Chantal Couliou, vous êtes publiée par plusieurs maisons d’édition, Le Dé bleu, Rafaël de Surtis, La Porte, La lune bleue, Soc et Foc, Voix tissées, Gros textes, Unicité, Encres vives, les éditions du Petit Pois, les éditions Sauvage. Et dans plusieurs anthologies.
L’ouvrage-somme Femmes de lettres en Bretagne* vous présente parmi « les poétesses à lire et à découvrir » et précise que vous avez publié une trentaine de recueils, dont des haïkus. Depuis quand écrivez-vous ? Et quelle nécessité vous a poussée à publier ?
* Editions Goater, 2021. Matrimoine littéraire et itinéraires de lecture, du Moyen-Âge à nos jours, Gaëlle Pairel,Jean-Marie Goater, Geneviève Roy, Claude Thomas.
J’ai envie de vous répondre depuis toujours mais plus sérieusement à l’adolescence. Des poèmes de révolte. C’était une manière de dire un mal-être comme beaucoup de jeunes en général à cette période de la vie.
Une fois écrits, les poèmes ont besoin de prendre l’air, de vivre l’épreuve de la lecture par d’autres. La poésie se partage. La publication permet aussi la rencontre avec des plasticiens et des photographes. Je voudrais ici remercier les revues qui ont publié mes premiers poèmes : Lieux d’être, Les Cahiers Froissart, Friches, Spered Gouez/l’esprit sauvage… et mes premiers éditeurs Michel Cosem et Jacques Fournier.
Vos poèmes évoquent souvent la nature. Les titres des recueils sont très significatifs, Au creux des îles, De l’algue à la pierre, Dans les coulisses du jardin, Du soleil plein les yeux. Quelle place la nature et la mer, en particulier, ont-elle dans votre inspiration ?
Je vis au bord de la mer. L’océan ne peut pas nous laisser indifférent. Tantôt apaisé, tantôt en furie. Observer et écouter les mouettes, les goélands mais aussi les passereaux, le rouge-gorge, une mésange qui se nourrit de graisse en hiver sur le rebord d’une fenêtre, le coucou annonciateur du printemps, le hululement de la chouette au cœur de la nuit. L’arrivée des primevères sur les talus ne cesse de m’émerveiller et ce depuis mon enfance. Je ne m’en lasse pas. Nous vivons avec la nature que nous malmenons alors qu’elle est pour nous source de sérénité. Le défilé des saisons dans les arbres m’accompagne. Il suffit de me pencher à la fenêtre pour les retrouver
Le soleil, la pluie, le vent influent sur notre présence au monde, modèlent nos sensations, nos émotions. Le vent nous ramène à notre fragile condition d’homme face à la force des éléments. Les tempêtes, les cyclones, sont là pour nous le rappeler. Impossible de lutter contre.
Vous reprenez à votre compte la belle formule d’Abdellatif Laâbi, le grand poète marocain dont le nom, la vie et les poèmes incarnent un idéal d’humanisme et de justice : » De l’homme à son humanité la poésie est le chemin le plus court le plus sûr ». Pouvez-vous nous dire comment cette dimension traverse vos propres poèmes ?
Celui qui lit, qui écrit de la poésie montre une part d’attention à l’autre, aux autres. Il tente de comprendre un univers, le sien et ceux plus lointains. La poésie console. La poésie nous permet de regarder au-delà de nous-mêmes. Elle est une présence au monde, le contraire de l’indifférence. Je suis poreuse à ce qui se passe à l’autre bout de la planète ou tout près de moi. Je suis poreuse à la vie de l’autre, à ce qui peut le blesser, le rendre heureux et c’est cela qui crée le besoin de dire, d’écrire. La poésie est bonheur, malheur, échecs, joies, réussites, … J’écris à partir de mes émotions, de ce que je ressens.
