Une chronique de Claude Luezior
Anne, une mort choisie, de Jean Mahler, Éditions Ouvertures, Le Mont-sur-Lausanne, 2018
__________________________________________________________________
Cet opuscule de 102 pages, issu d’une relation immense, émeut tout autant qu’il déstabilise. C’est que l’histoire est vécue, fondamentale, dans le sens où elle questionne nos fibres les plus vraies, nos choix d’êtres humains, notre relation face à la vie.
Anne, une superbe jeune femme d’une quarantaine d’années, est tragiquement atteinte d’un cancer dont les limites ont dépassé les possibilités thérapeutiques de la médecine. Même palliative, car elle est allergique à la morphine et ses dérivés. Plutôt que l’envahissement irrémédiable du crabe, la déchéance, elle opte pour une fin en pleine lumière. Non par un geste impulsif ou désespéré, mais en toute sérénité, en toute légalité sur ses rives helvétiques, s’entourant de l’amour de son cercle le plus intime, celui de ses propres parents.
La mort est ainsi choisie en dignité, de manière grave mais sans fanfaronnade ni éclaboussure, sans dogme ni militantisme pour une cause qui la dépasserait. Humble devant les secrets mais également les beautés de la vie, elle rejoindra les étoiles par son geste ultime, mais aussi par celui qui la dispersera, poignée de cendres dans le cosmos. Larmes de sa mère à son chevet, telle une pietà, dignité et compassion de son père.
Oui, l’histoire est prenante. Au-delà de son identité propre, elle interroge chacun d’entre-nous. Elle met en phase nos propres sensibilités sur ces cheminements que nous suivons, les uns et les autres, bon an, mal an, jusqu’aux carrefours où nous sommes parfois confrontés à des dilemmes cruciaux.
Oui, ce livre est tragique, profond. Est-il catharsis de la souffrance ? Les éditions Ouvertures nous offrent une piste :
seul un but réaliste et spirituel peut donner un sens à notre monde, ainsi qu’à notre existence, car toutes et tous, nous sommes assoiffés d’authenticité et de vérité. Risquons donc cette quête d’un amour véritable, le seul qui puisse nous faire grandir en devenant totalement nous-mêmes.
Car cette quête, sans prosélytisme aucun, marque le lecteur par son dépouillement, une sorte d’austérité huguenote, une simplicité, j’allais dire une candeur de bon aloi. Car finalement, malgré son dénouement dramatique, ce témoignage n’est pas morbide. Il n’est nullement scarifié par des doutes térébrants ou des déchirement emphatiques. Ce livre de Jean Mahler, dont on connaît les recherches philosophiques et spirituelles, est trempé dans l’amour. Il est finalement et de manière paradoxale, plein de vie : avant l’instant ultime,
Anne se maquille une dernière fois. Un jour elle m’avait lu une phrase d’un moine bouddhiste qui disait que lorsqu’une femme se maquille, elle participe à l’embellissement du monde.
Lire ces lignes donne le frisson. Car elles nous interrogent par une sorte d’immédiateté.
La fleur s’est éteinte, l’âme, cette part de Dieu en nous, demeure. Comme sur la couverture du livre, restent le souvenir, la trame de l’existence et surtout un soleil. Immense, indélébile. Je voudrais conserver intact le sentiment de cette urgence liées à la précarité de la vie et à son mystère, nous confie le penseur. Quand je pense à Anne, j’ai l’image d’une personne vivante, nous confie le père.
Lire cette centaine de pages. Les relire toutes. Intensément.