Girondine, de Rome Deguergue Photos de Patrice Yan Le Flohic Éd. Traversées, 2018, Virton (Belgique)

Chronique de Claude Luezior

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Girondine, de Rome Deguergue

Photos de Patrice Yan Le Flohic

Éd. Traversées, 2018, Virton (Belgique)

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Vous avez dit narratoème ? À la lisière du vertical et de l’horizontal, sur cette tangente où le dire hésite entre les vertiges du rythme et l’onctuosité de la phrase ? Où les mots s’amalgament en joyeuse alchimie ou étranges épousailles, où brillent les sables aurifères du langage. Vous voici dans le monde de Rome Deguergue, dans les rêves friands de la femme arlequine (1). Que l’on connaissait pour ses Ex-Odes (2) et ses pas furtifs dans la couleur du temps (3).

Bref, je vous explique : pour entrer dans les songes polyglottes et polyrythmiques d’une proménadologie réflexive (mais oui, pourquoi le poète n’aurait-il  toutes les audaces ?), prenez la main de Dali, malaxez abscisses et ordonnées, abécédaires et dictionnaires, latitudes et longitudes, sourire désétoilé et engeigneurs de guerre : du coup, vous serez en géopoésie. Non, vous n’y êtes pas encore ? Mais voyons donc !  Accrochez-vous à une yole, un chrisocale ou à un vanneau a-chimérique. Et si votre Petit Robert est au bord de la crise nerveuse, donnez-lui un plein-bol de vapeurs fugitives (4). Mieux que les gouttes d’urgence ou les griffes du diable !

En prime je vous donne un coup de pouce, car la chose est d’importance. Deguergue nous explique en fin de volume et en une langue parfaitement cartésienne (tel C.-F. Ramuz, dont la prose si étrange contrastait avec les lettres à son éditeur) que la vie est un mascaret où se mêlent en flux et reflux magiques les eaux des marées et celles de sa Gironde bien-aimée. Un peu comme les accents de la prose se marient aux scansions d’un poème.

Elle admet bien (mais du bout des lèvres, me semble-t-il) que l’architecture, cela s’apprend et, citant Patrice Bollon, que ce n’est pas uniquement l’amour qui sauvera la planète (hélas !). L’on sent néanmoins à tout moment, à chaque fibre, sur toute page feuilletée, que son décodage d’une vérité universelle déborde largement du chaudron tel qu’on nous l’a enseigné. En d’autres termes (vous voyez comme je suis gentil de vous expliquer…) que la science est trop sérieuse pour la laisser aux scientifiques. Sa captation de la vraie vie bouillonne en une géomobilité active (eh oui, là, je sens que vos neurones ou peut-être même que vos mollets s’agitent) ; son verbe multiculturel, bienveillant, amoureux, insatiable se dilate au-delà de la phrase conventionnelle, comme si le besoin de s’exprimer avait l’urgence de coloniser d’autre territoires de l’encéphale.

Sa Garonne aux mélodies errantes (5), tout comme sa Gironde, sont-ils supports terriens ou maritimes (à venir, avenir) dans le sens d’une mare nostrum mais aussi d’une mère nourricière, mêlant poème et narration, limon et plancton, rêve et réalité, ancrage et voyage, paysage en suspension et mots migrateurs ?

Lire pour fertiliser mon insouciance. S’encoubler joyeusement sur les « ah » et les « & » très deguerguesques, prescrits le temps d’un rêve, d’une pause où l’on évide ses hémisphères : Un poète vivant à mettre sous la dent, ça n’arrive pas tous les jours. J’apprécie !

Un mot encore, ou plusieurs, pour les précieuses photos (dites pictotofographies !) de Patrice Yan Le Flohic, artiste que nous avons déjà découvert lors d’un précédent ouvrage (6). Son objectif donne corps à ce recueil élégamment publié par Traversées : vision presque sépia au-delà d’un noir et blanc conventionnel, angles singuliers, paix intérieure, détails de l’âme, univers à la fois mécanique et biologique (j’allais dire bio-graphique), sensibilité rejoignant un pixel parfait, paysages pluriels et vision questionnante, à l’infini.

©Claude Luezior

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(1)Couleurs et rêves de la femme arlequine, Rome Deguergue, Ed. Alain Baudry, 2011

(2)Ex-Odes du Jardin (Variations & autres collages d’intemporalité), Rome Deguergue, Ed. Alain Baudry, 2008

(3)…de part la Reine… marcher dans la couleur du temps, Rome Deguergue, Ed. Schena – A. Baudry, 2009

(4)Vapeurs fugitives Carmina, Rome Deguergue, Ed. Schema, 2004

(5)Accents de Garonne Visages de plein vent Mémoire en blocs, Rome Deguergue, Ed. Schena, 2004

(6)Nabel, Rome Deguergue, Ed. L’Harmattan, 2005