Pour célébrer un peu Sophie Renée BERNARD- par Marc Wetzel

Pour célébrer un peu
Sophie Renée BERNARD


Par Marc Wetzel

  Poétesse du Nord-Ouest de la France, enseignante de philosophie, que je ne connaissais pas, et qui m’envoie, par courriel, trois recueils parus : « Pélerinages de la chèvre » (Poèmes 2002-2015 – Christophe Chomant éditeur), « Ce qui nous recommence » (Poèmes 2014-2016, même éditeur)- et « Traduites de la nuit » (Editions des Vanneaux). Le – beau et représentatif – texte qui suit (que je commente librement par après) est tiré du deuxième d’entre eux (pages 26-28) :

                Plus tard les détresses,

plus tard

les déchirements

Quels

Ceux des boyaux malades

et les amis fatigués

cassés contre la cuvette

seuls au cœur du drame

Quel

On aura négligé la vérité

tant d’arts

et tant de droits,

tant de paresses justifiées

On ne se regarde pas

Plus tard les désespoirs

et la mer est une baignoire

et l’on dodeline

au gré des blancs couloirs

Plages de Dubaï

Plages d’Hammamet

et l’on s’aime

face contre le miroir

Plus tard,

plus tard l’effroi

d’être soi,

bordés à même le linge

Plus tard la vérité

Juvéniles l’on jette

des cailloux

sur la sérénité

d’un lac

Tant de droits,

tant de commodités,

délivrés de la peine

du vivre

Tant de vitrines

où s’adorer

Plus tard le divorce

du visage et de l’âme

Plus tard le halo

du silence,

la connaissance

qui est douleur

Plus tard la douleur

                de n’avoir pas aimé »

                                (Ce qui nous recommence, pages 26-28)

Sophie Renée Bernard chante la litanie des conditions

à remplir

par ce qui nous tient en vie ;

la diaspora des grâces

toujours chanceuses, un peu risquées, mal payées,

dont on hésite à jouir.

Elle chante le cirque des métabolismes,

celui des saintetés organiques,

où l’on va et vient entre arène et tribunes ;

elle chante la nostalgie d’une plénitude

trahie,

car délaissée.

Elle indique la loupe du juge de l’Éden

oubliée au milieu du cheptel

qui la piétine.

Il y a le jeune pâtre qui rêve, et l’ange qui vient dire :

Il n’y a rien d’autre, pour rompre les enfantillages.

Mais où sont les grandeurs ? répond l’enfant.

Une femme ici voudrait être la Nature,

qui désire être partout désirée,

mais n’est la veuve d’aucun Dieu,

car chez les morts – et tous les pèlerins le sont un jour –

la relique intouchable

est la vie.

Elle sait que le soir est défini, que le soir est exigu,

que l’on sirène dans les rues, on se bouscule

dans le détroit des âmes.

Elle cherche la clé de voûte du grand Effondrement.

Elle la trouve. C’est

un chant métallique / à l’heure de Pâques

Simplement elle ne veut plus remettre

le moment d’avoir pensé à temps

la dissipation de tous les droits.

Elle sait que les malades sur leurs matelas

ont le confort laid

et bas.

Mer qui s’acharne

et nous méconnaît. Mais toujours

il reste l’eau collée à la source obscure.

Mais elle aime, et chacun écoute le rivage

d’où l’autre négocie

son entrée en nous.

Elle aime, et deux suppliants tombent debout,

leurs paires de pieds se faisant face,

chaque front sur une épaule de l’autre.

Elle aime car le jardin déjà se ferme.

Sa douleur a le front d’obéir;

mais où débusquer ce qui permet tout ?

L’amour emporte tout de lui,

dès qu’il tourne à l’angle

de la voie parcourue.

Et elle demande : L’avez-vous aimé, l’avez-vous aimé assez,

l’être-là, le tout, le sol et la couche,

l’admiration des atomes ?

Elle dit : Un jour nous avons connu Dieu.

Elle voit en l’existence une prière sans fin et sans demande.

Elle dit : Vois comme on s’use d’aimer si peu ;

car si chacun jette dans son dos,

un jour, derrière sa propre épaule,

le Verbe qui l’a çonçu,

son chant aura fourni à la Vérité

les draps mêmes qu’elle écarte

pour apparaître.

Sophie a tâtonné, scrupuleuse, jusqu’à l’ultime guichet,

se guidant au brouhaha des tarifs,

dans le bruissement zippé du ciel des choses.

Son oeuvre dit qu’on ne traduit pas

ce qui nous recommence ; on

y chemine, en pélerin. 

                                            ————

       On lira avec profit, sur le site de La Cause Littéraire, l’éclairant entretien de Sophie Renée Bernard avec Mathieu Gosztola. http://www.lacauselitteraire.fr/entretien-avec-sophie-renee-bernard. Il est  disponible aussi sur Terre à Ciel.