WILLIAM CLIFF – Matières fermées – Poème (ED. La Table Ronde, 250 pp.)

Chronique de Xavier BordesI23589.jpg

WILLIAM CLIFF – Matières fermées – Poème (ED. La Table Ronde, 250 pp.)


J’ai oublié quel essayiste disait que, périodiquement, la poésie intégrait et poétisait de nouveaux pans de prose et s’en saisissait comme prétexte au rêve et à l’émotion. C’est avec bonheur ce qu’à travers un roman vital très singulier, formé exclusivement de sonnets, nous offre le poète belge William Cliff, dans un épais recueil dont le ton ne ressemble à personne, à la fois local, humble sans être misérabiliste, plein de contrastes noués aux racines de sa vie la plus « réelle », pour ainsi dire survolée en rase-mottes. D’abord vaguement choqué, on est très vite captivé par ce livre dont l’étrange (et pourrait on dire, parfois sordide) « splendeur » ne paye pas de mine. Et j’aime qu’un poète soit ainsi capable de déterrer le réel de sa réalité, pour en construire un ouvrage en pointillé de sonnets, dont chaque page donne à penser par l’intensité de ce qu’elle présente d’humainement quotidien, néanmoins, par le regard poétique, complètement arraché à la banalité, sans pour autant en être dénaturé.

William Cliff ici, par son état d’esprit spécifiquement, et je dirai extrémistement, admirablement belge, donne à la langue française une sorte de monolithe, une pyramide dont chaque pierre porte une marque de son époque et de ce qu’une vie de poète aventureux, errant, souffrant, heureux parfois, créateur, furieux, romantique, lucide, croyant, etc… peut apporter aux autres quand elle se fait langage, et langage paradoxalement formalisé « à l’ancienne » tout en demeurant absolument contemporain.

Toutes les interrogations, les culpabilités, les tendresses, les jeunesses, les drames plus ou moins aigus, d’un poète hors de la Cité et, disons, des lois, – comme il se doit, au demeurant, selon Platon – se donnent en témoignage avec force et nous contaminent de leur expérience presque mystique dans son côté matériel et « terre-à-terre » comme seule la vraie poésie sait l’être… Je parlais de « paradoxe », et le moindre paradoxe n’est pas que ce livre, pareil à un collier de cristaux d’ambre où les instants marquants d’une existence sont enfermés avec décors et personnages souvent colorés en camaïeu, que l’on croirait encore vivants par l’illusion de notre rêve, par l’élan du coeur qu’on leur prête lorsqu’on le sent battre un moment pour eux ; que ce recueil, disais-je, titré « Matières fermées », se laisse déchiffrer « à livre (on ne peut plus) ouvert », comme si rien ne pouvait faire obstacle au regard, comme s’il était tramé de la limpidité d’une confession sans retenue, comme s’il était en bloc et en détails poli facette après facette dans un modeste cristal de roche que l’art même du poète amène à l’éclat d’un diamant. William Cliff est une grande voix de la littérature, de la poésie wallonne. À lui seul il affirme que la langue française qui nous est chère et commune recèle encore, pour les écrivains que ne laminent pas la mode du « culturel » prétendument « d’avant-garde » (et souvent gonflé aussi artificiellement qu’une baudruche), des possibilités créatrices d’une intense nouveauté. Oui, William Cliff à sa façon, mérite d’être classé parmi les poètes actuels du premier rang.

© Xavier Bordes