Dans le miroir d’Orphée, de Demosthenes Davvetas, Éditions Traversées, Virton (Belgique), 2019, 233p

Dans le miroir d’Orphée, de Demosthenes Davvetas, Éditions Traversées, Virton (Belgique), 2019, 233p., ISBN 978-2-931077-00-9

Par ces poèmes libres, haïkus et proses poétiques à la verticale, l’auteur revisite le mythe d’Orphée tant joué et chanté (Lully, Offenbach, Gluck, Monteverdi), repris par Rainer Maria Rilke ou Marguerite Yourcenar, Pierre Emmanuel ou Paul Valery,  porté au cinéma par Jean Cocteau.

En trois mots, rappelons qu’Eurydice fut mordue par un serpent et descendit aux Enfers. Orphée, fou amoureux, jouant de sa lyre à neuf cordes, parvint à endormir le chien à trois têtes Cerbère et obtint de Hadès de ramener sa bien-aimée sur terre, à la seule condition qu’il ne devait en aucun cas se retourner. Orphée ne tint pas parole, perdit son être cher et finit lui-même tragiquement. 

En fait, le présent livre n’est nullement une description d’Orphée et d’Eurydice, mais bien, au second degré, par un ensemble de  pensées et sentences philosophiques, une manière d’investigation du connais-toi toi-même. Ou plutôt les infinis rebondissements entre le Moi face à Toi et le Toi face à Moi. Ce, davantage qu’un Moi « en » Toi et Toi « en » moi qui seraient, eux, l’Amour intensément fusionnel au travers de l’autre, comme le voudrait la tradition orphique. 

Classiquement, le salut d’Orphée se situe dans son amour inconditionnel, à portée de baisers au bord du gouffre, alors qu’ici, me semble-t-il, Davvetas est avant tout dans une solitude assumée de l’écrivain (C’est à travers la langue que se transfuse la solitude.(p.52) ou : L’homme solitaire se nourrit d’ombres.(p.56) et, dans l’immense tradition des philosophes grecs, dans la quête de soi. Laquelle se niche ici, davantage dans le marbre poli d’un statuaire (La beauté t’allège jusqu’à exhaler ton âme comme un souffle. p.56) que dans les chairs frémissantes. On ressent plus l’analyse de la psyché que le lyrisme du propos : Si toutes choses / me ramènent à moi, / alors il me faut consentir / que ne me reste  / à découvrir / que moi-même. Ou : Je te cherche sans arrêt, en empêchant / toujours les passions / d’outrepasser ce qu’elles sont  (p.140) ou encore : Je suis fatigué de modifier tous les jours / mon moi de l’effeuiller, afin / que d’entre ses feuilles dispersées / il surgisse et que je le découvre. (p.177) Quête sans doute douloureuse mais avant tout de soi-même : Combien de mots à surgir encore / du fond de moi / pour m’alléger ? (p.182)

Certes, Demosthenes (quel beau prénom !) est également poète: Quelle est cette larme / dont naissent des fleurs (…) ? (p.186) Il est phototrophe (son attirance avérée pour la lumière, quand son spectre se dissocie en couleurs ou quand elle se fait synthèse et éblouit le monde) : Elle est pluie / soleil / bleu abyssal / orange radieux / alchimie de vert / blanc illimité / noir infini / elle est le rouge aveugle (…) (p.208) Les cordes de sa cithare, la sienne, celle d’ Orphée sans doute, reviennent également à plusieurs reprises et enchantent le lecteur.

Un mot final, dans cette découverte : un mot pour revenir au brillant prologue de Xavier Bordes, musicologue, docteur ès lettres, traducteur de ces textes et lui-même poète.

Demosthenes Davvetas est un Grec, qui écrit en grec, mais peut-être devrais-je dire un Hellène (…) Dans la perspective grecque intime et classique, que ce soit l’amour, la pensée, l’exercice physique, la création artistique, le rapport à la vie ne sont pas compartimentés : le corps et l’esprit sont pensés comme un « corpsesprit » (…) où la mort était part de la vie qui ne méritait pas toute l’image infernale dont on l’a chargée avec la métamorphose religieuse de la société inspirée par le christianisme.

En un trait de plume, avec ces clés et au gré de cette brève recension : et si Orphée, était pour une fois, au-delà de sa dimension amoureuse mythique, une voie pour la connaissance de soi ?

©Claude Luezior