Roberto Arlt, L’écrivain raté, traduction de Geneviève Adrienne Orssaud, Édition Sillage.

Chronique de Lieven Callant

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Roberto Arlt, L’écrivain raté, traduction de Geneviève Adrienne Orssaud, Édition Sillage.

Un jeune écrivain ayant connu le succès avec son premier livre s’aperçoit que ses sources d’inspiration sont taries et qu’il ne pourra répondre aux espoirs qu’on a fondés sur lui. Dans un premier temps, il tente divers subterfuges pour se voiler la face et garder vis à vis de ses pairs un semblant de statut d’écrivain plein d’audaces. Il multiplie les projets qui n’aboutissent jamais à rien de concret. Il se met à écrire des articles et se pose en tant que critique littéraire et grand connaisseur artistique. Évidemment, ce qu’écrivent et réalisent les autres n’atteint jamais les points culminants de ces exigences. Il finit aussi par se lasser de cette posture.

Le texte est écrit à la première personne et l’on pourrait croire que Roberto Arlt analyse sa propre situation. Quel écrivain n’a point connu de grandes périodes de doutes, de remise en question de ses talents, aspirations? On devine que Roberto Arlt nous dévoile des situations qu’il a parfaitement connues et un microcosme qu’il a côtoyé.

Roberto Arlt écrit vite et ne manque jamais vraiment d’inspiration. Il fait partie de ces écrivains qui peuvent écrire avec humour des merveilles rythmées à partir d’éléments apparemment insignifiants. Je me demande donc si la question de l’inspiration est d’une quelconque importance. Écrire est un travail avant d’être un art. Arlt avait ses méthodes et probablement que pour lui l’inspiration ne jouait qu’un rôle très relatif. Le talent n’est pas un bienfait qui tombe du ciel.

Grâce à ce livre, il peut donc dénoncer avec humour, ironie même certains comportements typés de ceux qui constituent le petit monde littéraire de son époque auquel il appartient. Amitiés intéressées, mystères contenus et travaillés autour du prochain livre, mesquineries et coquetteries.

Heureusement, Roberto Arlt ne s’arrête pas là, il poursuit l’introspection jusqu’à interroger le rôle profond de l’écrivain. Qu’est-ce finalement un écrivain raté? Une personne qui refuse de continuer à publier parce qu’elle se rend compte en toute lucidité et honnêteté qu’elle ne pourra écrire mieux qu’elle n’a jamais écrit? Une personne qui continue à publier livre sur livre tous plus insipides les uns que les autres mais qui répondent d’une certaine manière à ce qu’attend le public? Rate-on son oeuvre parce qu’on a plus la force de la poursuivre comme on l’a commencée?

Il existe de multiples raisons de lire ce petit livre comme je viens de tenter de le faire dans cet article, une chose plus qu’une autre me parait importante d’ajouter. Pas de temps-mort dans ce texte, de lourdeurs, de redondances; écrire est aussi lier au plaisir, au rire, au bonheur de laisser l’encre couler à notre place. Je termine ma chronique en citant L’Écrivain raté car rien ne remplace le style, le ton d’un auteur tel que Arlt même s’il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’une traduction :

« Je défie quiconque de savoir tirer meilleur parti que moi des intentions avortées, des essais réchauffés, et des cécités et boiteries de leur prochain.

J’observe alors, avec plaisir, que ceux qui me supposaient aigri se retirent consternés, sans savoir dans quelle catégorie me classer.

Et ainsi passent les années. De mon inaptitude se détache une philosophie implacable, sereine, destructrice:
Pourquoi s’entêter dans les luttes stériles, si au bout du chemin se trouve pour toute récompense un tombeau profond et le néant infini? »

©Lieven Callant