Une chronique de Claude Luezior

Christine Hervé, De l’autre côté de l’eau, Editions Traversées, 2020, ISBN : 9782931077016
Quatre traversées du désert, quatre cheminements intérieurs, quatre chapitres aux portes de l’introspection : deux en poésie verticale, encadrés par deux denses proses poétiques.
À noter un envoi qui annonce la couleur :
À tous ceux
qui abritent mon cœur
et ceux qui l’ont déchiré
un matin d’espérance
En tout premier, la recherche du père : d’une certaine manière, de l’autre côté des eaux lustrales, en une terre encore inconnue, sur une plage immense (…) au souffle de mes désirs. D’emblée, l’on ressent un vide, un océan non rassasié, des espaces hors du temps où la poétesse aimerait se construire. (…) Mais comment avancer dans mon existence quand il manque le début ? Mille pages de psychanalystes condensées en quelques traits de plume. Le lecteur est pris à la gorge.
Christine Hervé est née en Bretagne. Au-delà des ressacs, c’est aussi le pays des goélands. Poésie à la verticale :
Battements d’ailes
promesses d’un envol
(…)
elle ne connaît d’amour
que celui des sirènes
insolite rencontre
d’innocente insolence
Pudeur extrême aux confins de la pensée. Mains tendues à la margelle d’une relation neuve. L’écriture semble suspendue aux embruns ou ondoyante au creux des vagues… Ici opèrent la magie du verbe et le frottement des mots. Juste pour esquisser une aube qui pourrait renaître. Aube griffée par des éclairs : effroi du désir.
Troisième Livre d’heures :
sur les routes
avancent
les déplacés
sans toit
sans voix
(…)
ils avancent
griffes des barbelés
ni d’ici
ni d’ailleurs
Migrants traqués sur un rivage de caillasse, sur la brèche d’un horizon sans fin. Parias, nuages de poussière. Pourquoi cette ode ? La réponse est sans doute dans l’immense solitude de ces frères et sœurs mais aussi dans l’abîme tout au fond de soi. Quelque part, vivre sans père n’est-il semblable à vivre sans pays ? L’être ne cherche-t-il désespérément une terre d’asile dans le regard de l’autre ?
Le final déroule sa prose au nom du silence. Qui s’épanouit au creux d’un pigeonnier. En quelque sorte purifiée, elle y tisse son nid, comme si son âme avait pris de la hauteur. En fait, il n’y a plus de pigeons. Ils sont partis en voyage, et sans fil au cœur, ils ne sont plus revenus. Ils ont laissé leur silence. Rêve, écoute, réconciliation avec soi-même.
Ouvrage d’une grande finesse où dominent solitude et silence. Et pourtant, l’eau des mots commence par un matin d’espérance et finit par Il est là qui attend.
© Claude Luezior