Christian Bobin, LA GRANDE VIE ; nrf Gallimard (12,90€ – 122 pages)

Une chronique de Nadine Doyen

Christian Bobin

Christian Bobin

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  • Christian Bobin, LA GRANDE VIE ; nrf Gallimard (12,90€ – 122 pages)

Le recueil s’ouvre par un hommage à la poétesse Marceline Desbordes-Valmore à qui Christian Bobin s’adresse sous forme de lettre. Il souligne que sa vie fut « d’une brutalité insensée ». Même admiration à l’encontre d’Ernst Jünger dont il admire la description d’un arbre à la minutie d’un scribe ».

La lettre, l’auteur déplore, comme Charles Juliet sa disparition. Qui écrit encore à l’heure de facebook et twitter ? Pourtant, « Son écriture dit l’âme en ses mouvements secrets… » ; «  Une lettre manuscrite c’est un visage gravé dans la pierre tendre du papier… ». Touchante, cette lettre destinée à son chat disparu, ce compagnon qui aimait voir la plume couler la phrase sur la page blanche, ce petit chat, qui avait fait du piano son île. Tout aussi émouvante celle à l’adresse d’un petit merle dont il a admiré le gracieux port de tête.

On peut être déboussolé de voir Christian Bobin multiplier ses billets doux à l’adresse d’un merle et même une marguerite. Il nous fait partager sa communion avec la nature, au cœur d’une forêt, « quand du haut d’un sapin éclate le chant de l’oiseau ».

Pour lui, voir, « c’est être cueilli » par quelque chose.

Comme Yves Bichet dans L’homme qui marche, Christian Bobin montre son scepticisme à l’égard de Dieu, mais subodore sa présence au cœur de la nature, des animaux. Ce petit chat, n’était-il pas habité par Dieu, quand, « lassé de voir « l’auteur écrire, il « versait l’encre noire de son pelage sur ses mots » ?

Christian Bobin se sent investi d’une mission : parler « de la lumière éternelle », tel un messager de Dieu. « Ne rien faire, c’est déjà faire un pas vers Dieu », confie-t-il.

L’auteur développe une réflexion sur la fuite du temps, la fragilité de l’homme et soulève de nombreuses interrogations : « S’il y a un dieu, alors c’est un joueur ».

Mais en chantre des livres, l’écrivain décline son addiction aux livres, « secrets échangés dans la nuit » et sa passion de l’écriture. « Écrire-glaner ce qui a été abandonné à la fin du marché ».N’est-ce pas un viatique pour conjurer la mort ?

Pour lui, les livres ne sont pas que des objets, il perçoit les voix des auteurs, comme celle de Kierkegaard, découvert à vingt ans. Il se montre confiant quant à l’avenir du livre, « qui aura toujours deux mains pour accueillir un peu de langage ».

Christian Bobin noue une connivence avec son lecteur en lui posant une devinette, à savoir la différence entre un écureuil et la lumière.

Cet opus est traversé par une palette de couleurs : depuis « les fleurs roses » du marronnier, le bleu des campanules ou des libellules, « une orgie d’émeraudes »,la pomme rouge, et irradié de lumières (les ondes jaunes du mimosa). Orangée, « cette pâte » du bec du merle, « lumineuse comme une lampe d’Emile Gallé ».

Dans un volume précédent, Christian Bobin enfermait son angoisse dans une valise, ici, ses soucis, il les brûle. Il ne cache pas avoir été écrasé, broyé par « des tonnes d’absence ».

La grande vie se clôt par un hymne à la poésie, « plus précieuse que la vie »

L’auteur témoigne de sa gratitude et de son affection envers ceux qui nous aident à vivre, « ceux qui nous sauvent ». Mais sait-il que ses livres ont ce pouvoir ?

Lire Christian Bobin, c’est faire une balade bucolique au fil des saisons, c’est s’émerveiller devant les cadeaux de la nature, qui « contrairement à Dieu ne nous abandonne pas » et renouer avec la lenteur.

Lire La grande vie, c’est s’accorder des instants de sérénité, s’isoler du bruit.

C’est aller au devant de l’explosion du printemps. Joie éphémère car la floraison des cerisiers ne dure pas ». Il rejoint Yves Bonnefoy qui affirme « Jamais de terme aux arcanes de la vie, jamais de fin à nos émerveillements ».

C’est aussi découvrir ses conversations avec les absents qu’il évoque régulièrement, en particulier son père ou La plus que vive, se remémorant promenades et souvenirs immarcescibles. C’est aussi un travail de mémoire, ressuscitant ceux qui ont compté pour lui : Dhôtel (qui, dans un livre, indiquait la direction du paradis), Jean Grosjean dont il revisite les livres, dont « les poèmes sont si fins qu’ils se glissent entre la fleur » et son éclat ou l’égérie Marilyn (« la martyre du sourire »), Emily Dickinson (« La reine des abeilles ». On croise également des figures saintes.

Si pour l’auteur « Les livres agissent même quand ils sont fermés », nul doute que cet opus tatouera son lecteur, car «Les livres sont des gens étranges ».

Christian Bobin signe un recueil traversé de multiples lumières, pétri de poésie et d’attention émerveillée aux fleurs, aux oiseaux, insectes. En contemplateur ébahi de la nature, « une guérison en marche », voyageur entre terre et ciel, il nous enseigne comment lâcher prise, aller à l’essentiel. Il exprime l’indicible, le divin, le beau, et nous dispense un souffle de spiritualité sur fond sonore de Bach et Thelonious Monk.

Laissez-vous prendre par la main et transporter « dans un autre monde ».

Même si l’auteur énonce que « C’est une chose bien dangereuse que de lire », risquez-vous à plonger « dans l’eau du langage » de La grande vie.

©Nadine Doyen