William Cliff – Des destins – (Ed. La Table ronde – 345 p.)

Une chronique de Xavier Bordes

William Cliff – Des destins – (Ed. La Table ronde – 345 p.)


Voici que pour ses quatre-vingt-deux ans, le poète W. Cliff mainte fois couronné (Prix Goncourt de poésie en 2015 notamment) nous délivre un épais volume de poèmes, composé de vers en forme de sonnets désinvoltes, souvent rimés, sous-tendus d’un humour observateur et plein d’humanité, qui a pour titre « Les destins ». L’ensemble compose une sorte de roman, où s’entrecroisent en effet les fragments de destinées des personnes auxquelles le poète a eu à faire, pour toutes sortes de raisons qu’on découvrira. Cet ensemble de destins trace en filigrane une sorte de biographie de l’auteur, pleine de fantaisie et de personnages comment dire, euh, « hétéroclites » ainsi que les rencontres variées que peut lui avoir ménagées une vie plutôt longue et riche. Le poète y mêle à parts égales le sérieux et la légèreté, l’abîme existentiel et la superficialité de l’anecdote, dans sa manière savoureuse et originale, immédiatement reconnaissable. Sonnets aisés à lire, pointillés poétiques de moments où sont saisis à l’état brut des éclairs de réalité. Une écriture qui, de même que la forme sonnet, souvent semble l’apanage de l’âge et correspondre à des écrivains qui, n’ayant plus rien à prouver, s’adonnent à une liberté d’écrire en quelque sorte printanière, associée à une rigueur formelle qui solidifie les poèmes avec une aisance due à une longue pratique. Traitant ainsi, à la manière de la vie elle-même, du grave et du léger, du ferme et de l’évanescent, en les déployant sur le même plan à travers le livre. J’ai particulièrement apprécié les sonnets des pages 261 à 270 qui racontent « l’Avenir », histoire d’un bateau qui me semble fort bien symboliser le périple de la navigation poétique en elle-même, l’écrit figurant, sous forme de leurre, le vaisseau du « logos ». Je souhaite au lecteur d’éprouver la même jubilation qu’on sent avoir été celle de l’auteur à composer ce massif – néanmoins subtil et facile d’approche – volume poétique, qui feint d’être (et qui est peut-être) le résumé secrètement testamentaire d’une vie distribuée comme si c’était une année, en presque un poème par jour !…

                                               ©Xavier Bordes    Paris, 1 mars 2023.

William Cliff – Le Temps, suivi de Notre-Dame – poésie (Le Table Ronde, éditeur.)

Chronique de Xavier Bordes

William Cliff – Le Temps, suivi de Notre-Damepoésie (Le Table Ronde, éditeur.)


La poésie de William Cliff est d’une configuration particulière : d’une part elle joue avec la versification classique, plus ou moins rythmée et rimée, jeu subtil et souvent assorti d’humour. Sa seconde caractéristique est que cette poésie renoue avec l’ancienne tradition narrative, que les poèmes monnaient en une succession de stations, un itinéraire, ici celui du temps d’une vie décliné au JE. Car William Cliff n’hésite pas à assumer la première personne. Il raconte un passé toujours présent grâce au langage, dont il empoigne fermement la restructuration mémorielle, avec une note de fine distanciation, comme s’il n’était pas dupe de soi tout en se réenchantant de consigner ces moments de son existence avec un côté pittoresque, vigoureux, voire picaresque parfois, qui témoigne d’une grande attention aux gens qu’il a pu rencontrer, et qui ont participé à ses aventures, en particulier amoureuses d’amours homosexuelles. Pour Cliff le corps humain est important. Plus généralement, il faut donc aimer, non sans en souffrir, intensément d’être incarné ici-bas, pour être capable de saisir en quelques traits essentiels les protagonistes qui accompagnent des moments vécus dont les poèmes accusent le relief. Par certains côtés, je rattacherais volontiers cet humour par amour, à la fois volubile et pudique, d‘une désarmante simplicité dans le trait, à celui qui animait Joe Bousquet dans Le Médisant par bonté, ou encore aux tableaux – mutatis mutandis – pleins de vitalité populaire, d’un Breughel l’Ancien. Que William Cliff mette tout son livre sous l’égide d’un rondeau de Froissart (« On doit le temps ainsi prendre qu’il vient »), célèbre pour ses chroniques expressives, colorées, parfois truculentes, un Froissart également poète qui, rappelons-le, vint achever sa vie en Belgique, voilà qui est un signe supplémentaire de l’état d’esprit de notre auteur. Le livre se clôt sur le poème Notre-Dame, d’une touchante humanité, qui place rétrospectivement le recueil entier dans la perspective intemporelle d’une poésie qui ferait, par la vivacité suggestive de ses récits, par sa foi en la communauté des humains, échec au temps. Façon pour le poète, comme nous tous voué à une inéluctable fin, d’entrer par la porte du langage dans une forme d’éternité verticale…

William Cliff conte avec le coeur, et c’est ce qui nous rend intimes, consanguins avec sa poésie.

