Albert Gatez, poèmes, Éditions Traversées, janvier 2023, 79 pages, 22€

Une chronique de Lieven Callant

Albert Gatez, poèmes, Éditions Traversées, janvier 2023, 79 pages, 22€


Albert Gatez (1927- 1999)

Albert Gatez est né à Mussy-la-Ville mais a passé la plus grande partie de sa vie à Virton. À l’occasion d’une retrospective de ses oeuvres, Albert Gatez a offert à la ville de Virton, quelques sculptures qu’on peut admirer en divers endroits de la ville.  Artiste autodidacte, il est difficile de le cantonner à un style, à une discipline: Il a peint, il a sculpté, il a gravé, il a écrit des poèmes comme lui seul pouvait le faire. 

Il explore avec une certaine curiosité enfantine, il cherche avec amour et n’a pas la prétention d’affirmer qu’il a trouvé. Au contraire, ses oeuvres me semblent être incomplètes, volontairement non-finies. Au delà des apparences simples et faciles, naïves diront certains, se cache parfois avec humour, une complexité d’une grande lucidité. Ces oeuvres et poèmes sont autant de portes à ouvrir et de mondes à découvrir sans apriori. De rébus à résoudre, de petits labyrinthes à parcourir.

©Albert Gatez-collection jeannine Dumont

Dans ce livre sont repris des poèmes, des peintures, dessins, sculptures, et trois panneaux de bois. Le premier reprend des éléments géométriques: sphères, parallélépipèdes et le bois a la patine d’un meuble ancien. Le deuxième panneau est constitué de planches à l’état brut où ont été collés d’autres morceaux de bois et matériaux de récupération (un circuit électronique). L’artiste a mis en valeur les différents éléments en les peignant sauvagement, le troisième panneau est semblable à un tiroir qu’on vient d’ouvrir et dans lequel se trouve un ange jaune aux ailes ouvertes autour d’un corps et d’une tête aux formes simplifiés. Il pourrait s’agir d’un papillon.

©Albert Gatez-collection jeannine Dumont

Ces trois panneaux oscillent entre peintures et sculptures et ne sont pas vraiment des bas-reliefs. Elles sont abstraites mais rien n’interdit à l’esprit d’y reconnaître une figure, un sens. D’autres sculptures métalliques explorent l’espace à la manière d’une écriture ou d’une peinture et ressemblent aux girouettes posées sur les toits pour le vent ou semblent être des totems sculptés dans le bois, pétris dans la terre glaise.

Ces travaux-là sont plus clairement figuratifs mais là aussi se produit comme un retournement de situation. La référence n’est pas la réalité mais le produit d’une quête qui espère comprendre l’humain. Tout le travail d’Albert Gatez (même ses poèmes) provoquent des basculements intrigants de tons, de sens, de significations. 

Gatez s’interroge et nous interroge sur les pouvoirs enfuis et méconnus que portent ses oeuvres comme si soudainement elles surgissaient d’un magma ancien nous parlant de nos origines en tant qu’être humain. On imagine qu’elles sont peut-être un emblème et ont vocation à nous rassembler mais il manque toujours un élément, une certitude. Siège aux creux des poèmes et des oeuvres d’art de Gatez, un oubli. Volontaire ou accidentel, un point sur lequel il temps d’appuyer pour prendre en compte nos différences, nos singularités sans perdre de vue la cohérence originelle. Si tout nous différencie et nous sépare, il y a aussi matière à nous réunir. Cette matière est celle qui constitue le matériau essentiel du travail poétique de Gatez: matière humaine, imparfaite, faite de souvenirs, d’oublis, d’amour et de désamour, de passions et d’abandons, de désespoirs, de joie, de sérénité, d’humour, de doutes. Dans cette incertitude mise en évidence par Gatez réside une force neuve. 

« Le fort est celui qui affronte la vérité sans en exclure les hypothèses les plus accablantes. »  

« Des mots frêles, qui libèrent »P18

« Il faisait rouge sans toi
Comme soir de guerre
Nous que l’enfance n’adulte pas. »  P19

« La vérité est sinistre, les occupations de l’homme ne sont
Que déguisements qui travestissent en dérisoires victoires
L’inexorable défaite ». P22

Page 26, le poète résume:

« Il me reste le boire.
Boire la vie coquine et boire encore jusqu’à plus rien
Et puis boire la coquine.
Comme on boit un souffle.
C’est boire la vie. »

« Seuls ceux qui vont à l’extrémité d’eux-même peuvent muer. » 

et

« Autour de l’orgueil la déroute »

« J’aime que le ciel descende doucement. »

« Le hasard peut être vaincu par les mots et de la disponibilité »

« Unijambiste c’est une jambe en moins mais aussi une jambe en plus- facile n’est-ce pas? »

La poésie d’Albert Gatez ne se lit pas qu’au travers de ses mots, elle nous guide par delà ses peintures, au delà de ses sculptures. Ce livre lui rend un bel hommage. 

© Lieven Callant