Chronique de Lieven Callant
L’Hypothèse du Tout, précis de (méta)physique à l’usage du commun des immortels, Leafar-izen, Mézigue Editions, 156 pages.
Au plus profond de mes tristesses, j’ai longtemps cru qu’il n’y avait rien. Rien et moi et mes épaules lourdes du regard des autres. Ceux qui ne faiblissent jamais et qui portent sans jamais en douter toutes les certitudes qui leur permettent d’aller de l’avant sans bifurcations inutiles ni par les pleurs, ni par les rires des remises en questions.
Je suis dans le terminal F ou D de l’aéroport Charles-De-Gaule, un de ces lieux que l’on veut vaste. Structures métalliques et verrière, pas un seul mur. Pourtant, si je n’avais un livre pour me réfugier comme un escargot dans sa coquille, je craindrais à tout moment la brûlure fatale.
Ce livre est « L’Hypothèse du Tout » mais il aurait pu s’agir de n’importe quel autre livre. Car un livre, quand il est bien écrit, ouvre toutes les voies du possible, ouvre les portes d’autres univers qu’on ne soupçonnait pas et quand il s’agit de poésie, les champs s’élargissent encore pour atteindre ces endroits non clos où l’infiniment petit et l’infiniment vaste se côtoient. C’est sans doute pour cette raison que je crois qu’il est bon, sinon indispensable qu’un poète se tienne au courant des avancées scientifiques de son époque et des époques antérieures concernant l’univers dans lequel il vit. Car la réalité ou les réalités selon le point de vue qu’on adopte dépassent parfois nos rêves les plus complexes pour les nourrir. On peut finir par admettre que sa propre mélancolie, son mal-être n’a rien d’absolu. Il n’existe que par rapport à une situation bien particulière et dans mon cas, le point de vue d’une société occidentale consumériste qui rejette en masse les citoyens qui ne peuvent ou ne veulent satisfaire aux critères qu’elle pose en lois universelles.
« L’hypothèse du Tout » en se référant à la théorie d’Evrett (https://lejournal.cnrs.fr/billets/peut-tester-les-univers-paralleles et https://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_d%27Everett )a cet effet bienfaisant de ne plus faire croire qu’il est utile de se placer soi et ses petits bobos au centre du monde afin de pouvoir exister. L’existence n’est pas ce qui consiste à réfuter au profit d’une vision égocentrique le caractère multidimensionnel de la vie. Au néant vide et desséché, l’auteur oppose un Tout multiple qu’il ne faut pas confondre avec un Dieu unique auquel il faut croire sans comprendre, duquel il faut attendre qu’il nous donne lois et mesures qui satisfassent nos angoisses individuelles. A cette entité individuelle, fermée et qui ne peut maîtriser sa trajectoire, il oppose l’être, l’existence, ce que nous sommes précisément à un moment donné, en un endroit quelconque et qui est en mesure d’imaginer, de rêver, de concevoir un monde qui contiendrait bien plus que trois ou quatre dimensions.
Leafar Izen explique d’une manière accessible à tous les dernières avancées théoriques concernant les grandes questions que nous pose l’univers. Ainsi, nous prenons conscience qu’aucune de nos théories, de la physique classique ou de la physique quantique, qu’aucun de nos systèmes, n’est en mesure de tout expliquer. Chaque système a ses failles. Afin de comprendre pourquoi, l’auteur revient sur certaines notions fondamentales:
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- Le mur de Planck, la limite du monde observable, la lumière n’aurait pas eu le temps de nous atteindre.
- L’indétermination quantique,
La masse manquante et l’énergie noire,
L’expérience du chat de Schrodinger.
Au moyen d’exemples simples et grâce à un bref rappel de quelques notions mathématiques, il nous permet de comprendre que la réflexion qu’il propose et qui entraine un changement de point de vue sans doute radical pour beaucoup d’entre-nous, s’appuie sur des bases scientifiques sérieuses. Il nous offre une vision philosophique de celles-ci, vision qui nous permettra d’en tirer des applications concrètes dans notre vie de tous les jours. Notamment en matière de tolérance, d’acceptation et de résilience.
Leafar Izen s’intéresse de près aux fractales, ces structures mathématiques que l’on retrouve dans certains objets de la nature tel le chou romanesco qui figure sur la couverture du livre et sert de métaphore à l’auteur pour appuyer l’idée principale du livre qui consiste à nous révéler entre autres, qu’il n’y a pas qu’une seule clé pour ouvrir le mystère, que le modèle proposé par notre société occidentale n’offre qu’une vision partielle et orientée de la réalité. Que le néant, le chaos, n’équivalent pas le vide nihiliste auquel notre conception matérialiste les associe. Qu’en faisant le choix du Tout, on ne fait pas celui d’une croyance absolue universelle, on change de point du vue, on change de dimension, on accorde son existence à ce qu’elle a toutes les chances d’être. Souvent au-delà des apparences directes, visibles, matérielles.
Il m’appartient de choisir en connaissance de cause, un modèle, une éthique sur laquelle baser mes expériences de vie. Ce modèle n’a rien d’universel mais est opposable à n’importe quel autre. Il plaide pour la tolérance, cette forme d’intelligence qui n’a de cesse de remettre en cause ce qu’elle est curieuse d’apprendre.
Leafar Izen est un des auteurs publiés par la revue Traversées dans le n°87. Son site internet (www.leafar-izen.com) est à consulter.
L’Hypothèse du Tout, est proposé dans l’une des rubriques du site avec comme exergue cette phrase:
« Nous sommes tous d’accord sur le fait que cette théorie est folle. La question qui nous divise : est-elle assez folle pour avoir une chance d’être correcte ? » (Niels Bohr)
Le livre cite de nombreux scientifiques, philosophes, écrivains de la même manière, une manière ludique et lucide qui vous met sur la voie de l’envie d’en apprendre toujours plus.
©Lieven Callant
https://youtu.be/UjaAxUO6-Uw