Chronique de Miloud KEDDAR
Gérard Garouste, la matière peinte comme pensée
Ce dont je vais vous parler ici n’est qu’une théorie et ne peut être saisie que comme telle. Une théorie sur l’oeuvre de Gérard Garouste. Tout d’abord la peinture : « Les libraires aveugles » et, après, celle dite « Véronique ». (Sachons qu’il ne s’agit pas de n’importante quelle Véronique mais de « Sainte Véronique »). Ensuite pour ma thèse je tenterai de comparer « Véronique » de Garouste avec une de mes peinture : en l’occurrence « Icon crisis Vera ».
Rentrons maintenant dans le vif du sujet, voulez-vous. La peinture « Les libraires aveugles » ? Une de mes interprétations parmi d’autres : « Les libraires aveugles », sont-ils les porteurs du Livre comme a pu le penser Bernard-Henri Lévy ? Le Livre, ou la Genèse, ce dernier, livre de contes, et que Barnett Newman a tenté d’en faire une lecture, et en peinture, s’il vous plait ? Non, à mon avis ces Libraires sont peut-être les porteurs d’un savoir que seuls eux savent aveugle. Les libraires tâtonnent et que précède un animal qui sait où il va et ce qu’il veut. L’animal ? Un âne, et comme le dit si bien Lévy, et qui est de l’ordre de l’ange et du juste. Chez le poète palestinien Mahmoud Darwich, l’âne sur le Mont regarde et se moque de ces hommes en bas, Juifs et Palestiniens, qui ne savent que se quereller ! Deux hommes dans « Les libraires aveugles ». Le premier a un bâton dans la main gauche qui le guide et qui l’aide, et de la droite il ne se saisit pas, mais touche (ou montre) entre autres livres « le commentaire augustinien du Psaume 56 ». Le second libraire, le bras droit sur l’épaule du premier (son bâton à lui !) et du bras gauche tient non un miroir où se reflète son image mais, je le décide ainsi, un livre avec sa photo sur la couverture ! (Je ne sais, j’avoue, par ailleurs, pourquoi chez Garouste, c’est toujours le bras –ou main- gauche qui a le don de nous guider ? La « gaucherie », le geste gauche où l’on peut voir le fou, mis à l’écart des autres, de la société des hommes ?).
Par ailleurs « Les libraires aveugles » ont des chaussures rouges, Garouste nous ayant habitué à la vêture rouge : le rouge qui dit le danger, l’hésitation, le pas incertain (et aveugle) et qui dans cette peinture vient s’ajouter au ciel difficilement déchiffrable. C’est pour cette raison et tous ces éléments que j’ose affirmer que les libraires sont vraiment aveugles et non qu’ils font semblant comme a à un certain moment pu le penser Bernard-Henri Lévy.
Passons à la peinture « Véronique » de Gérard Garouste et avec une encore de mes interprétations. Un homme que voilà assis, le corps d’une femme (ou plutôt que le bas du corps) avec le ventre enflé, une jambe levée haut et dans le miroir que tient l’homme le sexe de la femme, le sexe de la Sainte. (dans la parenthèse que j’ouvre maintenant et en pensant au seul bas du corps de la femme, j’ai à dire que dans la société des hommes, la femme n’a été que la « génitrice » de l’espèce ; du mâle qu’il soit un simple mortel ou un dieu. Pensant à Eve qui n’est nous dit-on que la compagne d’Adam, pensant à Marie qui n’est que la mère du Christ. J’ai déjà dit ailleurs que nous ne mettons pas la femme à droite de Dieu et pour notre grand malheur, chez certains peuples encore aujourd’hui la femme est soumise aux dictats des hommes et pour plus grave encore on la veut même non douée de raison !). La « Véronique » de Garouste prête à cette attention, dans le miroir que tient l’homme c’est toute la condition de la femme d’hier et d’aujourd’hui qu’il nous est donnée à voir !
« Véronique » de Gérard Garouste et ma peinture « Icon crisis Vera », pourquoi vouloir leur trouver un lien ? Que représente « Icon crisis Vera », pourquoi l’ai-je peinte et sous quelle influence ? Je vous la décris brièvement, bien que vous pouvez la voir ici. J’ai toutefois à dire par les mots l’idée que j’ai voulu véhiculer. « Icon crisis Vera » a été des plus simples à exécuter, ne représentant que peu d’éléments, mais le chemin de l’idée fut des plus longs. La peinture est celle d’une « tête » et au-dessus de la tête et du cou qui représentent un corps allongé un « rond » plein. Un rond plein je dis pour écarter l’idée d’un simple cercle qui peut lui ne pas être plein. Il y a des cheveux plus ou moins longs, le menton prononcé comme pour marquer une bouche sans dents, la bouche d’une personne âgée. Et c’est parce que j’ai voulu représenter un mort ; les cheveux disant l’évènement récent. Le plus important peut-être est le titre lié à cette représentation. Par « Vera » je dis Véronique, et par « Vera » je dis aussi « véracité ». La peinture « Icon crisis Vera » ne représente ni un homme ni une femme en particulier et par-là j’ai tenté de mettre et l’homme et la femme sur le même pied d’égalité. Le titre donné m’est venue d’une part de « Vera Icon Series » de Joshua Borkovsky et d’autre part de « Crisis X » de Jean-Michel Basquiat. Et ne parle-t-on pas ici et là et toujours de la Crucifixion. Véronique nous a transmise le suaire et mon questionnement à moi est : Qui lèguera à l’Humanité le visage de Sainte Véronique ? Par « Icon crisis Vera » je rejoins Gérard Garouste, ou mieux, je tente de donner une autre dimension à celle de « Véronique ».
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