pour ce nouveau roman ?
Serge Joncour : Agitée, car il n’était pas toujours simple d’écrire en même temps deux histoires différentes, se déroulant sur deux époques. C’est en somme deux romans, en un seul.
Vous dites ne pas faire de plan et suivre vos personnages, une fois lancé ?
Ne craignez -vous pas d’être vampirisé par l’un ou plusieurs d’entre eux ?
Serge Joncour : Non, c’est comme dans la vie. Il faut doser ses relations, avec les uns et les autres, et repousser ceux qui deviennent envahissants, aussi bien que faire parler ceux qui se taisent. Il faut être assez directif et souple à la fois avec ses personnages. Les respecter cela dit.
Le bandeau représentant un détail d’un tableau de Félix Vallotton , intitulé La malade surprend. La maladie de Lise est certes évoquée mais assez discrètement. Avez-vous participé au choix ?
Serge Joncour: Je participe de loin à ces choses- là, car cela correspond à la période où il s’agit avant tout de finaliser son texte plus que la couverture du livre. Mais cette image m’a plu.
Philippe Jaccottet déclare dans des notes de carnet : « La difficulté n’est pas d’écrire, mais de vivre de telle manière que l’écrit naisse naturellement ». Cette assertion fait écho à l’écrivain national qui répond à une lectrice : « Il faut donc vivre avant d’écrire ? Comment/ Dans quelle mesure votre vécu a -t-il irrigué Chien Loup ?
Serge Joncour : En tout. Je suis toujours bien caché derrière mes personnages, hommes ou femmes, je leur donne ou leur prête beaucoup de moi -même, sans que cela se voie. L’important c’est qu’ils existent, qu’ils aient l’air d’exister pour de vrai.
Vous avez affirmé dans un tweet du 30 mai 2018 :
« Les écrivains sont des paysagistes d’atelier. J’en connais peu qui écrivent au coeur même des forêts. ». Or le paysage de grands espaces, à ciel ouvert comme chez les « « nature writers » tient la vedette. Vous qui dépeignez la nature avec précision, que ce soit la forêt de Marzy dans L’écrivain national ou celle du Lot dans Chien-Loup, ce village d’Orcières …, avez-vous des photos sous les yeux ou ce décor est-il suffisamment familier pour qu’il soit gravé en vous ?
Avez-vous écrit ce roman plus à Paris que dans votre fief du Lot ?
Serge Joncour : Je vais dans ces collines deux ou trois fois par an. Et quand j’y suis, je n’en sors pas. Parfois, j’y retournais, pour me souvenir des bruits, des sons que l’on entend en fonction de l’heure, des animaux qu’on voit passer la nuit. C’est un bain de silence aussi. Et quand je suis en ville, écrire à propos de ces décors, me permet de m’y replonger. Comme en rêve. Un rêve dirigé.
Pour Woody Allen : « quand le coeur dirige la tête, le désordre suit », un tel dérèglement se retrouve chez vos protagonistes. On pense à Dora et l’écrivain national et dans Chien-Loup, c’est Joséphine qui ressent cette même attraction incontrôlable, cette aimantation qui la dirige vers le dompteur. Au-delà du désir, vous abordez la question d’aimer quand on a perdu son conjoint, tout en déclarant : « Toutefois, l’amour n’est jamais simple… ». Vivre à l’écart semble mieux réussir à Lise et Franck !
Serge Joncour :Je ne sais pas tout de mes personnages. Ils ont leur vie , leur intimité. Je suis pudique. Je les laisse vivre en dehors de moi, dès lors je ne suis pas le mieux placé pour répondre à ce genre de question. Je sais juste que dans la vie, on a beaucoup de certitudes par rapport à l’amour, et que la vie, d’elle- même se charge de nous en faire changer !!
Vous avez mis en confrontation animaux et humains, ce qui rappelle la scène de REPOSE-TOI SUR MOI dans laquelle Ludovic a
« méchamment bigné » le chien de Kobzham, « l’a salement amoché ». Le sang coule déjà.
On dirait que la violence qui était tapie explose dans Chien-Loup.
Serge Joncour : Ah peut -être. Mais les animaux, les chiens en particulier peuvent être violents. Quand ils chassent, ou attaquent, quand ils se jettent sur les vélos à la campagne; souvent je vois cela, ils se jettent sur les vélos, alors qu’au fond, ce sont des chiens sympas. Mais par moment je ne sais pas ce qui leur prend ! Les chats c’est pareil, quand je les vois se battre, entre eux, ou bien jouer avec un mulot, avant de le croquer. La violence est en eux, tapie, un peu comme un animal, en nous…
Ici Chien-Loup se taille la part du lion. Mais la présence du chien était déjà notée dans L’amour sans le faire, avec Rix . Son ambivalence déjà soulignée dans Repose-toi sur moi avec l’épagneul : « sous sa mine joueuse et sa bonhomie ce chien-là n’attendait rien d’autre que la permission de tuer. »
Vous montrez aussi dans vos tweets votre intérêt pour la cause animale, quelle est votre proximité avec les chiens ?
Serge Joncour : J’en connais plein, qui sont à proprement parler des copains. Certains des amis. Sans compter les animaux que j’ai eus. Mais j’aime bien savoir que tel ou tel chien, là-bas, vit sa vie, et dans trois mois je le retrouverai, un chien de la famille, ou bien d’un voisin, et l’on repartira pour des heures de balade. J’ai beaucoup de copains-chiens.
Dans le roman précédent Ludovic suit un documentaire animalier.
Votre idée de mettre des félins en scène était-elle déjà en germe ?
Serge Joncour : Non, mais je tenais à montrer que les animaux sont très présents, y compris en ville. Paris vient de découvrir qu’il y avait des rats, un peu partout en bas, en même temps qu’il y a des corneilles et des goélands, j’ai toujours été attentif à cela, d’autant que je vois moins de moineaux et de pigeons, mais en ville j’entends souvent les corneilles, il y a toute une composition animale qui se redistribue sans cesse. J’ai toujours eu, même en ville donc, la sensation de vivre dans un monde animalier, peut-être même d’habiter un peu leur planète, car sur cette terre, les animaux sont bien plus nombreux que les humains, et bien mieux représentés.
Merci infiniment pour avoir pris le temps de nous offrir ces réflexions sur la genèse de CHIEN-LOUP d’autant que vous avez un emploi du temps surbooké avec les télés, la presse, les salons ( Nancy, Manosque, Le Mans, St Étienne…), les rencontres en librairies et médiathèques.
Bon vent à CHIEN-LOUP qui caracole en tête des ventes, roman sauvagement addictif, époustouflant, envoûtant, prégnant. Virtuose.
Du suspense. L’incontournable de la rentrée à LIRE absolument !
Des phrases cultes :
« Il y a des paysages qui sont comme des visages, à peine on les découvre qu’on s’y reconnaît. »
« Si l’on dit des voyages qu’ils forment la jeunesse, les lectures font bien plus, elles apprennent à envisager le monde depuis mille points de vue dispersés. »
PS : Lire sur le site de la revue Traversées les chroniques de Fleitour et de Nadine Doyen sur CHIEN-LOUP de Serge Joncour.