L’on est frappé à vous lire par la dimension lyrique de votre univers poétique. D’un côté, une poésie du quotidien, simple, évoquant soit votre vécu d’enseignante, ou la petite maison en granit, ou ces souvenirs d’une grand-mère dans Le temps en miettes, éditions Soc et Foc :
« Toujours assise au même endroit
les mains
croisées sur ses genoux,
elle voyage
sur l’un de ces cargos
béats d’exotisme.
Sur ses épaules
le murmure des années
et dans ses yeux
le regard d’un ancêtre chinois »
Mais pointe aussi cette curiosité pour souci l’ailleurs avec l’Île de Pâques dans Rapa Nui. Et le souci du monde qui souvent tourne mal : « Attentat à New-York / rapt de jeunes filles au Nigéria », écrivez-vous. Y a -t-il une double tonalité dans votre écriture ?
Double tonalité oui parce que je vis ici et maintenant mais que je connais d’autres ailleurs et ces ailleurs sont ancrés en moi.
Le poète voyage sur des chemins de traverse. Il découvre et partage de nouvelles terres lointaines. Lire et écrire permettent d’enrichir le regard sur le monde, éveillent notre curiosité, nous incitent à la remise en question, au doute.
La Bretagne, terre de légendes, les grands explorateurs partis de Brest, l’océan, la poésie me poussent à regarder plus loin, de l’autre côté du monde.
Vous mettez ces mots de Charles Juliet en exergue de votre recueil Une traversée de soi, éditions Sauvages : » Ecrire pour repousser mes limites, agrandir mon espace intérieur, me rendre plus libre ». Pouvez-vous nous éclairer ? En quoi vous retrouvez-vous dans ce propos ?
Ce recueil a été écrit durant ces deux dernières années de Covid, avec des périodes de confinement plus ou moins longues. L’écriture m’a permis de passer au-delà de cet enfermement forcé et de la vie sociale mise en berne. Elle m’a permis de ne pas me recroqueviller sur moi-même. Tout en écrivant, je lisais ou tout en lisant, j’écrivais pour m’offrir et m’ouvrir à d’autres horizons, d’autres espaces. En dehors de ce recueil, l’écriture me permet de dire ce qui m’anime, me fait vibrer ou bien m’attriste. Comme si je déposais un fardeau pour pouvoir aller plus loin.
Vous reprenez à votre compte ce propos de Joël Vernet pour dire votre venue à l’écriture : » Lire à en devenir fou. Ecrire alors pour contrer cette folie de la lecture. Terre immense des livres. Plusieurs vies nous seraient nécessaires pour accomplir ce long voyage. ». Pouvez-vous évoquer ces poètes qui vous ont accompagnée et quel apport vous avez trouvé chez eux ?
Un partage. Je me sens moins seule pour affronter la vie. Je retrouve chez d’autres ce qui me met en joie, ce qui me chagrine, ce qui me permet de comprendre la vie, le monde. Depuis toute petite je suis passionnée par les livres, la lecture.
Quant aux poètes que j’aime côtoyer, ils sont nombreux. Je lis mes contemporains. J’essaie de me faufiler dans des univers, des écritures différentes pour élargir mon propos, pour en quelque sorte agrandir mon écriture. C’est un travail sans fin, le poème remis sur l’établi tous les jours.
Comme le dit si bien Colette Nys-Mazure « Lire m’entraîne dehors comme dedans ».
J’aime Guillevic pour sa brièveté, ses poèmes ciselés. Xavier Grall pour ses poèmes inspirés du terroir breton, de la rudesse de la vie en Bretagne à son époque, François de Cornière pour sa poésie du quotidien, Antoine Emaz pour sa concision ; j’apprécie aussi beaucoup ses écrits en prose : Cuisine, Flaques, Planche, Cambouis, Lichen encore,… J’ai le sentiment de partager la vie avec ces poètes tels Joël Vernet, Charles Juliet. Ils disent quelque chose de mes émotions, sensations dans leurs mots. Ils me permettent de savoir que je ne suis pas toute seule. Leur poésie résonne en moi.
