Thomas Vinau, Collection de Sombreros?, préface de Martin Page, illustrations de Vincent Rougier, Poésie & peinture, Rougier V. éditions, 2017.

Chronique de Lieven Callant

collection de sombreros

Thomas Vinau, Collection de Sombreros?, préface de Martin Page, illustrations de Vincent Rougier, Poésie & peinture, Rougier V. éditions, 2017, 18€


Comme on nous l’explique au dos de la couverture, le titre est une allusion joyeuse au livre de Richard Brautignan, Retombées de Sombrero. Un manuscrit jeté à la poubelle refuse le sort tragique que lui a choisi son auteur. Il sort de la poubelle et continue à s’écrire non sans semer la pagaille.

La Collection de Sombreros? de Thomas Vinau nous propose un assortiment de textes qui refusent leur simple condition de textes qui n’auraient aucun pouvoir de changement à exercer sur notre vie ou sur notre façon de l’appréhender. Collection de Sombreros? est une douce et folle invitation à se révolter. Se révolter contre l’ordinaire et l’absence de fantaisie qu’on s’efforce de lui imposer. Il nous faut revisiter le quotidien avec le regard neuf du jeune enfant ou de l’adolescent.

Collection de Sombreros? questionne, ne répond par jeu que par une autre question, observe, décrit, écrit des lettres, transmet des portraits, dresse des paysages. Humour et dérision assurent à l’ensemble une belle légèreté, une astucieuse cohérence.

J’aime particulièrement le texte suivant: « un couteau de cuisine ». Car il est à la fois une jolie analyse d’une situation qui me préoccupe: la manière dont on se sert des mots. Il exprime un refus clair des conditions qui nous les font utiliser ordinairement pour acheter, vendre, et blesser. Il est la recherche d’une solution simple en apparence comme sont capables de trouver les enfants. Ici, le narrateur choisit d’offrir son âme au silence. Ne veut-il pas dire par là qu’il choisit la poésie? Les mots n’ont pas à être des couteaux de cuisine. Il faudrait s’en servir pour bien plus que charcuter le présent. C’est un point de vue que je partage entièrement. Je n’aime guère qu’on maltraite le langage, sa syntaxe, sa justesse sous prétexte de modernité mais surtout pour masquer une incompétence et un manque total d’imagination. Thomas Vinau maitrise parfaitement son propos, son écriture est juste, claire, directe, joueuse d’une qualité devenue trop rare.

« un couteau de cuisine

Vos discours m’ennuient. Vos cris me font peur. Vos mots n’ont pas de sens pour moi. Pour vous, la parole est une arme, un couteau de cuisine, une calculatrice. Pour vous, parler c’est payer ou réclamer des comptes, acheter des sourires ou des larmes comme des fruits chauds dans un stand au bord de la route. Ce voyage est interminable. Comme si les vacances refusaient de commencer. Vous êtes en train de vous engeuler à l’avant, de vous dévorer sous prétexte de combler la chaleur immobile. Vos mots n’ont que des dents. Lucie est à côté de moi, sa cuisse contre la mienne, le casque sur les oreilles. Elle écoute une chanson de suicidaire en regardant au fond du ciel, derrière le paysage qui défile. Elle a trouvé sa technique. Elle n’écoute plus depuis longtemps. Elle bouche par des couches de musique l’espace entre elle et vous. Moi, je crois que je vais tenter autre chose, je vais offrir mon âme au silence. À partir d’aujourd’hui, je me tais. » P17

Les textes de Thomas Vinau se regardent, se contemplent soigneusement jusque dans leurs moindres détails simples et discrets. Par nécessité ou pour le plaisir de marquer une pause songeuse. Ce qui apparait fondamental est de poser un acte, celui d’écrire, celui de s’adresser à quelqu’un sans le mépriser, en respectant toutes ses potentialités, en l’invitant à s’en trouver de nouvelles.

Thomas Vinau ne perd pas de vue que « la planète terre est une collection de poussières de toutes les couleurs » et il pense « que tout le monde mérite une lettre d’amour anonyme ».

Thomas Vinau envoie donc à ses lecteurs des lettres d’amour. C’est un plaisir de les recevoir, de les lire et les relire.

Aux textes qui sont comme autant de lettres qu’on s’écrit à soi-même ou aux autres sans jamais les envoyer, de petites peintures répondent les illustrations de Vincent Rougier. Vignettes tirées par quatre épingles, petits rectangles noirs, où une partie du texte est repris dans une typographie qui se joue des interlignages et qui sans doute fait aussi allusion au travail de l’imprimeur. Timbres poste qui symbolisent le voyage matériel du manuscrit, du livre mais qui figurent aussi une opposition aux mouvements contemporains de la peinture qui privilégient les formats gigantesques aux mépris du sens, de la qualité et des émotions complexes, intimes.

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©Vincent Rougier- soupe de poireaux

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©Vincent Rougier

Poésie et peinture se rejoignent dénouant les frontières qui voudraient tant les opposer et les disloquer.

Les éditions Vincent Rougier proposent ici un livre d’une très belle qualité. Une belle surprise reçue grâce à un abonnement complet que je ne peux que recommander vivement.



©Lieven Callant