                                                                                            © Xavier Bordes

WILLIAM CLIFF – Matières fermées – Poème (ED. La Table Ronde, 250 pp.)

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WILLIAM CLIFF – Matières fermées – Poème (ED. La Table Ronde, 250 pp.)


J’ai oublié quel essayiste disait que, périodiquement, la poésie intégrait et poétisait de nouveaux pans de prose et s’en saisissait comme prétexte au rêve et à l’émotion. C’est avec bonheur ce qu’à travers un roman vital très singulier, formé exclusivement de sonnets, nous offre le poète belge William Cliff, dans un épais recueil dont le ton ne ressemble à personne, à la fois local, humble sans être misérabiliste, plein de contrastes noués aux racines de sa vie la plus « réelle », pour ainsi dire survolée en rase-mottes. D’abord vaguement choqué, on est très vite captivé par ce livre dont l’étrange (et pourrait on dire, parfois sordide) « splendeur » ne paye pas de mine. Et j’aime qu’un poète soit ainsi capable de déterrer le réel de sa réalité, pour en construire un ouvrage en pointillé de sonnets, dont chaque page donne à penser par l’intensité de ce qu’elle présente d’humainement quotidien, néanmoins, par le regard poétique, complètement arraché à la banalité, sans pour autant en être dénaturé.

William Cliff ici, par son état d’esprit spécifiquement, et je dirai extrémistement, admirablement belge, donne à la langue française une sorte de monolithe, une pyramide dont chaque pierre porte une marque de son époque et de ce qu’une vie de poète aventureux, errant, souffrant, heureux parfois, créateur, furieux, romantique, lucide, croyant, etc… peut apporter aux autres quand elle se fait langage, et langage paradoxalement formalisé « à l’ancienne » tout en demeurant absolument contemporain.

Toutes les interrogations, les culpabilités, les tendresses, les jeunesses, les drames plus ou moins aigus, d’un poète hors de la Cité et, disons, des lois, – comme il se doit, au demeurant, selon Platon – se donnent en témoignage avec force et nous contaminent de leur expérience presque mystique dans son côté matériel et « terre-à-terre » comme seule la vraie poésie sait l’être… Je parlais de « paradoxe », et le moindre paradoxe n’est pas que ce livre, pareil à un collier de cristaux d’ambre où les instants marquants d’une existence sont enfermés avec décors et personnages souvent colorés en camaïeu, que l’on croirait encore vivants par l’illusion de notre rêve, par l’élan du coeur qu’on leur prête lorsqu’on le sent battre un moment pour eux ; que ce recueil, disais-je, titré « Matières fermées », se laisse déchiffrer « à livre (on ne peut plus) ouvert », comme si rien ne pouvait faire obstacle au regard, comme s’il était tramé de la limpidité d’une confession sans retenue, comme s’il était en bloc et en détails poli facette après facette dans un modeste cristal de roche que l’art même du poète amène à l’éclat d’un diamant. William Cliff est une grande voix de la littérature, de la poésie wallonne. À lui seul il affirme que la langue française qui nous est chère et commune recèle encore, pour les écrivains que ne laminent pas la mode du « culturel » prétendument « d’avant-garde » (et souvent gonflé aussi artificiellement qu’une baudruche), des possibilités créatrices d’une intense nouveauté. Oui, William Cliff à sa façon, mérite d’être classé parmi les poètes actuels du premier rang.

© Xavier Bordes

La Lisibilité de la Traduction, textes réunis par Christophe Gutbub

  • La Lisibilité de la Traduction, textes réunis par Christophe Gutbub, Pur Éditions, Presses Universitaires de Rennes, collection La Licorne, publié avec le soutien de l’université de Poitiers

1415024664Format : 15,5 x 21 cm
Nombre de pages : 184

ISBN : 978-2-7535-3466-7

Disponibilité : en librairie
Prix : 17,00 €

 

 

La présentation du livre:

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Les auteurs:

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Le sommaire:

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L’introduction:

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