Vous avez réalisé des livres d’artistes, avec Lydia Padellec, elle-même poète et fondatrice des éditions La lune bleue. Et Marie Desmée, plasticienne et poète. Vous aimez la peinture et vous avez écrit sur la photographie l’ouvrage Saint Denis, fenêtres ouvertes, éditions PSD. En quoi ces expériences au-delà des mots vous attirent-elles ?
J’aime écrire avec des artistes, des photographes parce que cela me permet d’entrer dans un nouvel univers, rencontrer quelque chose de nouveau. Concernant l’ouvrage sur Saint Denis, c’était une très belle aventure que celle d’écrire à partir de photos sur le vieux Saint Denis. Je devais imaginer cette ville, non pas telle que je la connaissais mais comme elle avait pu être autrefois. Cet album s’est construit avec un historien–photographe Pierre Douzenel qui m’a raconté sa ville. J’ai découvert des tas de choses passionnantes non seulement sur l’histoire mais aussi sur l’architecture, la vie quotidienne, la vie politique,…
Ecrire sur une œuvre d’art permet de prendre de la hauteur, du recul par rapport à son écriture car souvent les mêmes thèmes sont à l’œuvre dans mes poèmes et vous les avez notés plus haut. Le partenariat avec d’autres arts oblige à sortir de sa zone de confort. Ecrire à partir de photos, de peintures, d’œuvre d’art permet de se mettre hors de soi, de se mettre à la place de l’autre d’une certaine façon, permet de s’approprier une autre forme de pensée.
Travailler par exemple avec la plasticienne Choupie Moysan est une aventure qui se poursuit à la fois du côté de l’illustration, de l’édition (CMJN) puisqu’elle a permis l’édition de Grand Large avec les illustrations de Marguerite Roland (encres et pastel) et de l’écriture puisque nous avons écrit ensemble Sens dessus dessous et Du bleu en tête. D’autres projets sont en cours avec une troisième complice d’écriture, Régine Bobée ( co-auteur aussi des deux livres cités précédemment).
À quatre reprises, j’ai travaillé avec Evelyne Bouvier. Ses aquarelles sont magnifiques et s’allient parfaitement avec mes écrits. Elles résonnent en moi.
Vous vous êtes tournée vers le haïku, en particulier avec Du soleil plein les yeux éditions Uniciét..En quoi la forme épurée, la soudaineté de cette forme poétique correspondent-elles à votre sensibilité ?
J’ai découvert le haiku en 1995 sous la houlette de Jean-Hugues Malineau. La lecture dans la foulée de A Kyoto rêvant de Kyoto de Basho aux éditions Moudarren et celle de Fourmis sans ombre confirma ma passion pour ces petits poèmes. Depuis, le haïku est devenu un fidèle compagnon. Membre de l’Association Francophone de Haïku et fidèle de Gong dès ses premiers pas. Le haïku est pour moi un bol de légèreté, un zeste de fraîcheur, une pincée d’impertinence, une multitude de clins d’œil et plein d’autres choses encore.
J’ai commencé par lire les « classiques » Basho, Buson, Shiki, Issa… Au moment de cette rencontre, j’étais une jeune maman qui devait mener plusieurs « tâches » de front et qui avait peu de temps devant elle. Le haiku m’a peut-être, dans un premier temps, captée pour cela ? Captée aussi parce qu’il permet de dire les choses simples du moment telle la photographie d’un instant. Il permet d’être plus présent au monde, à ce qui nous entoure, à cet oiseau qui prend son envol, à cette mouche qui nous embête, à cet autre qui nous interpelle.
Le goéland/sur le parcmètre/à quel tarif ?
