Christian Bobin, Un bruit de balançoire ; l’Iconoclaste, (97 pages – 19€ ) 30 Août 2017

Chronique de Nadine Doyen

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Christian Bobin, Un bruit de balançoire ; l’Iconoclaste, (97 pages – 19€ ) 30 Août 2017


Le nouveau Bobin, comme l’annonce le bandeau, les fidèles lecteurs de l’auteur l’attendent comme les hirondelles le printemps, pour y découvrir « le nid bâti sous la poutre du langage » !
Christian Bobin nous happe dès la couverture avec son texte manuscrit, fragment de l’introït sur pages bleues qui ouvre ce recueil. L’auteur nous y expose sa philosophie de vie, du minuscule (pétales d’églantine, fleurs de cerisier, des mandarines), les motifs traités. Il s’insurge contre « les tambours modernes » qui ne véhiculent que « désenchantement, raillerie, nihilismes » et prône « la simplicité inouïe d’une parole ».
Il nous signale l’influence et « la présence discrète » du poète japonais Ryokan avec qui il a tissé des affinités électives depuis peu. Ce n’est pas un fil rouge mais un fil d’or, un fil lumineux qui se déroule dans ce recueil épistolaire.
L’écrivain souligne combien les livres ont été déterminants, pétri de gratitude pour « leur prévenance ». Comment ne pas partager les propos de l’amoureux des livres, qui les met à l’honneur dans chacun de ses recueils : « Les livres sont des âmes, les librairies des points d’eau dans le désert du monde » ?
En avant-propos, l’auteur montre combien se séparer de son manuscrit équivaut à en faire son deuil. Dans Noireclaire, l’écrivain veut « tuer l’homme ».
Ici, il revisite son enfance, sa rue natale, à la recherche de « son coeur-enfant », de « L’enfant-moi ». On le croise à différentes périodes de sa vie : nouveau né, à quatre ans émerveillé par « l’explosion lente et silencieuse d’un pissenlit », à huit ans sur « cette vilaine place du Creusot », avec le pull jaune de ses 30 ans.
Parmi les récipiendaires des lettres on trouve des femmes, des hommes, mais aussi des objets du quotidien (le bol), des oiseaux, et même un lieu : le vieil escalier.
En adressant la première lettre à une « chère inconnue », il permet à chaque lectrice de s’identifier à elle.
Parfois parisien, Christian Bobin s’arrête près des bouquinistes et sauve de l’oubli « quelques poètes au fond d’un bac », en repêchant « trois carpes géantes », tout en écoutant « La Seine qui éclate de rire ».
On sait combien le poète aime les arbres, vit entouré d’arbres. Dans sa lettre au forestier, on devine son désarroi de voir « des branches abattues, empilées ». Toutefois, respectant le travail du forestier, il en vient à positiver et le remercie « pour la soûlante odeur du bois coupé », pour « le parfum multiplié ».
Comme Vassilis Alexakis, qui poursuit avec sa mère ses conversations d’autrefois dans Je t’oublierai tous les jours, l’écrivain relate à sa mère un instantané de vie. Ainsi, au lieu de se consacrer à sa correspondance, il relit Nerval et s’égare dans la forêt de Compiègne, lui confie-t-il.
Christian Bobin entremêle souvenirs familiaux, odeurs, paysages,musique, sourires.
Ainsi il égrène des notes de Bach, d’un concerto de Mozart. Il nous fait entendre le piano de « ce cher Messager », le compositeur estonien Arvo Pârt, « qui sonnait comme une horloge comtoise – quelque chose de lancinant ».
Il se remémore les jeux d’Hélène avec ses amis, leurs rires et s’y être immiscé.
Il évoque l’histoire en nous conduisant en Pologne, à Lotz, et recourt à une formule choc : l’oxymore : « Le bonheur est un meurtre. », pour décrire son état d’âme : « gai, insouciant » dans ce lieu martyre dont il ignorait le passé.
Dans sa lettre à Nadjeda, il rend hommage à celle qui a mémorisé l’oeuvre de son époux Ossip Mandelstam, le poète qui ne savait « qu’extraire des diamants de la gangue du langage ». Ne l’invite-t-il pas à se livrer, assise à ses côtés ?
Dieu lui apparaît au contact de son bol, dans les livres, dans un brin d’herbe, dans une fleur d’églantine, « même s’il ne sait définitivement pas ce qu’est Dieu » et « s’en moque ». Pas facile de donner à une interlocutrice une définition des anges !
