Chronique de Xavier Bordes
Maryline BERTONCINI – La dernière œuvre de Phidias (Jacques André ed. – Coll. Poésie XXI.)
Maryline Bertoncini appartient à la courageuse équipe qui poursuit opiniâtrement l’entreprise de « Recours au Poème », fondée notamment par Gwen Garnier-Duguy. C’est un indice que la poésie de cette dame du Sud est alimentée par un intérêt littéraire de longue haleine. Il m’est, à titre strictement personnel, agréable de savoir que son écriture poétique entre ici en résonance avec la Grèce et la figure célèbre autant qu’énigmatique du fameux sculpteur Phidias, créateur entre autres de statues géantes des divinités Zeus, ou Athéna, (« chryséléphantines » – couvertes d’or et d’ivoire) qui ont disparu dans le gouffre du passé, mais dont nous restent descriptions impressionnantes et répliques (en miniature) assez nombreuses…
Le recueil use de la figure de Phidias comme d’un prétexte symbolisant, à travers l’intuition inspirant les phases successives du poème, la poursuite acharnée du « Graal artistique » : Phidias réfugié en anonyme à Lemnos, y poursuit sa tentative de faire apparaître grâce à l’érosion sculptée du marbre, la figure divine idéale, celle qui allierait dans sa représentation l’alliance, on pourrait même dire l’alliage, des perfections matérielle et spirituelle. Naturellement, cette œuvre (que M. Bertoncini rêve comme sa dernière) est disparue elle aussi, après vingt cinq siècles de bouleversements ! Mais il plaît à la poétesse d’en faire l’inspirant secret enfoui, « l’autel souterrain » baudelairien, qui serait le noyau de la capacité propre à l’art et à la poésie, de soulager notre détresse comme eût dit Cavafis.
Il s’ensuit un poème-périple-incantatoire – « Phidias/Te prendras-tu au piège/des signes que je trace/mailles d’encre tissées à l’heure où je disparais/hantée de choses indistinctes… » –, nourri d’images superbes, évidentes et originales : « L’étoupe gemme de midi étouffe/les cris des marins/ apercevant au loin/le front clair de leur terre/tout agité des mains familières/comme des feuilles/au vent », mais aussi de secrètes références à la culture de la Grèce antique, (Héraclite par ex., « Pour ceux qui entrent/dans les mêmes fleuves… ») dont ce poème, à la fois intemporel et doté d’ubiquité comme la poésie elle-même, tire une ambiance pittoresque, mystérieuse, sensuelle, d’une lumineuse richesse. Les déambulations et la quête de ce Phidias-Bertoncini en arrivent à la « sculpture de l’absence », le poème étant cela qui reste, cette forme-mue, relique d’une vie enfuie, alors que sa créatrice – la divinité – qui en est aussi la création, se sait appelée à l’effacement…
Ce thème de l’absence, avec densité, autour de la figure de Lilith (je ne puis m’y étendre ici!) irrigue également après le parcours initiatique du Phidias, le second poème, comme « sculpté », de cette plaquette d’une qualité, et intime beauté, qui laissent pensif. L’ensemble vaut la peine d’être lu, médité et – comme je l’ai fait – d’y revenir en plusieurs occasions. Un véritable travail poétique, humble et brillant à la fois…