À table/la mouche/et moi
Ce dimanche/ croisé mon ex/vide-grenier
Il nous permet d’être moins indifférent au monde dans lequel nous vivons. Il nous pousse à l’observation pertinente. Le haiku contrairement à ce que l’on pourrait penser, du fait de sa longueur, est quelque chose de difficile à écrire. Il faut le raboter, le limer, enlever toutes les scories pour n’en garder que l’essentiel.
Vous écrivez aussi des nouvelles publiées aux Découvertes de La Luciole, Unicité et en revues… Et des textes pour la jeunesse. À quoi répondent chez vous ces formes différentes d’écriture ?
Cela dépend des périodes de ma vie et du temps dont je dispose. L’écriture jeunesse est (était) en lien avec mon métier d’enseignante.
Quant à la nouvelle, elle se fait urgente lorsqu’un développement plus long s’impose. Chaque forme littéraire a quelque chose de différent à dire. L’écriture d’un haiku ou d’une nouvelle, ne relève pas du même ressort. Cela ne fait pas appel au même besoin, aux mêmes exigences. La nouvelle est une écriture qui exige du temps, du travail.
Votre dernier recueil est publié aux éditions Sauvages crées par Marie-Josée Christien et poète elle-même et animatrice de la revue Spered Gouez. Pouvez-vous nous parler de ce recueil qui vous a valu le prix Paul Quéré ?
L’édition du recueil est la récompense du prix Paul Quéré, prix qui est en lien avec ma démarche poétique. Une traversée de soi a été écrit durant ces deux années de pandémie. De derrière mes fenêtres, j’ai pu observer le monde proche, la mer, la neige sur la ville enrobée de silence, la vie, même réduite, qui surgissait ici et là dans le chant d’une corneille, les criailleries des goélands, la visite quotidienne d’un rouge gorge. Malgré les aléas de cette épidémie, je guettais la lumière, la lueur d’espoir, le rayon de soleil. Cette période nous a montré notre vulnérabilité, notre humble place dans un monde qui nous dépasse, dans un monde plus grand que nous et qui peut bouleverser nos vies du jour au lendemain sans que nous en ayons vraiment idée. L’espoir du mieux était toujours là, tapi dans un coin de mon cerveau. Espoir qui permet d’avancer chaque jour. La lecture m’accompagnait durant cette résidence à domicile forcée. Je n’étais pas toute seule. L’important dans tout cela étant d’être vivant et de profiter de chaque instant. En même temps que cette traversée d’épidémie, les années passent et le corps se fait moins souple, plus douloureux. Le temps m’est de plus en plus compté. Autant de raisons pour ne pas s’enfermer dans la jérémiade et garder un œil émerveillé sur ce qui fait notre quotidien, notre vie.
Extraits
Chantal Couliou, Une traversée de soi, ED SAUVAGES ,76 pages, EAN : 9782917228623
1-
Face à la fenêtre,
loin des turpitudes du monde
tu écoutes le silence.
Indécise face au rêve
à choisir,
tu suis des yeux
l’envol du moineau
venu picorer
quelques graines.
Le jour altier
éclate de toute
sa lumière bleutée.
2-
Peu à peu
notre paysage se couvre
de couleurs pâlies
de nuances ternies.
Nous n’avançons plus
à grandes enjambées.
Nous avons mis le cap
sur les jours ridés.
La marche est moins assurée
et il faut mesurer
la difficulté de passage
à l’aune
de la rigidité de nos corps.
3–
Ces derniers temps
la mer est désespérée.
Elle se sent
bien seule.
À contre-jour
dans le silence
de nos intérieurs,
le jeu infini
des vagues.
4-
Assignés à résidence
par la force des choses.
Les vagabondages
d’un virus
venu d’on ne sait où,
ont mis un coup d’arrêt
à nos vies de nomade.
Seuls les étourneaux,
ponctuels,
en folles nuées
continuent leur ballet
dans le ciel.
En toute liberté.
5-
Les conversations reprennent
timidement
à distance,
masquées.
