Deux garçons, Philippe Mezescaze, Mercure de France ; (13,80€ – 119 pages)

Chronique de Nadine Doyendeux-garcons

Deux garçons, Philippe Mezescaze, Mercure de France ; (13,80€ – 119 pages)

Le narrateur, Philippe, revient sur ses amours d’adolescents et en particulier sur son attirance pour un certain Hervé, dont le patronyme deviendra tristement célèbre.

Comment, où, se sont -ils croisés ? Hervé se retrouve à La Rochelle, son père ayant eu une mutation. Philippe a quitté Paris, où sa mère est hospitalisée, pour rejoindre sa grand-mère, sa confidente. Leur passion commune pour le théâtre, leur planche de salut, les fera se croiser à la maison de la culture de La Rochelle. Philippe confie avoir été subjugué dès qu’il le vit. Il fut comme troublé par « La blancheur de son visage ». Hervé, 14 ans, encore au lycée, va se voir proposer par le narrateur, qui travaille une scène de Caligula, le rôle de Scipion. Les deux apprentis comédiens s’apprivoisent, vivent leurs premiers émois, les yeux s’électrisent, leurs corps s’abandonnent. Ils seront « surpris enlacés » par Paul, « l’homme de ménage ». Un scandale risque-t-il d’éclater ? Philippe, plus âgé, craint d’être accusé de détournement de mineur. On assiste à leurs rituels (leurs mains « froissent, caressent, branlent », leurs « bouches se rejoignent »), souvent contrariés, épiés, par le père d’Hervé, vrai cerbère, « témoin fatal » et rival qui souffre de ce « rapt ».

L’auteur souligne la difficulté d’un père à accepter l’évidence, l’orientation sexuelle de son fils. Ces relations conflictuelles avec ses parents, (refus de le laisser suivre la troupe en tournée, menaces), Hervé Guibert en témoigne dans « Mes Parents » ainsi que de ses premières amours. L’invitation de Mme Guibert n’est-elle pas un piège ?

Si les scènes charnelles recèlent la tendresse, si la complicité du narrateur avec sa grand-mère, capable de pardonner sa fuite, a quelque chose d’attendrissant, la séquence des chatons à éliminer est d’une violence confondante. « Quelle cruauté ! ».

Les deux protagonistes se perdent de vue, s’écrivent (leur correspondance reste nimbée de mystère, les lettres d’Hervé détruites), renouent. Le réveillon organisé sur l’île de Ré, par Marie-Claire, leur professeur de théâtre, est porteur de promesses. Ne vont-ils pas célébrer leurs anniversaires et vivre une nuit d’étreintes ? Mais leur libido est-elle synchronisée ? S’aiment-ils vraiment ? Il y aura cette photo, capture de leurs souvenirs, un sésame pour Philippe, traces de leur bonheur éphémère. Pourquoi refuse-t-il de donner un double à Hervé ? Une autre photo sera cause d’un différend retentissant. Quel secret est venu faire barrage à leur histoire si extraordinaire ?

Philippe succombe à d’autres garçons, Najib au Maroc (une trahison pour Hervé), le fils du quincailler l’hypnotise. Leurs routes divergent jusqu’à leur ultime rencontre à Paris où tous deux sont revenus, des années plus tard. Vont-ils réussir à solder leur passé, oublier « le fiasco de l’île de Ré » ?

Des phrases prennent une résonance particulière quand on connaît le destin d’Hervé Guibert. Quant à celle qui clôt ce récit, à la veine autobiographique, elle sonne le glas de leur liaison impossible : « J’avais tranché le fil d’un amour qui n’existait plus ».

Ce récit nous ramène à l’époque de la Caravelle, d’Hassan II, nous plonge dans l’exotisme avec la tournée au Maroc. L’auteur rappelle que Tanger « est un refuge pour écrivains ».

Dans ce roman, Philippe Mezescaze explore la découverte de l’amour à l’âge de l’innocence, une relation fusionnelle, intense, transgressive de deux garçons. Pour le narrateur, Hervé n’est autre que « son amour siamois », « son alter ego ».

L’auteur fore profond à l’intérieur des souffrances : difficultés de « s’émanciper de l’enfance », d’un amour toxique. Il montre le côté néfaste des parents qui couvent trop leur enfant, suscitant chez lui le besoin impérieux de s’en affranchir. En mettant en scène cette passion vouée à la  déréliction, l’auteur incite indirectement à relire Hervé Guibert, qui lui aussi fait référence à cette liaison dans Mes parents.

Deux garçons fait la part belle au théâtre (Tennesse Williams, Jean Genet, Albert Camus, Montherlant, Pasolini) dont les vertus cathartiques permettent aux comédiens en herbe de s’épanouir et de se réaliser, de s’émanciper.

©Nadine Doyen