Christian Bobin, le contemplatif, ne cache pas sa passion pour les fleurs. Ne sont-elles pas comme Michael Lonsdale les qualifie « des anges qui nous transmettent un message de beauté et de transcendance » ou « des messagères de Dieu » ? Le lecteur n’a plus qu’à s’émerveiller devant « l’avalanche d’une glycine ».
Le poète adhère à la cause animale, « les bêtes sont des anges » pour lui. Il peut voyager « dans les yeux d’un chat », il se délecte du chant des oiseaux. Si dans La grande vie, Christian Bobin s’adresse à un merle, ici il se confie à Monsieur le coucou et nous fait partager son chant. « C’est sentir mon coeur tapissé d’or », concède-t-il.
L’auteur laisse deviner son côté spirituel et mystique quand il écrit aux invisibles : à son cher fantôme, à sa chère âme. Il n’a pas son pareil pour filmer en mots le ballet de gouttes de pluie sur la vitre « insensible d’un train ». Il sait s’émerveiller devant leur « bombement argenté et bordure laiteuse ». Éphémères leur vie, ramenant à la fragilité et la finitude de l’humain. Et Christian Bobin de conclure : « Vivre n’est rien d’autre que donner sa lumière, traverser la voie lactée des épreuves », « aucune lumière donnée ne se perd ».
On termine la lecture par la lettre à Lydie où il est question de Bach, de mousse et d’où nous parviennent les grelots de ses rires. On peut deviner en boomerang le rire franc de Christian Bobin que l’on garde en mémoire lors d’interviews.
Lydie, un prénom qui renvoie aux entretiens que Lydie Dattas a consignés dans La lumière du monde, dans lesquels la quête de la LUMIÈRE intérieure reste essentielle.
Christian Bobin décline un hymne à la poésie, omniprésente, convoque des figures tutélaires comme Ryokan et son maître Dogen, qu’il confesse avoir découvert récemment. Il rend hommage à à ceux qui, imprégnés de poésie, ont traversé sa vie : comme la poétesse russe Marina Tsvetaeva ou le regretté et ami Jean Grosjean. Il encourage au partage, et à l’ « émietter » comme du pain. Il livre une définition éblouissante et imagée de la poésie : « La poésie est un instrument d’optique autrement plus fin que les télescopes qui grattent le nombril du ciel. »
L’écrivain s’interroge sur l’usage de l’écriture manuscrite, constatant la domination du numérique. Les mails remplaçant l’intimité, la proximité des lettres, ne redoute-t-il pas la disparition d’une main «  qui danse », calligraphie ? Cette résistance au tout numérique était déjà présent dans La grande vie.
Christian Bobin valorise le geste de l’écriture, geste d’ouverture à l’autre, comme le faisait Mallarmé.Il voit dans l’écriture « la souplesse » de s’adapter à la vie, d’être en phase avec la nature.
Tout le long du recueil, l’auteur glisse des métaphores somptueuses relatives à l’écriture (« L’écriture s’enfonce dans le coeur du lecteur comme une aiguille de couturière. C’est pour y faire entrer un jour miraculeux. »), la vie (cette « fugueuse aux yeux verts de prairie » et à la mort, ces « fins dernières de la vie dont il ne sait rien ». N’a-t-il pas imaginé inventer « une tapette à anges » pour conjurer le sort ?
Christian Bobin signe un ouvrage à la présentation soignée, dans lequel il distille, comme des becquées de lumière, son rapport à l’écriture, à la nature, à la croyance, aux livres. La lecture n’est-elle pas sa « prison bienheureuse » ?
Quel florilège rassérénant ces vingt lettres servies par une plume poétique, tour à tour émouvantes, bucoliques, champêtres, nostalgiques, en phase avec la nature !
A nouveau le visage du lecteur « s’éclaire comme si le livre sur lequel il se penche » était une bougie ». « Aimer quelqu’un, c’est le lire » pour Christian Bobin.
Remercions le pour sa sollicitude et le rôle salvateur de son écriture, lui qui a « toujours écrit pour sauver quelque chose ou quelqu’un » ou « faire sourire ».
Un mission altruiste admirable.

Nadine Doyen