Les gestes avortés,
incertains,
les sourires oubliés.
Il faudra
désormais
compter avec
le doute et l’angoisse.
6-
Des heures
légères-
d’autres
de plomb.
Du virus,
il ne sait rien
le frêle rouge-gorge
à ma fenêtre.
Il chante
quand vient le jour
Partager avec lui
cet instant
de légèreté.
7-
La légèreté
se dérobe
sous nos pas.
La mort guette
à chaque coin de rue.
Le printemps explose.
Le vent court
à perdre haleine
dans les rues désertées.
Une ville muette
se terre dans son silence
– sous un ciel lumineux.
En quête
d’une nouvelle façon
d’habiter le jour,
nous tentons
de nous libérer
de nos angoisses
Chantal Couliou, Légers frissons, éditions Donner à voir, collection Tango, 2019
Les yeux fermés
tu gobes le vent
une petite brise légère
de bord de mer
une odeur salée
de vent d’été
qui te rend la vie
plus douce.
* * *
Le soleil est là
et nous nous défaisons
de nos vieilles pelisses
de l’hiver
Nous déposons
notre fardeau
au creux des fossés
pour capter
la légèreté de l’air.
* * *
Ma peau contre ta peau
je retrouve un peu de la
sérénité
qui m’avait quittée
Ton corps piège
mes angoisses
et ta voix apaise
mes tourments.
Chantal Couliou, Le temps en miettes, éditions Soc et Foc, 2017
Après une saison
d’encre et d’insomnie
ses mains se dénouent,
et fil à fil,
elle tricote
une écharpe de petits riens
qui l’aide
à passer le gué du désespoir.
Ses mains tirent à nouveau
sur les ficelles du cerf-volant
brodé de bonheur.
* * *
Le poids du vent
– si lourd –
sur nos fragiles épaules.
A l’heure du doute,
où sont nos enfants ?
Les chemins se resserrent
le combat se termine,
le temps suspendu
à ton souffle si ténu.
Et pourtant, à l’aube
un nouvel espoir
qui déclinera avec le jour.
* * *
Il est dit,
de bouche à oreille,
que la vie
n’est pas éternelle
et qu’un jour,
il faut se résigner
à tout quitter.
Chantal Couliou, Sur les ailes du poème, éditions Voix Tissées, collection AAA, 2019
D’un bout à l’autre du chemin
sauter
de caillou en caillou
pour éviter les trous d’eau
et dans le secret
des chemins creux
écouter le concert des oiseaux
puis s’incliner
devant le jour
qui se teinte de légèreté.
* * *
Il faudrait demander
un sursis au vent
pour qu’il nous laisse tranquille
un petit moment,
pour qu’il arrête de nous vriller les oreilles,
pour qu’il cesse de nous harceler.
Il finit par épuiser
notre patience.
* * *
Qu’a-t-il ce matin
le corbeau
perché
sur le toit du préau
comme un dieu noir ?
Il ne cesse de croasser
d’un ton vindicatif.
Chantal Couliou, Dans les coulisses du jardin, éditions Voix Tissées, Collection AAA, 2020
Sur les cheveux
de papy,
un jour d’hiver
la neige s’est posée
et y est restée.
* * *
Le jardin est à l’abandon,
le jardinier s’en est allé.
Il a tiré sa révérence
par un beau soir d’été.
* * *
Cette année
les oiseaux du printemps
ne chantent pas.
Merles et grives,
mésanges et pinsons,
d’un commun accord
se sont tus
comme pour accompagner
le jardin
dans sa tristesse.
Chantal Couliou, Macules, livre d’artiste avec FIL, Atelier Miennée, 2019
Pelure après pelure,
les tenailles du temps,
les mâchoires du vide
se resserrent autour de tes bras
et te retiennent.
Impossible
de faire un pas de plus.
* * *
La peau étirée,
écartelée
entre l’ombre et la lumière.
