Julien Blanc-Gras, In utero, Au diable Vauvert (15€ – 190 pages)

RENTRÉE LITTÉRAIRE SEPTEMBRE 2015



in-utero-par-julien-blanc-gras-au-diable-vauvert-190-p-15_5408237Julien Blanc-Gras, In utero, Au diable Vauvert (15€ – 190 pages)

Les deux citations en exergue autour de la venue d’un enfant donnent la tonalité du récit. Celle de  Pierre Desproges pleine d’humour, celle de Laurence Pernoud traduisant le séisme causé par les neuf mois d’attente pour les futurs parents.

En désignant la future mère par La Femme, Julien Blanc-Gras donne une portée universelle à son expérience personnelle qu’il va consigner comme un journal.Le récit s’ouvre sur les émotions contradictoires qui traversent le couple, à la lecture du test positif. Pour elle, à la fois la joie et l’affolement. Pour lui « tempête intérieure », « terreur », et nécessité de « rasséréner » La Femme. Il brosse un portrait  dithyrambique de cette Femme rayonnante, d’origine coréenne, et de lui-même, formant « une famille métissée ».

Le trouble  flagrant du narrateur se répercute dans ses gestes. Il nous fait sourire quand le mot Nutella surgit. On aurait envie de lui dire qu’il est bien au frigo ce pot !Voici son esprit taraudé de mille questions dont une de taille : et si c’était « une énorme connerie » ? Il nous confie ses angoisses devant la responsabilité à assumer. Et de  décliner la liste non exhaustive de  tout ce que Femme doit prévoir, s’interdire. Pourquoi pas envisager à plus long terme, y compris « la préinscription à Harward » ?

Très admiratif devant l’abnégation des femmes enceintes, il entre en empathie avec la Femme à la lecture de la première échographie, sidéré qu’il est devant cette « magie biologique ». Ce mystère lui fait dresser un parallèle entre la formation de ce foetus et la gestation de son roman. Amélie Nothomb se dit d’ailleurs enceinte de ses romans. Avouant son ignorance, il s’informe au maximum en conseils pratiques, écume la littérature et cite John Fante, Virginie Despentes, Emmanuel Carrère sans oublier ses propres textes. Il visionne des documentaires, assiste aux séances préparatoires à l’accouchement. Et enfin il faut déménager et « se farcir » une visite chez Ikéa !

Si ce « lardon » nourrit ce roman, le narrateur, double de l’auteur s’interroge sur le thème du suivant,soulignant que ses voyages ont alimenté ses ouvrages précédents. On reconnaît d’ailleurs ses allusions à Touriste et à Paradis ( avant liquidation). Il affiche son désir de poursuivre ses voyages ( afin de  ne pas s’étioler), de ne pas être esclave du môme, peut-être convaincu comme  Pablo Neruda qu’ « il meurt celui qui ne voyage pas, celui qui ne lit pas…, celui qui ne sait pas rire de lui-même ». L’esprit d’ouverture du narrateur globe-trotter le conduit à comparer les us et coutumes d’ autres pays quant à l’annonce d’une naissance. Il évoque ses reportages, dont un au Japon, songe à interviewer la Femme.

On plonge dans les pensées du narrateur , conscient de sa mission de père, anticipant le QI de son fils. Excessif dans ses propos, le futur père redoute d’être « réglé par un dictateur ».  Il anticipe déjà  sa carrière et s’interroge sur le métier(   « chômeur ou président? »), alors qu’il est encore « un assisté », « nourri et logé ».

Accélération du récit. Fausse alerte.  Le jour du  « débarquement »  imminent  précipite le couple à la maternité. Et si cela ne se déroulait pas du tout comme prévu ?

Le récit s’achève sur le portrait de famille de parents, « subjugués »,  en pleine « béatitude » devant leur « chef- d’oeuvre », « cette petite boule de clarté », que l’auteur affubla d’autres noms durant ce « voyage de neuf mois »: «  notre petite racaille », « Raoul », «  un petit mutant digital », d’ « alien », « un petit sauvage »

Dans ce roman, Julien Blanc-Gras entremêle histoire personnelle et histoire de l’humanité, remontant jusqu’à « bébé Cromagnon ». Il distille des réflexions sur les progrès acquis ( la pilule) et conseils : « être optimiste » pour procréer. Si certains ont besoin d’une Rollex pour s’accomplir, d’autres adhèrent à l’aphorisme de Compay Segundo : « Pour réussir sa vie, un homme doit faire un enfant, écrire un livre et planter un arbre ». Réussira-t-il cette trinité ? L’enfant est né, le livre est sa « couvade ». Laissons le mystère pour le choix de l’arbre. Julien Blanc-Gras signe un hymne à la Femme, aux mères, pétri de tendresse, d’amour et d’humour. A conseiller à tous les néo-parents et leur famille.

©Nadine Doyen