Chronique de Claude Luezior
Béatrice Libert, La nuit porte jarretelles, Cactus Inébranlable éditions, coll. Les p’tits cactus, Préface de Jean-Pierre Verheggen, 2020, ISBN : 978-2-39049-006-7

D’emblée, l’auteur (fichtre, faut-il dire l’auteure ou l’autrice ?) nous avertit, sur un mode ferroviaire : En raison d’un périmètre d’insécurité, le poème à destination de votre existence entrera voie cérébrale droite. Car c’est bien l’hémisphère droit qu’il faut ici actionner : celui de l’intuition, de la musique (des mots), de la créativité, de la reconnaissance faciale.
Tout un programme en contrepoint du littérairement correct. À rebrousse-poil des conventions, comme le précise le préfacier Jean-Pierre Verheggen : Même avec un entonnoir sur la tête, on peut réfléchir, pas vrai ? Peut-être est-ce là non pas le ciboulot, mais le boulot ou le génie du fou du roi ?
Aïe, attention à votre épiderme du bien appris : c’est qu’il s’agit d’une collection Les p’tits cactus ! Béatrice Libert, à la bibliographie fort honorable, aurait-elle un côté sadique bien caché ?
Bon, on va dire d’emblée qu’elle n’était vraisemblablement pas forte en maths vu l’aspect cauchemardesque des problaimes qui suivent son théoraime : elle nous excusera de cette assertion sans preuve aucune, mais vous conviendrez que la suspicion est de mise : Un recueil de poésie long de 1500 poèmes doit être découpé en séquences de 30 textes. Combien de coups de ciseaux faudra-t-il donner ?
Heureusement, la section suivante s’intitule : Vous r’prendrez bien un p’tit aphorisme ? Excellent ! On y apprend sentencieusement que Le chemin le plus court est le baiser, qu‘une ville sans jardin est un visage sans regard… C’est que Libert a, chevillée au corps, non seulement de l’humour mais aussi un grand pichet de poésie : Le rêve est un lendemain qui bourgeonne (…) Je suis la pluie qui sourit même aux feuilles mortes (…) Quand l’arbre dit fleur, il pense fruit. Sans oublier : Il y a une larme de silence sur la bougie qui s’éteint.
Pas fou, le fou du roi ! Sorte d’humanisme joyeux, mais également profond : Ce qui tient lieu d’horizon : ton visage ouvert.
Après une citation de Pascal Quignard (la lecture, c’est l’errance) voilà des Dictons à moudre, à la suite de quoi on va Suivre la déviation : Quand la nuit ne dort que d’un œil, l’horloge prend son temps. Montres molles à la Dali ?
Autodérision (Quand le poème est tiré, il faut boire les vers) avant d’aborder la (trop) brève compilation d’ordonnances médicales : Dix minutes de Marie Noël chaque matin après le petit-déjeuner. Traitement très chrétien contre la migraine ?
Et pour conclure de docte manière, Le petit Izoard non illustré, écrit pour les septante ans (ah, une écrivaine qui sait son français) de Jacques Izoard (1936-2008).
Le tout est pimpant, désopilant, déjanté, bienfaisant. La première de couverture est d’Émelyne Duval, collage qui colle avec le titre et ses textes atypiques. La collection de poche Les p’tits cactus vaut son pesant d’épines urticariennes, mais ne la gardez pas dans votre pantalon : seule la joie d’une lecture amusée pourra être le baume de votre cerveau droit.
©Claude Luezior