De chaque côté,
un océan de glaise
et les débris de
la mémoire inscrite
dans la terre
des ancêtres.
* * *
Une femme
aux multiples vies
se réfugie dans le silence
des couleurs.
Le vent ne peut décoiffer
ses cheveux tissés
à la perfection.
Elle restera une inconnue.
Chantal Couliou, Du soleil plein les yeux, ( haïkus) éditions Unicité, 2020
À perte de vue
une marée jaune –
champs de colza
Une tache rouge vermeil
dans le cerisier en fleurs –
un pull oublié
Derrière la fenêtre
le cerisier en bourgeons –
neige d’avril
Au fond de la rade
des bateaux en fin de vie
sans fleur ni couronne
Brouillard sur le cimetière
toutes les tombes à égalité –
dans le flou
Face à l’océan
ne pas perdre son chapeau –
un bras de fer
Tempête en mer
pas de courrier pour les îliens
l’île encore plus seule
Nouvelle : Le pull orphelin,
nouvelle de la semaine sur le site de la revue Saint Ambroise du 22 au 29 juin 2020
Le pull orphelin
Ils se sont donné rendez-vous sur l’aire d’autoroute de Villiers. Pas très romantique mais rapide et efficace. Jenny déteste ces endroits mais force est de constater qu’on y trouve à peu près tout ce dont on a besoin quand on mène leur style de vie. On gagne surtout beaucoup de temps. Les heures sont comptées. Pas d’arrêt intempestif. On peut tout y faire ou presque, la pause pipi, la pause bouffe, …. Ils ont choisi cette aire là parce que c’est une des aires les plus boisées qu’ils connaissent. Les arbres sont importants pour eux. Pouvoir piquer un petit roupillon sous l’un d’eux caressé par une brise légère, ça n’a pas d’égal. Parfois ils jouent même les touristes en s’installant à une des tables de pique-nique, les jours de beau temps et plutôt en été. Ils aiment bien cet endroit parce qu’on peut y faire aussi un peu de sport, se dérouiller les muscles, se dégourdir les jambes. Et dans leur cas, c’est une nécessité. S’étirer au maximum, s’assouplir,…avant de reprendre la route.
Les néons clignotent à la boutique de la station. Il y a un va-et-vient entre les toilettes d’où provient une forte odeur d’urine, et le bar où se boivent quelques expressos aussitôt éliminés. Jenny et Claudio s’installent dans le coin le plus éloigné. Ils ne se sont pas vus depuis deux longs mois. Ils ont pas mal de choses à se raconter. Puis ils décident d’aller déjeuner au snack. Certes ce n’est pas de la haute gastronomie mais cela permet de manger chaud et pour pas trop cher. Leur temps est minuté. L’un doit remonter sur Paris et l’autre descendre vers l’Espagne. Au moins Claudio y retrouvera le soleil. Il en a marre de la pluie incessante qui rend ces journées pénibles, fatigantes et même dangereuses avec toujours en tête des objectifs à respecter. Jenny est plus cool. Elle lui parle du dernier Alain Souchon Ame fifties qu’elle se passe en boucle à longueur de voyages. Elle a tous les CD de Souchon et ne s’en lasse jamais. Une pointe de légèreté et de tendresse jalonne ces longues journées de travail.
Jenny et Claudio ont l’habitude de se retrouver sur les aires d’autoroute pour se raconter des morceaux de leurs vies respectives. Ils se sont connus lors d’une halte sur l’aire du Rossignol.
Cette fois- là, ils descendaient tous les deux vers Marseille et on peut dire qu’ils avaient fait le voyage ensemble.
Quelques mois plus tard, Jenny attend Claudio sur l’aire d’autoroute de Villiers depuis une bonne heure déjà. Elle est très inquiète car Claudio n’est pas au rendez-vous. Ce qui n’est pas dans ses habitudes. Il est ponctuel et déteste être en retard. A-t-il eu un problème?
