Chronique de Xavier Bordes
Jacques ANCET – Quelque chose comme un cri – (Tweets) – illustré par Danielle Desnoues (Ed. Érés, coll Po&psy, in extenso).
Il est des poètes laborieux, et d’autres, de drôles d’oiseaux sans doute, qui poétisent comme des pinsons tweetent (verbe combien à la mode !). Notre ami Jacques Ancet fait partie de la seconde catégorie, et publie tant de choses intéressantes que l’on a un peu de peine à suivre ! Ce petit livre-ci, qu’on glisse volontiers dans sa poche, est jusqu’à un certain point dans la tradition laconique d’un René Char, en ce sens que, selon un esprit cependant fort différent, il se présente comme une suite de notations (une par page), qui s’étend de mai 2012 à septembre 2015.
L’esprit de ces notations n’a rien de sentences héraclitéennes plus ou moins hermétiques. Il ne s’agit pas ici, au jour le jour, de tirer des constats spécifiquement éthiques et philosophiques, mais simplement et clairement par un trait ou un autre (ce qui évoque plutôt l’esprit du fameux haïkaï japonais), de relever l’un ou l’autre instant, à la fois intime, fugace, de notre présence au monde. Et je dis « notre » parce que la singularité de ces éclairs de conscience rejoint tout à fait l’universalité, selon la phrase de Stefan Zweig mise par Ancet en exergue de son livre, qui dit : « …Plus un esprit se limite, plus il touche par ailleurs à l’infini. » Ce qui est dans le fond le principe même de la métonymie, ou plus exactement de la synecdoque, cette figure qui « prend la partie pour le tout », qui désigne un ensemble par son élément considéré comme essentiel : la « voile » pour le bateau (« Nous vîmes trente voiles », dit le Cid), la «tête» pour le bétail (« J’ai un troupeau de mille têtes », dit le rancher Texan). Et en ce sens, l’on peut même considérer que tout langage est d’essence métonymique, puisque chaque mot, chaque phrase, s’arrache un instant à la toile de fond de l’entièreté du monde, est une part d’un « langage entier » selon l’expression de Joë Bousquet, qui suggère et fait exister l’infini dont momentanément il s’extrait en définissant.
À ce jeu, qui est banalement appelé celui de la « suggestion » ou de « l’évocation », les poètes sont bien sûr passés maîtres, eux qui ressentent cruellement le manque d’infini et d’éternité parce qu’ils ont en eux une force d’appréciation de la vie exceptionnellement intense, et visent à la traduire en mots. Parmi ces poètes, Jacques Ancet n’est pas le moins doué en la matière, et ses « tweets » poétiques sont d’une efficacité remarquable grâce à leur puissance de citer à comparaître tout ce qu’ils se retiennent de dire du monde au quotidien, qui est la vision en paroles du poète. Ne pouvant citer tous ces constats, aphorismes, traits poétiques songeurs, « bons mots » en somme, je n’en citerai aucun mais j’invite le lecteur qui apprécie une poésie simple, limpide et vraie, à se procurer ce « quelque chose comme un cri » de Jacques Ancet : non seulement le livre tient dans la main, mais il peut être inépuisablement lu et relu, en y cueillant une ou l’autre notation au hasard : aucune n’étant indifférente, toutes donnant à méditer, songer, rêver ; toutes dévoilant, dans l’éclair, un clin de notre relation aux choses banales et merveilleuses qui composent cette consanguinité et cette ardeur à vivre dont St John Perse parlait à propos des Oiseaux de Braque.