JEAN MAISON – La vie lointaine – (Ed. Rougerie – 2014)

Chronique de Xavier Bordes

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JEAN MAISON – La vie lointaine – (Ed. Rougerie – 2014)


Ce recueil de Jean Maison, poète qui je l’avoue m’était encore inconnu récemment, est le seizième de son oeuvre ! C’est dire que sa poésie est secrète et discrète, intime, autant que son auteur. Mais toute poésie n’est-elle pas confidence, n’est-elle pas confidentielle, déploiement d’une circonstance « privée » dont les ondes et les échos se répercutent sur le mur de la page et s’en rediffusent vers la conscience du lecteur selon l’aptitude réceptive propre à la lecture de chacun… Je précise cela, dans la mesure où le mystère de la poésie de Jean Maison s’obstine à m’échapper dans une certaine mesure, à moi, qui suis un esprit terre à terre, sans que pour autant le secret de cet auteur me dérobe la pertinence de ses formules. Ainsi, le bref tercet liminaire du recueil donne le ton, et ce ton est déjà comme un programme:  

Aimer dans le secret

Voici l’aune de l’amour

La divination admirable

S’ensuivent quarante-sept poèmes, plutôt courts, dont j’envie l’association entre beauté et charge de sens, en laquelle parfois affleure une nuance d’humour:

Il demeure des mots

Pris au désoeuvrement

Par des pas immobiles

Ou encore le distique paradoxal qui titre le livre et l’éclaire :

LA VIE LOINTAINE

Le poète vit dans l’avenir

D’où il n’est plus

Parfois l’on croise un signe « cuivré » d’automne occulte, et comme une sorte d’heureuse mélancolie, un rien héroïque, qui recueille en son poème le fardeau de ce qu’on est convenu d’appeler « condition humaine », avec ses côtés sombres :

Attendre encore

La mélancoluie d’un voeu

L’allure patiente des feuillages

L’adresse des oiseaux

Défaits dans le silence battant des filets

 

Rien de plus dans ce carnage

que donne alors un sanglot

Pour le cuivre des arbres

La charité éteinte à l’adret

Il y a une nuance de crépuscule latent dans ces poèmes inépuisables, écrits « sous la feuillée du soir », que l’auto dérision sauve de toute mièvrerie, sans les priver de leur intensité de sentiment :

Le dernier soir

Où tu te caches

Ne te ressemble pas

Il court après sa victoire

Comme un singe sur des échasses

Se couche devant la serpe

 

Il est le don

Qu’un âne bâté

Entraîne par les chemins

Cette suite de poèmes petits en taille, selon la tradition instituée par beaucoup de poètes laconiques du siècle passé, ne manque pas de grandeur, et le côté lointain de la vie, au fond, est une distance très contemporaine vers l’altitude qui nous manque, vers la hauteur noble d’une poésie hors du temps, qu’alimente un magnétisme à couleur d’éternité, par lequel je me suis laissé volontiers fasciner du fait que l’écrit n’en est pour autant jamais désincarné ; il nous ramène toujours à une sorte d’ici-bas objectif, palpable, après des incursions dans les sphères de ce que j’ose appeler « l’idéal » au sens mallarméen du terme. J’en veux pour preuve, parmi la foule d’énoncés pensifs, celui-ci que je goûte particulièrement :

L’ivresse de dire

 

La bonne page

Garde sa mesure

Et les fenêtres leurs rideaux

Dans ce constant souci de Jean Maison pour garder la « mesure », qui est bien l’un des fondements immémoriaux du langage lyrique, poussé jusqu’à son plus aidant et son plus beau avec ce but fameux de nous rendre à une harmonieuse « habitation de cette terre », j’ai trouvé une voix fraternelle, admirable, et j’ai l’honneur de saluer ici, au sein de notre commune « continuité solennelle / Dont personne ne peut s’affranchir », ma découverte honteusement tardive d’un authentique poète, auquel je souhaite une foule d’autres lecteurs…

 

©Xavier Bordes