Des gangs organisés venus de l’Europe de l’Est leur mènent la vie dure. Ils doivent être sans cesse vigilants et ne pas relâcher leur attention car en un rien de temps leurs précieuses cargaisons peuvent mystérieusement s’envoler. C’est ce qui est arrivé, ici même, l’été dernier à Fabrice. Jenny décide d’attendre Claudio au chaud. Il saura bien la retrouver. Elle ne quittera pas les lieux avant d’avoir de ses nouvelles. Son portable reste muet. Bizarre, Claudio ne l’a pas prévenue de son retard. Quand elle essaie de le joindre, il est sur messagerie. Sa voix la rassure un peu mais pas longtemps. Elle ne se sent pas très bien. Nauséeuse. Mal de tête. Le stress et l’angoisse enflent.
A la télé qui fonctionne ici à longueur de journée, un flash info spécial trafic. Il vient de se produire un terrible accident sur l’autoroute en Espagne, non loin de Barcelone. D’autant plus grave qu’on est en pleine période de transhumance et que les automobilistes sont nombreux sur la route des vacances. Un gigantesque carambolage. Un camion- citerne a explosé et a entraîné l’embrasement de plusieurs véhicules. Arrivés très rapidement sur les lieux du drame, les pompiers ont tout fait pour maîtriser le feu le plus vite possible. L’incendie risquant de se propager dans les champs alentour où tout est très sec. Il n’a pas plu ici depuis deux mois. Jenny reste scotchée à l’écran. Elle le dévisage, essayant de comprendre. Elle appelle immédiatement Fabrice qui ne peut lui en dire plus. Lui est en Allemagne. Alors Jenny décide de téléphoner à Marina la compagne de Claudio. Le répondeur aussi. Elle en passe des coups de fil mais personne ne peut lui donner de nouvelles. Jenny décide de reprendre la route devant être à 20H00 à Paris. Elle aura beaucoup de retard mais qu’est le retard face à cette rencontre manquée. Jenny voulait inviter Claudio et Marina à son mariage. La jeune femme a décidé de changer complètement de vie à la rentrée et d’abandonner son semi- remorque. Vingt ans passés dans le monde des routiers. Vingt ans de belles rencontres, d’amitié. Vingt ans d’aires d’autoroute. Jenny repart au volant de son 36-tonnes en direction du Nord. Elle n’écoute pas Alain Souchon mais la radio. Elle essaie de rester vigilante. Ses yeux s’embuent à la vue de la photo de Claudio dans sa cabine.
Aura-t-elle des nouvelles avant son arrivée à Paris? Elle sait que ses amis routiers lui en donneront dès qu’ils en auront. Il existe une grande fraternité dans ce monde de la route, contrairement à ce qu’on pourrait penser.
Elle devait lui rendre un pull prêté lors d’une halte à Lyon. Le pull risque de se retrouver orphelin.
Biographie – Chantal COULIOU
Chantal COULIOU est née à Vannes en 1961, auteure d’écrits poétiques. Elle vit entre Brest et le golfe du Morbihan.
De très nombreuses publications en revues : Arpa, Friches, IHV, Lieux d’être, Spered Gouez,… et en anthologies : L’alphabet des poètes, éditions Rue du Monde, Nos bonheurs d’école, Les Arènes, Chaque enfant est un poème, éditions Rue du Monde, Secrets de femmes, éditions Pippa …
Une quarantaine de livres publiés (poésie, haïkus, nouvelles)
Poésie
- Une traversée de soi, collection Ecriterres, Les Editions Sauvages, 2022, Prix Paul Quéré 2021-2022
- Du soleil plein les yeux ( haïkus), éditions Unicité, 2020
- Dans les coulisses du jardin, collection AAA, éditions Voix Tissées, 2020
- Insulaires ( haïkus), collection Dessert, éditions Les Carnets du dessert de Lune, 2020
- Papillotes, tirage limité en typographie, Atelier de Groutel, 2019
- Légers frissons, collection Tango, éditions Donner à Voir, 2019
- Sur les ailes du poème, collection AAA, éditions Voix Tissées, 2019
- Sens dessus dessous, haïkus en collaboration avec Régine Bobée et Choupie Moysan, éditions Envolume, 2018
- Seul le bleu demeure , acryliques de Lydia Padellec, tirage limité et signé éditions de la Lune bleue, 2017
- Sans préavis, La Porte, 2017
- Le temps en miettes, éditions Soc et Foc, 2017
- Dans le silence de la maison, éditions du Petit Pois, 2016
- Le chuchotis des mots, collection Laluneestlà, éditions Les Carnets du dessert de Lune, 2016 – Prix Joël Sadeler 2017
- Fragments d’alphabet, Collection Blanche, éditions Encres Vives, 2016
- Le temps est à la pluie, 2014, La Porte
- Croqués sur le vif, collection lalunestlà, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2012
- Variations autour d’une île, 2012, Collection Lieu, éditions Encres Vives
- Au creux des îles, 2012, éditions Soc et Foc- Prix Camille Le Mercier d’Erm décerné par l’Association des Ecrivains Bretons 2013
- Rapa Nui, 2012, éditions Rafaël De Surtis
- Le vieux vélo de Jules, 2010, ( haikus) éditions La Renarde Rouge
- Une poignée de mots et un peu de vent, 2009, Coll. Dessert, éditions Les Carnets du Dessert de Lune
- A cloche pied, 2009, Coll. A la cime des mots, Tertium éditions
- Géographie de l’eau, 2009, Coll. Le Poémier, éditions Corps Puce
- Au cœur du silence, 2008, La Porte
- Le soleil est dans la lune, 2008, Coll. Le Poémier, éditions Corps Puce
- Pour apprivoiser le vent, 2008, encres d’Annie Bouthémy, S’éditions
- Ciel de traîne, 2008, éditions Clarisse
- La rumeur de l’hiver, 2008, Coll. Blanche, Encres Vives
- A fleur de silence ( haïkus), 2007, seconde édition, 2015, Soc et Foc – Liste de référence « lectures pour les collégiens », 2012, Ministère de l’Education Nationale
- Carnets de petits bleus à l’âme, 2004, Les carnets du Dessert de Lune
- L’avancée des jours, 2004, Eclats d’encre
- Point d’attache, 2003, Gros textes
- Saint-Denis, fenêtres ouvertes/ en collaboration avec le photographe Pierre Douzenel, 2003, PSD
- Jours de pluie, 2003, Club zéro
- Lettres à Yvan,2003, La Porte
- Il y a des jours, 2001, Fer de Chances
- Des chemins de silence, 2000, Blanc Silex
Petits bonheurs, Collection Le Farfadet Bleu, 1999 Le Dé Bleu
- Les petites blessures de la nuit, 1998, Cahiers Froissart
- Petite suite pour un été, 1998, fer de Chances
- Mémoire de pierre, 1998, Encres Vives
- Le chuchotement des jours ordinaires, 1997, L’épi de seigle, Prix Press- Stances 1997
- De l’algue à la pierre, 1997, Encres Vives
Livres d’artiste
- Macules, illustrations de FIL, Les Ateliers Miénnée de Lanouée éditions, 2019
- Infini et Un reste de lumière avec la plasticienne Maria Desmée, 2019, chez l’artiste
- Pluie sur les rochers avec la plasticienne Choupie Moysan, L3V,mt-galerie, 2014
- Grand Large avec Marguerite Rolland ( encres et pastel ) , CMJN éditions, 2013
Nouvelle
- Un été au bord de la mer, éditions Unicité, 2021
- Une petite pluie, 2006, Les Découvertes de La Luciole
Pédagogie
- La clé des mots , 2012 éditions Buissonnières